Conclusion générale

En dépit de la distance culturelle et géographique qui sépare nos langues et nos continents, notre recherche voudrait démontrer la possibilité d’opérer, dans l’enseignement du FLE en situation universitaire en Chine, un déplacement d’un enseignement traditionnel à la chinoise  vers un enseignement communicatif correspondant à des valeurs jusqu’alors plus occidentales.

En conséquence, nous avons tenté dans ce travail d’analyser trois interactions didactiques, enregistrées dans trois classes différentes de FLE d’une université de Pékin, classes animées respectivement par trois enseignantes, deux non natives et une native. Les enregistrements portent surtout sur les moments de « pratique langagière » (classe 1 et classe 2) et de « transposition » (classe 3).

La classe (1), prise en charge par une enseignante chinoise s’appuyant sur le manuel officiel, est considérée comme un échantillon représentatif de l’enseignement traditionnel en Chine. La classe (2), prise en charge par une enseignante française utilisant de manière très libre une méthode faite en France, est un exemple d’enseignement intermédiaire entre enseignement traditionnel et enseignement communicatif. La classe (3), prise en charge par une autre enseignante chinoise, n’utilisant pas de manuel, nous montre un exemple d’enseignement communicatif..

En se centrant sur les trois fonctions didactiques de l’enseignant en classe de FLE, l’analyse de ces corpus nous permet d’abord d’aboutir à de premières conclusions sur les caractéristiques communes de l’interaction didactique en classe de FLE. Ce qui différencie communication didactique et communication quotidienne, c’est que dans le premier cas celle-ci est polylogale et que l’un des interactants possède des droits et des devoirs très contrastés par rapport aux autres participants. En situation didactique en Chine, l’enseignant est dominant; les apprenants ne peuvent à priori qu’obtempérer, quand il leur distribue les tours de parole généralement en utilisant le plus souvent de fausses ou de vraies questions. Les comportements interactionnels de l’un et des autres nous permettent de postuler les particularités générales des interactions didactiques :

Mais l’objectif actuel de l’enseignement moderne des langues étrangères est de plus en plus, en Chine comme ailleurs, de doter les apprenants d’une compétence de communication. Or la méthodologie traditionnelle vise essentiellement un enseignement  culturel  de la langue en tant que système grammatical. Il est indéniable que la méthode traditionnelle a constitué un apport positif pour l’apprentissage des langues étrangères surtout tant que celle-ci ne devait pas satisfaire des besoins de communication quotidienne, ordinaire. Il est difficile par exemple de nier la valeur de la correction grammaticale dans l’utilisation d’une langue étrangère.

Le système d’enseignement du FLE en Chine, pour l’essentiel, reste toujours basé sur la méthode traditionnelle. En particulier, le manuel joue un rôle central dans la détermination tant du savoir linguistique à apprendre que de l’organisation des activités didactiques. Le programme d’enseignement vise surtout la connaissance linguistique, la compétence communicative ne faisant pas partie de manière importante des finalités académiques. Le corpus de la classe (1) nous montre un échantillon de cet enseignement. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas de possibilité d’évolution méthodologique dans l’enseignement du FLE dans l’Université chinoise. Les comportements d’enseignement et d’apprentissage observables dans les classes (2) et (3) nous en donnent des exemples qui permettent d’affirmer qu’une évolution de l’enseignement / apprentissage du français en Chine non seulement est possible mais est en cours.

Si nous les analysons en fonction des trois grandes fonctions de l’enseignant nous pouvons constater :

L’enseignante de la classe (1) suit le programme déterminé par le manuel parce qu’il lui procure une sécurité à la fois linguistique et organisationnelle. Elle ne fournit aux étudiants que les seules informations linguistiques données par le manuel. Par contre la lectrice française de la classe (2) exerce sa fonction d’informatrice d’une manière différente. C’est elle qui détermine le thème en fonction de l’actualité. Elle fournit les informations a posteriori en fonction des réactions des étudiants. Celles-ci comprennent d’une part un savoir linguistique, d’autre part un savoir socioculturel. Il est certain que son statut de native met à sa disposition, par intuition, en toute sécurité linguistique, des données  incorporées  dont ne disposent pas ses collègues. L’autre enseignante chinoise de la classe (3) marginalise sa fonction d’informatrice du fait du  genre  pédagogique choisi, nouveau pour la Chine, la classe-conversation. Elle ne donne d’informations linguistiques qu’a posteriori, suivant les besoins exprimés par les participants. Elle met en avant son rôle d’animatrice et crée un espace de parole régulée pour des apprenants dont on constate qu’ils utilisent pleinement les possibilités nouvelles offertes par cette situation.

L’enseignante de la classe (1) suit la séquence d’étapes préconisées par le manuel. Dans ce cadre elle utilise l’échange ternaire classique dont elle ouvre chaque occurrence. L’enseignante native de la classe (2) gère aussi l’interaction sous la forme traditionnelle de l’échange pédagogique mais elle le fait de manière moins réglée a priori en rebondissant, échange après échange sur les interventions des étudiants et en associant savoir savant et savoir social. La deuxième enseignante chinoise de la classe (3), nous l’avons dit, exerce, au cours de ce  moment  de  transposition, une fonction d’animatrice, se plaçant en recul, par rapport à l’échange de parole. C’est le seul corpus où on constate des suites d’interventions d’étudiants dialoguant effectivement les uns avec les autres. On peut constater dans les trois cas que les étudiants s’adaptent sans difficulté apparente à ces divers comportements de leurs enseignantes et aux comportements complémentaires qu’on leur demande implicitement ou explicitement.

Du point de vue de l’évaluation formative, on remarque que la première enseignante juge la production de manière binaire (juste / faux) par rapport à la seule norme linguistique explicitement fixée par le manuel. Elle utilise essentiellement une procédure sollicitative. L’enseignante française évalue ses élèves sur un plan surtout linguistique mais aussi communicatif. Ses pratiques évaluatives sont aussi plus variées : elle associe évaluations appréciatives, correctives, directes et indirectes et évaluation sollicitative, en les intégrant dans un discours toujours positif destiné à préserver la face des étudiants. La troisième enseignante utilise essentiellement une évaluation de la valeur communicative des interventions des étudiants. Cette évaluation, surtout positive a pour but fonctionnel d’encourager la production autonome des étudiants.

Du point de vue de l’évaluation sommative, nous n’avons qu’un seul échantillon, celui de l’examen officiel de français portant sur la maîtrise de l’oral, pendant l’enseignement de type 1. Les cinq séances observées nous permettent de dire, sans surprise, que l’examinateur chinois, bien que créant un prétexte communicatif, accorde une importance centrale aux connaissances linguistiques et seulement en fin d’épreuve s’intéresse à la compétence communicative de ceux-ci.

D’une manière générale on constate donc la souplesse d’organisation possible de la classe de français dans les universités chinoises aux trois plans étudiés et symétriquement la grande capacité d’adaptation des étudiants chinois qui n’apparaissent pas, comme on les caricature quelquefois, comme figés sur les seuls comportements d’apprentissage traditionnel privilégiant l’écrit.

En effet, si au cours de ces dix dernières années, beaucoup d’enseignants chinois de français sont soucieux d’une transformation de la méthodologie du FLE à l’université du fait de l’évolution rapide des besoins en langue française de la Chine, les étudiants sont sans doute les premiers à ressentir ces nouveaux besoins dont dépend leur avenir professionnel de spécialistes de français. D’autre part, de plus en plus de lecteurs français travaillent dans l’université chinoise comme  experts  de français et leur présence apporte de nouvelles formes d’enseignement du FLE. Dans la classe (2), prise en charge par une enseignante française, nous voyons que les activités didactiques se déroulent sans manuel et avec beaucoup de dynamisme. Mais ce corpus montre une manière d’enseigner, caractéristique d’un locuteur natif, que les enseignants chinois ne sauraient adopter telles quelles en raison de l’écart linguistique et culturel qui existe entre eux et leur collègue française. Cependant cette originalité méthodologique contribue à alimenter la réflexion sur l’enseignement traditionnel en Chine et initie les étudiants à des comportements et des exigences pédagogiques nouveaux.

Mais, nous constatons aussi avec la classe (3) que pour les enseignants chinois n’existe pas que la seule possibilité de travailler sous le contrôle et la protection du manuel, mais aussi celle de travailler sous des formes interactionnelles différentes, par exemple sous la forme de classe de conversation. Cette possibilité ouvre une brèche dans l’enseignement traditionnel centré sur le manuel officiel. Notre recherche montre que les enseignants chinois arrivent à s’adapter sans aucun problème à cette situation nouvelle. Ce qui est aussi important à souligner, c’est que les apprenants chinois eux-mêmes arrivent parfaitement à s’y adapter et qu’alors ils produisent quantitativement et qualitativement des énoncés et des interventions orales plus intéressantes que celles demandées par la classe traditionnelle.

Les constatations nous conduisent à réfléchir sur une nouvelle méthodologie à la chinoise. En effet la politique d’ouverture pratiquée par le gouvernement chinois depuis une trentaine d’années en Chine attribue à l’enseignement universitaire de langue étrangère une nouvelle tâche : la formation d’étudiants bilingues. L’enseignement traditionnel, centré sur la grammaire et la langue écrite, n’est pas adapté à ce nouveau besoin social. Cependant il est difficile d’abandonner totalement l’enseignement traditionnel par une espèce de coup de force pédagogique. Celui-ci est organisé pédagogiquement par un Conseil spécial représentant le Ministère de l’Education. Mais la nécessité d’un apport nouveau est révélée par l’importation actuelle des méthodes communicatives, « Le nouveau sans frontière », « Forum », « Reflet » et « Café crème » qui sont entrées l’une après l’autre dans la classe universitaire en Chine. Leur présence, en complément du manuel traditionnel, dans l’enseignement du FLE manifeste ce besoin ressenti par beaucoup sinon d’une révolution du moins d’une évolution, d’une diversification méthodologique comme les comportements différents des enseignantes et des apprenants dans les différentes classes observées nous permettaient d’affirmer qu’existe la possibilité d’opérer ce déplacement de l’enseignement traditionnel vers des pratiques d’enseignement plus communicatives.

Ajoutons qu’en Chine aussi les sciences du langage et en particulier la pragmatique se sont rapidement développées. La question de l’interaction est devenue centrale dans les recherches concernant l’interculturel et la communication translinguistique. M. Zheng Lihua a publié en français les résultats de ses recherche en pragmatique. Maintenant l’interaction didactique entre l’enseignant et le groupe d’apprenants en classe de langue est mieux prise en compte par les enseignants chinois de langue étrangère, mais il nous faut reconnaître qu’il y a encore beaucoup de choses à faire dans ce domaine.

Des perspectives nouvelles se présentent à nous, mais nous sommes bien sûr conscients que nous ne pourrons pas réussir à transformer la situation par un travail purement individuel. Il nous semble nécessaire de mettre sur pied un Institut d’étude sur les interactions didactiques dans notre département de français avec nos collègues afin de procéder à des recherches sur l’enseignement des langues et de développer avec les groupes similaires de recherche en France et dans les pays francophones, les contacts permanents qui sont indispensables à toute recherche. Ainsi, nous espérons que ces recherches collectives à venir pourront poursuivre le présent travail.