1.3. La durée dans la constitution des traces mnésiques

Un problème rencontré fréquemment chez les apprenants concerne l'oubli des informations : lorsqu'ils lisent un texte ou écoutent un discours oral, ils sont incapables de le reproduire mot par mot quelques secondes après; une liste de vocabulaire est seulement retenue pour une évaluation ayant lieu le lendemain; et lorsque l'on demande en début de l'année aux apprenants quels textes ils ont vu l'année précédente, ils répondent fréquemment "je ne me souviens plus". La mémoire stocke donc les différents types d'informations pendant une durée de temps variable, en fonction de "l'utilité" de cette information pour le sujet. Au contraire, d'autres informations comme les informations sémantiques, sont retenues plus longtemps. Comment la mémoire gère-t-elle cette différence temporelle dans la rétention des informations lexicales ?

Pendant la création des traces mnésiques, deux étapes se succèdent permettant de distinguer deux types de mémoire en fonction du temps de disponibilité des informations lexicales. La première est la mémoire à court terme. La capacité de la mémoire de travail est très limitée, c’est-à-dire de l’ordre de 7 chiffres ou de 7 formes auditives des unités lexicales. L’information y est retenue sous forme d’un "état d’activation des réseaux de neurones" (Cambier et Verstichel, 1998 : 117). Cette mémoire, appelée également "mémoire de travail", est en quelque sorte un prolongement de la perception. Elle nous permet de retenir les informations pendant un laps de temps très court; le temps nécessaire pour traiter une information. Elle donne lieu à la création d’une image mentale qui peut être visuelle (mémoire iconique) ou auditive (mémoire échoïque). Rapidement, cette image s’efface, mais l’information reste encore disponible. Ainsi, la mémoire de travail peut être compris comme un "filtre" qui nous évite d'être submergé d'informations.

La mémoire à long terme assure une rétention des informations lexicales au-delà de la mémoire immédiate. Elle permet de consolider, en nombre réduit, des souvenirs. Pour permettre une rétention des informations, celles-ci doivent être intégrées dans la base des connaissances anciennes d'après des critères d'organisation efficaces. Néanmoins, la mémoire à long terme n'est pas un "stock immobile" de connaissances. Au contraire, l'état des connaissances est constamment vérifié par rapport à leur actualité et si nécessaire, les informations anciennes sont aussitôt remplacées par des informations nouvelles. De cette manière, la mémoire est en constante évolution. Une autre particularité de la mémoire est la nature des connaissances retenues. Les informations enregistrées dans cette mémoire sont exclusivement de nature sémantique (Roher, 1990 : 62). Leur enregistrement dans la base des connaissances peut être représenté en trois phases : la mémorisation des informations lexicales, leur rétention et la restitution lors d’une opération de rappel.

Avant de pouvoir utiliser aisément les unités lexicales en langue cible, ces dernières doivent être enregistrées dans une partie de la mémoire où elles sont disponibles activement. Or, pas toutes les informations lexicales y figurent, comme le montre un phénomène observé fréquemment en cours de langue : pendant un exercice de production (orale ou écrite), les apprenants ne trouvent pas les unités lexicales nécessaires pour exprimer une idée. Ce problème a son origine dans l'existence de deux états de disponibilité des informations : certaines informations sont enregistrées dans la "mémoire inactive" et d'autres informations sont situées dans la "mémoire active" (Roher, 1990 : 17) :

Figure 4 : les différentes mémoires (Roher, 1990 : 15)
Figure 4 : les différentes mémoires (Roher, 1990 : 15)

Les informations dans la mémoire passive ne sont pas accessibles directement et elles peuvent uniquement être reconnues. La mémoire active contient des informations lexicales qui peuvent être rappelées pour une tâche de production écrite ou orale. Leur disponibilité est influencée par plusieurs facteurs, à savoir la fréquence de l'encodage des unités lexicales, les stratégies employées pendant le travail lexical et la profondeur du traitement cognitif. En outre, une unité lexicale ne garde pas toujours le même statut, elle peut passer (comme le montre le schéma ci-dessus) de la mémoire passive à la mémoire active et vice versa. Ainsi, une information qui n'a pas été rappelée pendant un certain temps peut prendre un statut inactif, mais elle n'est pas oubliée définitivement. Elle peut regagner le statut "actif" plus vite qu'une information nouvellement apprise (Roher, 1990) :

‘"Einmal aktiv für den Abruf gespeicherte Informationen, die durch mangelnde Anwendung ihre Abruffähigkeit verloren haben, können erheblich schneller 'reaktiviert', [und] abruffähig gelernt werden als neue Informationen." (Roher, 1990 : 17)’

Ensuite, il convient de prévoir le risque de confusion des unités lexicales apprises en même temps : en effet, lorsque les unités lexicales se ressemblent beaucoup, il a lieu un blocage des informations lexicales et une baisse de 30-50 % de l'efficacité de mémorisation (Roher, 1990) :

‘"Es läßt sich beispielsweise voraussagen, daß die Behaltensrate (Abrufbarkeit) bei unmittelbar nacheinander gelernten, morphologisch oder semantisch ähnlichen sprachlichen Einheiten um 30 bis 50 Prozent geringer sein wird, als bei unähnlichen Einheiten." (Roher, 1990 : 19)’

Cette observation peut être expliquée par un problème de distinction des informations pendant les opérations de catégorisation. La conséquence est une confusion lors du rappel ultérieur. Sur le plan didactique, il convient donc d'éviter d'apprendre parallèlement des unités lexicales qui se ressemblent. Enfin, lorsque l'enseignant prévoit des tâches ou des exercices, il convient de se demander quel type de mémoire doit être visé : dans certains cas, il peut être suffisant de reconnaître une unité lexicale alors que dans d'autre cas, il est impératif de pouvoir la rappeler activement. Les actions pédagogiques ne seront pas les mêmes et l'effort à fournir concernant le niveau de la fréquence de l'emploi des unités lexicales varie en fonction du but choisi.