2.1. La perception des informations lexicales

Les activités de perception se manifestent dans de nombreuses circonstances comme, par exemple, en amont de chaque type d'analyse ou encore des activités de catégorisation. La perception constitue également un aspect important dans l'apprentissage d'une langue étrangère. En effet, lors des activités de compréhension ou d'expression écrite, il convient constamment de sélectionner des éléments pertinents (au niveau de la morphologie, de la phonologie, de la sémantique et de la syntaxe). En outre, l'inférence d'une unité lexicale inconnue nécessite la perception d'indices porteurs de sens. C'est en étudiant les différents facteurs internes à l'apprenant que le didacticien peut adapter ses actions pédagogiques.

La façon dont le sujet perçoit une chose ou une relation quelconque dépend de son comportement individuel et de sa motivation vis-à-vis de l'input linguistique. En effet, l'apprenant influence, par l'intermédiaire de sa volonté, son attitude face à un travail lexical. Ces attitudes peuvent être permanentes ou temporaires : les attitudes permanentes correspondent à la disposition d’un sujet, à sa tendance à considérer et à privilégier tel ou tel élément d’un ensemble perceptif. Les attitudes temporaires jouent un rôle sélectif dans la perception, mais uniquement à un moment donné. Dans une classe de langues, il est probable de rencontrer les deux types d'attitudes avec une orientation positive ou négative. Par ailleurs, l'expérience montre que ces attitudes peuvent être influencées par l'enseignant. Il doit donc être un but pédagogique de créer chez les apprenants des attitudes positives. Evidemment, les apprenants ne sont pas tous identiques et leur personnalité constitue un élément déterminant. Elle joue d'une part, sur l'attitude elle-même et d'autre part, sur le processus et le résultat de perception. Ainsi, différents apprenants peuvent percevoir des informations présentées d'une manière différente. Dubois (1991) rapporte, par exemple, les résultats d'expériences organisées en collaboration avec J. Barthélemy, D. Fleury et C. Mazet par rapport aux traitements perceptifs (visuels) des photographies. Ils concluent que c'est "l'activité des sujets qui assigne une fonctionnalité aux éléments perceptibles" (Dubois, 1991 : 45). Aussi, une photographie ou un dessin que l'on montre en classe ne fait-elle que très rarement l'unanimité des jugements perceptifs. Si une situation dépasse un certain niveau de complexité, l'ensemble des stimuli est perçu de différentes manières. Sa compréhension nécessite alors la prise en compte des activités d'analyse de catégorisation et d'organisation. Ces dernières différent d'une personne à l'autre et laissent donc supposer différents types d'apprenants.

Par ailleurs, il n’y a de perception véritable que lorsque le sujet peut attribuer une signification aux stimuli reçus. Comprendre, par exemple, une image revient à la percevoir dans son ensemble et à s’en souvenir; c’est lui attribuer une signification relativement précise. Ainsi, lorsqu'un sujet déclare qu'il ne sait plus ce qu'il a vu, il n'a pas pu attribuer une signification à ses sensations. Il a mal désigné les propriétés physiques d'un objet ou d'un texte. Une raison possible est un problème de perception des éléments essentiels qui auraient pu engager un comportement de perception tel qu'il a été élaboré par les psychologues de l'école de "Gestalt". En effet, cette école mentionne trois séries de facteurs qui déterminent une perception effective : les propriétés (objectives) des stimuli, les variables physiologiques et les variables psychologiques. Un changement dans l’une de ces séries de facteurs entraîne un changement du comportement perceptif. En retenant seulement la dimension psychologique, trois points sont directement intéressants pour l’analyse des outils pédagogiques. Ils concernent la perception des formes : la loi de symétrie, la loi de la clôture et la loi de la proximité :

Figure 9 : les lois de perception (Sperber, 1989 : 68 et Kebeck, 1997 : 152)
Figure 9 : les lois de perception (Sperber, 1989 : 68 et Kebeck, 1997 : 152)

D'après la loi de la symétrie, les éléments dissymétriques sont progressivement transformés par un sujet. Le meilleur prolongement, spatial ou temporel, d’une figure est ainsi celui de la symétrie, de la régularité et de l’équilibre. Les éléments dissymétriques sont progressivement transformés. Cette loi permet d'expliquer le processus de construction des connaissances en général : afin de créer une certaine régularité par rapport aux informations perçues et concernant la base de connaissances, le sujet a tendance à organiser les informations perçues. D'après la loi de la clôture, il existe chez les individus une tendance à "fermer" les figures ouvertes, c’est-à-dire à compléter les situations incomplètes. Pour la lecture d'un texte, le lecteur a donc tendance à essayer de deviner le sens d'un terme inconnu en fonction de la signification globale du texte ou de la phrase dans laquelle le terme en question apparaît. Les figures fermées exigent d'ailleurs un effort de perception et de mémorisation moins grand puisqu'il ne faut plus les fermer. Ceci explique pourquoi on retient mieux les schémas complets. La loi de la proximité postule que plusieurs éléments apparaissent comme étant groupés, si ces éléments sont proches les uns des autres. Lorsque la distance entre les éléments devient trop grande, il ne se produit pas d'unification locale au sein de l’ensemble perçu. Lors des activités d'inférences ou de transfert d'informations lexicales vers une unité lexicale inconnue, une distance trop importante entre les informations à relier peut donc être nuisible à la découverte de la signification.

En connaissant le fonctionnement de la perception, il est plus facile pour le didacticien (créant le support pédagogique) et pour le pédagogue (encadrant les apprenants) de prévoir les réactions des apprenants et de les orienter d'une manière ciblée vers le but d'apprentissage visé. Afin de prévenir les difficultés d'un apprenant au niveau de la perception, une préparation s'impose : elle implique un ajustement entre les caractéristiques de l’individu et celles de la réalité perçue. Sur le plan didactique, une présentation adaptée du matériel pédagogique est indiquée. Une image sur un support pédagogique peut, par exemple, prendre le rôle de préparation à la perception sans garantir une adéquation entre la signification prévue par les auteurs et celle comprise par l'apprenant. Ainsi, lorsqu'une image évoque chez l'apprenant des souvenirs qui sont sans rapport avec le thème traité dans un texte, il se produit un conflit perceptif et le sujet reconnaît mal les informations lexicales.

Finalement, les lois de la "Gestalt-Psychologie" permettent de tirer la conclusion suivante : d'une part, il convient de tenir compte de l'ensemble des aspects de l'activité langagière et d'autre part, il est souhaitable de prévoir l'activité sélective de l'apprenant. Grâce à l'activité perceptive qui tend vers une "bonne forme", l'apprentissage d'une langue étrangère devient ainsi "une activité structurante" (Gaonac'h, 1991 : 79). Une présentation légèrement dissymétrique des informations à transmettre peut également activer le processus de construction des connaissances; à condition de veiller à ce que les apprenants possèdent les moyens d'organisation des informations et qu'ils entament et réussissent effectivement ce travail d'organisation. Enfin, lorsqu'il s'agit de proposer aux apprenants des figures destinées à soutenir la mémorisation des informations lexicales, il est préférable de proposer des schémas complets. De plus, il convient de gérer la distance entre les éléments faisant partie d'un même groupe.