VIII.1.4. Les évaluations formatives en classe (2) 

Il est évident qu’entre les participants des interactions de la vie courante, il y a toujours des différences individuelles au niveau du comportement langagier. En classe de langue étrangère, les comportements langagiers des enseignants ne sont toujours pas les mêmes en raison de leur culture, de leurs relations interpersonnelles, de leur degré d’appropiation de la langue, de leur expérience professionnelle, de leurs habitudes, de leurs activités didactiques en cours… Dans notre observation de la classe, nous remarquons qu’entre l’enseignante native et l’enseignante non-native il existe clairement une différence langagière dans le discours évaluatif. La classe en question est composée pourtant du même groupe d’apprenants chinois que la classe (1). De façon générale, nous trouvons que les comportements évaluatifs de l’enseignante native sont remarquables par leur diversité.

Dans la classe de FLE en Chine, les lecteurs français sont à la fois des vecteurs de la culture française et des experts en langue française. Ils jouent un grand rôle dans l’enseignement du FLE et dans la formation des enseignants chinois de FLE. Leur contrat de travail dure en général un an ou deux au maximum, très rarement trois dans un établissement universitaire. Ils doivent gérer plusieurs difficultés pour s’ingérer dans un nouvel environnement ou rencontrer de nouveaux apprenants. Cette réalité professionnelle leur demande de changer sans cesse de comportement langagier dans l’organisation des activités didactiques, surtout au cours des interactions didactiques avec des apprenants qu’ils connaissent peu. L’évaluation formative est une intervention délicate en classe pour les apprenants chinois qui ressentent toujours un problème de face. C’est pourquoi l’expression de l’évaluation formative de l’enseignante française est plus recherchée dans le choix des termes que celle de ses collègues chinoises.

En classe de langue étrangère, la réaction évaluative de l’enseignant, qui suit régulièrement la réponse de l’apprenant, joue un rôle considérable dans l’apprentissage et dans la gestion des activités didactiques. Elle peut encourager les apprenants à participer aux activités en faisant preuve d’initiative si l’enseignant évalue d’une manière recherchée. Dans le cas contraire, elle peut réduire à néant l’initiative des apprenants.

Dans l’exemple ci-dessus, l’enseignante pose une question sur la date, et elle obtient des réponses différentes en 2 de la part des apprenants. L’enseignante fait alors une évaluation sollicitative d’un ton montant sur la mauvaise réponse en relançant « le mercredi ↑». Ceci pose implicitement la question « est-ce que le mercredi tombe le 25 ? », au lieu de faire tout de suite une évaluation négative. En français, on dit le jour avant la date. Cette intervention de l’enseignante a pour but la sollicitation d’une auto-correction de la part des apprenants. Comme la réponse en 4 ne répond pas à son attente, en 5 elle relance une question par une reformulation sur un ton montant et interrogatif « le mercredi 25 ↑ », qui veut dire : « est-ce qu’aujourd’hui c’est le mercredi 25 ? ». En 6 les apprenants arrivent finalement à trouver la réponse attendue. L’enseignante n’évalue pas alors en termes simples mais plus recherchés afin de ne pas sanctionner l’initiative des apprenants en utilisant la forme « je préfère le mercredi 26 décembre ».

Pour atténuer sa remarque évaluative, l’enseignante choisit « je préfère… » au lieu de dire simplement « non » ou «  vous avez tort ». Du point de vue didactique, nous pouvons comprendre ce comportement langagier indirect de l’enseignante française : elle veut encourager l’initiative de la participation aux activités didactiques des apprenants. Entre l’enseignante chinoise et les apprenants il existe un contrat didactique qui a valeur dans la culture chinoise, et établi depuis longtemps. Quand un enseignant étranger et des apprenants chinois se rencontrent dans la classe, ils doivent construire ensemble un contrat didactique. Or, l’enseignant étranger conclut un autre type de contrat didactique avec ses apprenants que ses collègues chinois. A la base de ce contrat didactique, il y a une volonté d’établir une nouvelle relation interpersonnelle entre lui et les apprenants. Ils ont besoin de temps pour se connaître, pour s’habituer non seulement à leurs particularités physiques mais aussi linguistique et didactique. L’évaluation indirecte « je préfère… » manifeste ce type de contrat didactique inhabituel pour les apprenants chinois.

Dans la deuxième partie de l’intervention évaluative de l’enseignante en 7, nous observons deux actes évaluatifs que l’enseignante a ajoutés l’un après l’autre afin d’officialiser la réponse correcte. Le premier acte évaluatif « voilà » accompagne un acte non-verbal de l’enseignante : elleécrit la date à gauche du tableau. Le deuxième acte évaluatif « bien le mercredi 26 décembre » renforce l’officialisation de l’intervention.

Les évaluations de l’enseignante lors de cet épisode nous démontrent l’évolution stratégique de la lectrice française au cours des activités didactiques : d’abord deux évaluations sollicitatives (en 3 et en 5) et une évaluation indirecte (en 7) destinées aux apprenants qui fournissent la mauvaise réponse. Et après son évaluation indirecte (je préfère le mercredi 26 décembre ↓), deux évaluations officialisatives (voilà↓ [elle écrit la date à gauche du tableau] bien le mercredi 26 décembre↓) qui manifestent sa fonction d’informateur linguistique officiel.

Chez l’enseignante française, les évaluations appréciatives fréquentes visent à animer la pratique langagière : l’encouragement est vraiment indispensable dans l’apprentissage d’une langue étrangère pour des adultes apprenants, surtout pour de jeunes Chinois vivant dans une culture où la préservation de la face est très importante dans les activités collectives. Dans les interventions qui suivent les évaluations de la lectrice française se manifestent par une appréciation des réponses des apprenants.

Nous observons, après la production d’un étudiant A2, nous voyons en 15, la réaction évaluative de l’enseignante qui comprend trois actes langagiers : le premier est une répétition de la production de l’apprenant A2, (le père Noël ) ; le deuxième « très bien » concerne explicitement une évaluation positive suivie d’une action didactique (elle écrit « le père Noël » au tableau) jouant le même rôle d’officialisation que le troisième acte de langage. A la réponse des apprenants en 16 concernant la deuxième question « Ah ( !) il y a une mère Noël  ↑ », la lectrice utilise à nouveau une évaluation appréciative en disant « et non » après la bonne réponse des apprenants. L’articulateur interactionnel « et » joue ici le rôle d’un intensificateur de la confirmation de la réponse « non » fait aux apprenants en 16. L’évaluation officialisative «le Père Noël » et l’évaluation appréciative « très bien » en 17 ré-apprécient la bonne réponse de l’apprenant A2 en 14. Il en est de même pour les évaluations qui se succèdent dans la suite de leurs échanges.

Dans cet échange au sujet de la neige, l’évaluation de l’enseignante est plus compliquée. Après une évaluation en 19 (oui), elle demande une explication argumentative à l’apprenant A3 ( pourquoi la neige ↑). En 21, la deuxième évaluation (bien sûr…) est suivie également d’une action didactique jouant le rôle d’officialisation (elle écrit le mot « la neige » au tableau). En 23, nous voyons deux évaluations qui se trouvent dans la même intervention de l’enseignante : l’une au début et l’autre à la fin de l’intervention.

En ce qui concerne la fonction d’évaluation de l’enseignant, il nous semble que son expression la plus remarquable est que la dernière intervention évaluative joue dans chaque épisode de l’échange une double fonction : officialisation et clôture. En 17, nous observons que l’évaluation officialise l’information et ferme la discussion sur le père Noël. De 13 à 17, les échanges entre l’enseignante et les apprenants portent sur « le père Noël », et l’évaluation de l’enseignante en 17 manifeste aussi une officialisation de la production des apprenants ; et en même temps elle permet de passer à l’ échange suivant sur un thème, lié à Noël, mais qu’elle leur laisse déterminer (et puis↑).

Un autre exemple nous montre l’évaluation appréciative de l’enseignante française dans son organisation des activités didactiques :

L’évaluation corrective se rencontre aussi souvent dans le corpus EFp. Il s’agit pour l’enseignante d’assumer la responsabilité que le contrat didactique lui accorde implicitement. Elle a pour but la correction de la production de l’apprenant.

L’exemple suivant nous montre un autre mode d’évaluation, c’est l’évaluation interprétative.

Nous remarquons en 67 ci-dessous que l’intervention évaluative comprend en même temps trois fonctions : la première partie de l’intervention de l’enseignante a une fonction appréciative (oui c’est un repas) ; la deuxième partie a une fonction sollicitativre (souvent le soir donc un dîner↑il y a un mot un mot spécial) ; la troisième partie a une fonction officialisante (le réveillon).

Les interventions évaluatives du professeur français portent didactiquement sur l’appréciation, l’officialisation et la sollicitation de la production des apprenants. Toutes ces évaluations sont manifestées d’une manière explicite par les expressions comme « très bien », « voilà », « oui », « d’accord », « bien sûr »… C’est en raison de sa situation linguistique et de sa stratégie didactique que les interventions évaluatives de l’enseignante française se manifestent avec une telle diversification.