3.2.4. Les champs sémantiques (Wortfelder)

La théorie des champs sémantiques considère que les signifiés des unités lexicales sont organisés sous forme de groupements. Cette conception est évoquée, à l'état élémentaire, chez Saussure (1995 : 177) qui postule que "la coordination dans l'espace contribue à créer des coordinations associatives." De cette manière, les associations provoquent une organisation des signes à l'intérieur du système langagier dont la composition donne lieu à des descriptions différentes. Dans un premier temps, les linguistes comme Jost Trier (dans : Rühl, 2000 : 122) ont considéré les champs sémantiques comme une mosaïque. Après la Seconde Guerre mondiale, Leo Weisgerber propose de remplacer l'image de la mosaïque par celle de l'existence de sous-ensembles qui se chevauchent tout en laissant des espaces non couverts par un champ sémantique. Cette vision de l'organisation sémantique est retenue actuellement par les linguistes allemands (Rühl, Pörings et Schmitz, Lutzeier) alors que les linguistes français utilisent, d'après Rühl (2000 : 123) plutôt le terme isotopie :

‘"Pendant que le terme Wortfeld domine chez les linguistes germanophones, le terme champ sémantique est concurrencé, notamment dans les études stylistiques, par le terme d'isotopie". ’

Le but de la théorie des champs sémantiques est de considérer une unité lexicale dans ses relations avec d'autres unités lexicales et de les comprendre comme un tout (Lutzeier, 1995 : 118). Par opposition à l'étude des relations sémantiques présentées précédemment, la théorie des champs sémantiques se base sur une perception holistique en comprenant le champ sémantique comme une coquille qui a une forme et un contenu sémantique. L'organisation d'un champ sémantique est défini par Rühl (200 : 122) comme "un sous-ensemble de signes dont les signifiés s'apparentent les uns aux autres." Pörings et Schmitz (1999 : 38) écrivent :

‘"Unter einem Wortfeld versteht man eine Gruppe von Wörtern, die begriffliche Einheiten aus ein- und derselben konzeptuellen Domäne bezeichnen. Wörter wie Frühstück, Mittagessen, Vesper und Abendessen zum Beispiel sind miteinander verbunden und gehören alle zum Wortfeld "Mahlzeiten"." (Pörings et Schmitz, 1999 : 38)’

D'après (Lutzeier, 1995 : 12), trois critères doivent être satisfaits pour la constitution d'un champ sémantique :

‘(1) Les unités lexicales doivent faire partie de la même catégorie syntaxique. ’ ‘(2) Les éléments du champ sémantique doivent être considérés sous le même aspect et une deuxième sélection des unités lexicales se fait en considérant une dimension. ’ ‘(3) La structure d'un champ sémantique détermine si une unité lexicale fait effectivement partie du champ sémantique en question.’

Pour déterminer la catégorie syntaxique, les paradigmes lexicaux sont constitués dans un premier temps en cherchant des unités lexicales possibles pour un champ vide dans une phrase comme, par exemple, "Als Geschenk wählte er sich die … aus." (Lutzeier, 1995 : 120).

En ce qui concerne la deuxième condition, quelques remarques s'imposent par rapport à l'aspect. Lutzeier (1995 : 11) précise :

‘"Aspekte geben allgemeine Inhalte vor und die Inhalte der Elemente im fraglichen Paradigma müssen zu diesem Aspekt passen." (Lutzeier, 1995 : 11)’

Ensuite, l'aspect concerne les informations qu'un locuteur souhaite exprimer, sans aller jusqu'à l'étude de ce qu'un locuteur attend par son discours. Ainsi, Lutzeier (1995 : 119) fait remarquer :

‘"Nur die Aussageintention des Sprechers zählt und nicht etwa die Übereinstimmung mit der Realität für die durch die Substitution sich ergebenden möglichen Äußerungen." (Lutzeier, 1995 : 119)’

Ainsi, il convient de vérifier si une unité lexicale possède une signification qui peut être subordonnée à celle qui est proposée par un aspect spécifique. De plus, c'est grâce à la dimension que les unités lexicales sont distinguées et sélectionnées pour déterminer leur appartenance à un champ sémantique. Prenons un exemple : pour le paradigme "Stuhl, Hocker, Bank, Sessel, Sofa" (chaise, tabouret, banc, sofa), l'aspect est la signification de "meubles", et la dimension est "sert pour s’asseoir".

Dans un autre exemple, considérons l’aspect "Einnahmen" (revenu) et la dimension "Berufsgruppen" (profession) comprenant différents groupes de salariés, par exemple, des "Seeleute" (marins), des "Angestellten" (employés) et des "Arbeiter" (ouvriers) qui recoivent des revenus différents comme "Heuer", "Gehalt" et "Lohn". Les termes "Heuer", "Gehalt" et "Lohn" font donc partie d'un même champ sémantique.

En ce qui concerne la structure du champ sémantique, Lutzeier (1995 : 22) postule que le champ sémantique comprend des relations sémantiques (de ressemblance, de hiérarchie et de solidarité) :

‘"Die Struktur eines Wortfeldes wird somit auch das Netz der Beziehungen repräsentieren, die die Elemente des Wortfeldes untereinander eingehen. Diese semantischen Beziehungen zu anderen Wörtern im Wortschatz tragen natürlich zur Information über die Bedeutung des einzelnen Wortes bei." (Lutzeier, 1995 : 124-125) ’

Nous pouvons donc imaginer un champ sémantique ou "Wortfeld" comme un groupement de mots où chacun a sa propre place qui dépend de la dimension et de l’aspect sous lequel on comprend l'unité lexicale. Il est cependant impossible de reconstruire, à l'intérieur d'un seul champ sémantique, toutes les significations des différents éléments, puisque les différents noms auxquels appartiennent les mots représentent uniquement une part des significations sous l’aspect donné. Le paradigme "Gehalt, Lohn, Heuer" peut être représenté de la manière suivante :

Figure 14 : chevauchement des unités lexicales à l'intérieur d'un champ sémantique
Figure 14 : chevauchement des unités lexicales à l'intérieur d'un champ sémantique

La conception du chevauchement entre les différents sous-ensembles à l'intérieur d'un tel champ sémantique peut être expliquée par le fait que les trois unités lexicales "Gehalt", "Lohn" et "Heuer" ont des traits sémantiques communs. D'après la méthode d'analyse des traits sémiques, ce sont des archisémèmes. Ainsi, aucune signification n’est autonome, mais chaque signification est dépendante par des liens associatifs de l'ensemble du lexique.