VIII.4.2.7. L’analyse des relations interpersonnelles entre enseignant et apprenants à l’examen oral

Nous avons constaté que toute interaction verbale pouvait être envisagée comme une suite d’événements, dont l’ensemble constitue un texte, produit collectivement dans un contexte déterminé. Dans cette perspective, nous avons dégagé les règles qui sous-tendent la fabrication de ce texte et sa cohérence interne. Mais une interaction est aussi une action qui effectue les relations de soi et d’autrui dans la communication de face à face.

Nous considérons la communication entre au moins deux individus comme un transfert d’information, la classe de langue comme le lieu où l’on apprend à communiquer, et l’examen comme le moyen de tester la maîtrise de la compétence de communication. Au cours de cette communication se manifeste toujours une relation interpersonnelle. Nous allons étudier, dans la transcription, cette relation interpersonnelle telle qu’elle se manifeste entre enseignant et apprenants lors de l’examen. Cette relation interpersonnelle constitue la base de la relation interactionnelle.

Tu ou vous? Ces deux mots sont lourds de sens non seulement pour les Français, mais aussi pour l’enseignant et son public chinois afin d’exprimer la relation interpersonnelle entre les interactants, tant dans les activités didactiques que dans l’examen oral. C. Kerbrat-Orecchioni a indiqué (1992 :17) que « T et V expriment une différence de statut hiérarchique entre les interlocuteurs.» Habitués depuis l’enfance aux nuances indiquées dans la langue française par l’utilisation du tutoiement et du vouvoiement, les Français s’adressent à leurs interlocuteurs : employeurs, employés et camarades de classe en utilisant « vous » ou « tu » selon leur relation interpersonnelle, leur position hiérarchique, leur âge et d’autres facteurs différents.

Etant éléments de communication, le « vous » indique dans la communication quotidienne la distanciation hiérarchique dans la relation interpersonnelle et le « tu » va alors de pair avec l’interpellation par le prénom, indiquant un approchement psychologique et même physique.

Dans l’interaction entre l’enseignant et les apprenants au cours de l’examen oral, nous ne voyons que l’emploi du vouvoiement, le tutoiement n’est employé que deux fois dans la séance un.

Nous ne pouvons pas dire que le changement du pronom de l’enseignant en 9 et en 11 manifeste un changement de leur relation interpersonnelle. En effet, l’enseignant a repris le pronom « vous » dans la suite de l’examen jusqu’à la fin de leur conversation, mais plutôt la difféculté pour l’examinateur lui-même de stabiliser l’emploi de V et de T.

L’emploi du vouvoiement dans les interactions entre les enseignants chinois et les apprenants montre qu’il existe institutionnellement une distance et une différence dans leur relation interpersonnelle.

En Chine, dans les milieux de l’éducation, on pratique, depuis plus de 2 500 ans, l’idéologie de Confucius, lequel préconisait, dans l’éducation, le respect des maîtres. Et cette idéologie domine toute l’histoire éducative de la Chine.

La relation interpersonnelle en classe ou plus encore lors de l’examen est différente de celle de la communication réelle. Formellement, nous pouvons dire que la seconde est plus compliquée, marquée par des relations horizontale et verticale, alors que la première est plus simple, marquée souvent par une seule relation verticale. Mais si nous regardons de près les transcriptions de notre corpus, nous constatons que cette relation verticale n’est pas simple non plus.

Le contrat didactique attribue préalablement à l’enseignant une place dominante dans le cadre institutionnel, et une place inférieure ou dominée à son public. Cette relation peut être exprimée par les mots fréquemment utilisés dans le discours pédagogique : enseignant et enseigné.

Dans l’enseignement, l’enseignant se charge socialement et institutionnellement d’un rôle de détenteur de savant transmettant aux apprenants des connaissances, c’est-à-dire leur faisant savoir et les faire savoir parler. Il a simultanément la responsabilité de favoriser la production en langue étrangère des apprenants, d’assurer l’inter-compréhension entre les partenaires et la compréhension des diverses productions langagières, de répondre au besoin des apprenants et de donner une norme linguistique. Les apprenants de la classe de langue ont le devoir de coopérer avec l’enseignant pour atteindre l’objectif scolaire. Il leur faut coopérer avec l’enseignant dans les activités didactiques selon leur propre responsabilité dans le même contrat didactique. Ils ont le droit de poser des questions à l’enseignant sans aucune hésitation. Face à la question préparée en classe par l’enseignant, ils ont le devoir de lui répondre tout de suite, ou le droit de lui demander une répétition ou de passer la question à d’autres camarades malgré leur position didactiquement dominée.

Lors de l’examen de FLE, leur rôle n’est pas tout à fait le même, et c’est justement ce changement non radical de rôle qui entraîne celui de leur relation interpersonnelle. Dans notre corpus, ce n’est pas l’enseignant qui décide du thème de l’interaction, c’est le tirage au sort des apprenants. Mais il est nécessaire de noter que sa place dominante n’a pas changé, parce que c’est lui qui dirige comme en classe le déroulement et la gestion de l’interaction. Dans la première transcription, on voit qu’il veut montrer une simplification interactionnelle entre enseignant et apprenante. Il va droit au début de l’entretien sans aucune introduction. Il a sauté l’étape préalable pour poser directement la question. C’est pourquoi nous trouvons que l’acte langagier de l’enseignant apparaît au début de la première séance un peu à nu. De plus, cette place n’est pas menacée. Elle est au contraire renforcée, car la situation de l’examen intensifie sa fonction de  juge linguistique. « Le professeur, où il se trouve, étant en quelque sorte le représentant légitime de la langue qu’il enseigne et qu’il est supposé connaître mieux que son public ne pourra échapper à la fonction de juge des performances linguistiques. » (F. Cicurel 1990 : 29),même si sa correction n’est pas vraiment pertinante.

Cet exemple nous permet de constater que leur place n’a pas changé, mais leurs devoirs et leurs droits ont beaucoup changé à l’occasion de l’examen. Face à la question de l’enseignant, ils sont obligés de lui répondre, que la formulation soit claire ou obscure, que leur compréhension soit bonne ou partielle. Leur demande d’explication ou de répétition faisant peser un risque sur la note finale.

Cette relation interpersonnelle se manifeste par les mêmes échanges ternaire que nous avons mentionnés dans notre chapitre sur l’évaluation formative en classe :

question - réponse - évaluation (+ / -)

Mais l’individualisation constitue un caractère remarquable de l’examen : l’interaction se déroule entre deux interlocuteurs comme dans une interaction quotidienne et le résultat de l’échange est particulièrement important pour l’un de deux.

Dans la classe de langue, les interactions langagières se déroulent en groupe, elles sont polylogales. Nous voyons des réactions différentes face à la présentation de l’enseignant, qui fait plus attention à l’ensemble de la classe qu’à l’individu. Les mauvaises compréhensions et les mauvaises réponses peuvent être corrigées par les autres apprenants eux-mêmes. C’est un travail collectif. Au contraire à l’examen oral de langue, ce travail collectif devient une opération individuelle, l’interaction verbale se déroule seulement entre l’examinateur et l’apprenant. La question posée par l’enseignant devient aussi plus individuelle, plus concrète.

Pendant l’examen, nous observons que, tout d’abord, l’enseignant ne s’engage pas en tant que personne dans l’interaction. Si nous regardons le film de notre corpus, cela se manifeste non seulement dans son comportement langagier, mais aussi dans son comportement gestuel qui manifeste son statut de juge. Pédagogiquement pour rendre les échanges verbaux plus faciles, il intervient ensuite avec gentillesse soit pour évaluer la production, soit pour reformuler la question, ou soit pour solliciter l’intervention de manière à aider les apprenants à répondre.