2.4. Le double traitement lexical dans un système verbal et imaginaire

Les supports pédagogiques contiennent dans la majorité des cas aussi bien des informations verbales que des images. Se pose alors la question de l'organisation de leur traitement par la mémoire. Existe-t-il un seul système de traitement ou peut-on supposer l'existence de deux systèmes séparés ? Paivio (1971) postule un "dual system" avec deux systèmes séparés de traitement des informations verbales (verbal stimuli) et non verbales (nonverbal stimuli) :

Figure 11 : le système du double traitement cognitif d'après Paivio (Sperber, 1989 : 70)
Figure 11 : le système du double traitement cognitif d'après Paivio (Sperber, 1989 : 70)

Les "logogens" du système verbal représentent des entités phonétiques et graphiques des unités lexicales qui se composent séquentiellement. Les "imagens" du système non verbal constituent dans ce schéma des impressions sensorielles visuelles. Ces dernières sont représentées sous forme d'entités. Ainsi, un visage est perçu globalement et pas comme un rassemblement d'éléments (nez, bouche, oreilles). Entre les deux systèmes, Paivio suppose une interaction permettant un échange d'informations et un double traitement des informations. Néanmoins, il semble y avoir un traitement différent pour les unités lexicales concrètes et les unités lexicales abstraites (Paivio, dans : Sperber, 1989 : 72) : les informations concrètes sont enregistrées d'une manière double (verbalement et visuellement), alors que les informations abstraites sont traitées sans participation du système imaginaire.

Peut-on supposer alors un traitement désavantagé pour les unités lexicales abstraites ? Sperber (1989 : 72) argumente que le double traitement des unités lexicales concrètes serait favorable à la mémorisation des unités lexicales et il préconise de concrétiser les unités lexicales abstraites :

‘"Daraus ergibt sich die Konsequenz, daß es von Vorteil ist, abstrakte Wörter zu konkretisieren, um sie beiden Verarbeitungssystemen zugänglich zu machen." (Sperber, 1989 : 72)’

Les résultats des recherches de Rastier (1991 : 209) confirment l'utilité de la participation du traitement imaginaire. Les personnes ayant une bonne imagination obtiennent des meilleurs résultats dans les tâches de mémorisation et de rappel des choses mémorisées. Il explique cette observation de la manière suivante :

‘"Il existe un substrat neuronal commun à la perception visuelle et à l’imagerie mentale. De cette façon, la mémoire des sujets imaginant est meilleure et leurs réponses sont plus rapides." Rastier (1991 : 212)’

La supériorité du système imaginaire (non verbal) pour les situations concrètes nous amène à supposer que le traitement des unités lexicales concrètes peut être facilité par la participation des images. Une information concrète peut alors être enregistrée deux fois (verbalement et non verbalement) et par conséquent, d'une manière plus stable qu'un enregistrement simple. D'après cette argumentation, le traitement simple des unités lexicales serait alors effectivement désavantagé. Néanmoins, en tenant compte de la théorie de la profondeur du traitement, il devient nécessaire d'atténuer l'effet prédominant du double traitement cognitif. Ainsi, lorsqu'un sujet fait un effort important pour comprendre une unité lexicale abstraite, la création de traces mnésiques pourrait, au moins en partie, annuler l'avantage du double traitement.