1.5.2. La représentation de la signification

Qu'il s'agisse d'une tâche de reconnaissance d'une unité lexicale dans un contexte écrit ou oral, ou encore d'un travail de production écrite ou orale, l'utilisation des unités lexicales nécessite l'accès au système conceptuel. Différents modèles tentent d'expliquer, en simplifiant, une réalité extrêmement complexe. Ainsi, chacun des modèles que nous étudierons ci-dessous, se concentre sur un point spécifique : les liens entre les différents concepts et leur activation, les liens entre le système langagier et le système conceptuel, ainsi que l'existence des processus parallèles et séquentiels.

Dans le cadre des recherches sur l'intelligence artificielle, Collins et Quillian (dans : Engelkamp, 1985 : 297) ont proposé dans les années soixante dix le modèle des réseaux. Celui-ci suppose une organisation des significations des unités lexicales à l'intérieur d'un réseau :

Figure 7 : organisation des représentations conceptuelles et sensorielles-motrices en réseau (Engelkamp, 1985 : 312)
Figure 7 : organisation des représentations conceptuelles et sensorielles-motrices en réseau (Engelkamp, 1985 : 312)

Le flux des informations à l’intérieur du réseau, c'est-à-dire le transfert d'informations chimiques (à l'aide des neurones et des synapses) entre les différents nœuds, est modélisé par une activation des nœuds. L'activation se propage sur le réseau entre les concepts en fonction des forces d'association (Collins et Loftus, dans : Engelkamp, 1985 : 299) :

‘"Die Aktivierung breitet sich über das Netzwerk entsprechend den Assoziationsstärken zwischen den Konzepten aus. Die Verifikation von Aussagen geschieht über diese Aktivierungsausbreitung. Weil alles mit allem irgendwie verknüpft ist, wird ein bestimmter Schwellenwert für die Aktivierung postuliert, wenn diese für die Verifikation wirksam werden soll." (Engelkamp, 1985 : 299)’

Chaque activation d'une unité lexicale nécessite le dépassement d'une valeur seuil, faute de laquelle l'unité lexicale ne peut pas être activée. En outre, Engelkamp postule deux types de nœuds pour les concepts et traits caractéristiques, ainsi que deux types de liens pour symboliser les relations entre les concepts. Un type de lien permet de représenter la relation "est", comme, par exemple, "le rouge-gorge est un oiseau". Un deuxième type de lien représente la relation "a", comme, par exemple, "le rouge-gorge a des ailes". D’autres modèles mentionnent aussi la relation "n’est pas" qui est introduite directement dans le réseau si cette relation est utilisée souvent.

Pour juger les phrases, le "modèle des réseaux" suppose l’existence d’un processus de vérification qui se base sur les connaissances structurelles. Les relations spécifiques qui se trouvent entre les nœuds activés et qui sont enregistrées dans la structure de la mémoire, sont comparées avec la relation mentionnée dans une phrase. S’il y a concordance, le modèle juge la phrase comme étant juste. Ensuite, ce modèle sous-entend des distances différentes entre les nœuds. Ainsi, le temps de qualification d'une relation comme "le rouge-gorge est un oiseau" dépend de la distance relative (c'est-à-dire de la force d'association) entre "rouge-gorge" et "oiseau". Le temps de vérification est d’autant plus long que les concepts sont loin l’un de l’autre.

Le modèle des réseaux a de nombreuses avantages : il intègre une reconnaissance de la fonction syntaxique de l'unité lexicale. Celle-ci est nécessaire à la formation d'une proposition et l'expression des idées. Ce modèle tient également compte du facteur de temps à travers la distance entre les nœuds et le niveau d'activation des concepts. Ainsi, il est possible d'expliquer les variations de temps nécessaires pour l'activation d'une unité lexicale. Ce modèle fournit également une base pour l'explication des phénomènes de l'amorçage sémantique par la propagation d'une activation automatique des significations. En outre, il permet d'expliquer, grâce au seuil d'activation des significations, les mécanismes de la mémoire active ou passive. Néanmoins, ce modèle ne représente pas les liens entre les systèmes langagiers et le système conceptuel. Il ne tient pas non plus compte du double traitement cognitif verbal-visuel. Enfin, il ne comprend pas l'activation des unités lexicales à partir des images.

En effet, lorsque l'on perçoit une unité lexicale qui réfère à une personne, un objet ou une action, on voit fréquemment une image mentale par rapport à la signification de l'unité lexicale en question. Aussi l'image d'une personne ou d'un objet nous fait penser souvent à une unité lexicale permettant de nommer la personne ou l'objet aperçu. Comment peut-on expliquer ces phénomènes ? Ne doit-il pas exister des liens mnésiques entre les différentes représentations dans la mémoire ? A ce sujet, on peut mentionner différents "modèles de référence" (Engelkamp, 1985 : 306-311). Un premier modèle postule une représentation séparée entre les mots et les images sans pour autant exclure des liens entre ces deux systèmes qui permettraient une activation mutuelle des informations lexicales. En outre, ce modèle distingue le "traitement cognitif" des représentations du "produit fini". Ce dernier est appelé "marqueur de mot" pour la représentation d'un mot et "marqueur d'image" pour la représentation d'une image. Un deuxième modèle tient compte d'une représentation des actions motrices dans les "marqueurs motrices", ainsi que de l'intensité de l'activation des différents marqueurs. Cette dernière est variable et dépend de l'importance accordée par le sujet pour un concept mental.

Enfin, un "modèle intégratif" proposé par Zimmer (dans : Engelkamp, 1985 : 311) intègre les composants des deux modèles précédents. Ce modèle associe trois systèmes différents qui entretiennent des liens mutuels : le système conceptuel qui représente les informations sémantiques, les systèmes de représentation des mots représentant les formes phonétiques et graphiques des unités lexicales ainsi que le système des représentations sensorielles-motrices avec les marqueurs d'images et les marqueurs moteurs pour les représentations des images (piktogènes) et les actions motrices (motogènes) :

Figure 8 : le système cognitif, d'après Zimmer (Engelkamp, 1985 : 311)
Figure 8 : le système cognitif, d'après Zimmer (Engelkamp, 1985 : 311)

Après la perception d'une unité lexicale, l'analyse des "marqueurs" provoque une activation des traits sémantiques dans le système conceptuel : il se peut qu'une marque sensorielle ou motrice corresponde à un concept. Dans d'autres cas, un concept peut intégrer plusieurs marqueurs sensoriels ou moteurs. Lorsque le sujet voit, par exemple, un rouge-gorge, il va y avoir une activation du marqueur d'image qui provoque une activation des traits sémantiques "un bec", "des plumes", "une gorge rouge" permettant d'identifier l'oiseau comme un "rouge-gorge".

L'intérêt de ce modèle se trouve dans l'hypothèse d'une activation multiple des concepts sémantiques et d'un traitement cognitif multiple à travers des informations en provenance des deux systèmes de représentation. De plus, ce modèle permet, grâce au système conceptuel, de créer un lien avec la réalité. De ce point de vue, il s'avère donc plus complet que le modèle des réseaux.

Comment peut-on maintenant imaginer le processus d'activation destiné à créer un lien entre les trois systèmes ? A partir d'un marqueur de mot (phonème ou graphème), l'activation des concepts se déroule, d'après Zimmer (dans : Engelkamp, 1985 : 312), de la manière suivante :

‘"Von einer Wortmarke aus kann ein korrespondierender Konzeptknoten aktiviert werden, von dem aus sich die Aktivierung nach Maßgabe der interkonzeptuellen Distanzen über das Netz ausbreitet. Diese Ausbreitung verläuft beim Hören oder Lesen des Wortes ungesteuert, nur durch die zufällige Dynamik der Situation eingeschränkt. Im Normalfall jedoch findet diese Ausbreitung im Rahmen eines umschriebenen Handlungsziels statt. Dieses besteht bei der Satzverifikation darin, die Wahrheit der Satzaussage zu beurteilen. Eine solche begrenzte Zielsetzung steuert die Aktivationsausbreitung, lenkt ihre Richtung, fördert sie hier und hemmt sie dort." (Engelkamp, 1985 : 312)’

Le processus d'activation se déroule par la propagation d'une activation de plusieurs concepts et dont il convient de sélectionner l'un. Plus il va y avoir de représentations sensorielles et motrices agissant sur les concepts, plus il y aura d'activation de concepts correspondants (Engelkamp, 1985). Ensuite, l'identification des unités lexicales se fait à partir d'un registre d'accès qui contient un code d'accès à un registre principal contenant la totalité des connaissances disponibles. Dès que les traits sémantiques sont identifiés, un mot est reconnu. Les différents processus se déroulent parallèlement ou séquentiellement en fonction des circonstances d'une situation. Ainsi, nous pouvons imaginer une reconnaissance d'une unité lexicale pendant la lecture d'un texte ou encore la vérification d'une hypothèse de signification.

Pendant la lecture d'un texte (nécessitant la compréhension des unités lexicales), les processus en jeu peuvent avoir deux orientations (Marslen-Wilson, dans : Zimmer, 1985) : une orientation montante et une orientation descendante. Dans un processus montant, les mots activés (grâce à la perception des formes graphiques des unités lexicales) forment une "cohorte". Les traits analysés activent toutes les formes de mots dans lesquelles les traits existent et ils freinent celles dans lesquelles ils n’existent pas. Si le trait espéré n'est pas trouvé, ou ne rentre pas dans le contexte sémantique, la forme est désactivée. Ce processus s'arrête quand la cohorte ne comporte plus qu’un élément. L'unité lexicale est alors reconnue. Dans un processus descendant, les formes des mots activés freinent celles qui ne font pas partie du mot. Le mot qui apparaît vraiment, c’est celui qui reste à la fin de ce jeu d’échange. Prenons comme exemple le mot "Haus" (maison) avec la lettre "h" : tous les traits dont les unités lexicales ne contiennent pas cette lettre sont freinés. La représentation qui semble être la plus probable parmi les informations disponibles sera activée de la façon la plus intense. Dans ce jeu d'activation et de désactivation, c’est alors uniquement la représentation la plus forte qui "survit".

Malgré le déroulement de nombreux processus, le temps de traitement est très court. Pour les unités lexicales polysémiques, Swinney (dans : Zimmer, 1985 : 320) postule que directement après sa présentation, l'ensemble des significations est activé par un effet d'amorçage, alors que tout de suite après (environ 200 ms plus tard) il ne reste plus que la signification correspondant au contexte.

Enfin, Forster (dans : Zimmer, 1985) évoque un processus de recherche séquentielle des mots par une comparaison entre les traits représentés mentalement lors de la propagation de l'activation des concepts et les traits correspondant effectivement au contexte. La sélection d'une unité lexicale se fait en fonction de la dynamique de la situation, c'est-à-dire en poursuivant un but précis. Un exemple serait la vérification de la logique contextuelle pour une signification activée.