1.3. Différents types d'apprenants

L'observation des apprenants en cours de langue institutionnalisés montre régulièrement des résultats hétérogènes dans des groupes d'apprenants ayant travaillé le même programme avec le même enseignant. Une des raisons peut être la différence individuelle entre les apprenants et une utilisation variable des processus d'apprentissage. Ainsi, chaque élève "dispose de son propre système de pilotage de l'apprentissage" et il "engage sa faculté d'apprendre de manière personnelle, souvent inconsciente" (G. Lerbert et J.-L. Gouzian, dans : Perraudeau, 1996 : 42). Selon qu'il y a congruence ou non entre le système cognitif du sujet et du scénario d'apprentissage vécu, les conditions d'apprentissage sont plus ou moins favorables pour un apprenant en question. Une hypothèse consiste alors à dire qu'une adaptation des techniques d'enseignement au dispositif cognitif des apprenants permettra d'obtenir de meilleurs résultats. Pour cela, une condition de base est la connaissance des différents types d'apprenants. Comment peut-on contraster les différents types d'apprenants ? Nous proposons de les distinguer en fonction de leur comportement général, de leur style cognitif, de leur manière de perception et du traitement cognitif des informations lexicales.

En fonction du comportement général, il existe des apprenants "impulsifs" et les "réflexifs" ainsi que des apprenants "tolérants" et "intolérants" : l'apprenant impulsif s'arrête sur la première hypothèse qui lui vient à l'esprit sans prendre le temps à considérer les alternatives éventuelles. L'apprenant réflexif prend, au contraire, son temps en essayant de penser à toutes les possibilités. L'apprenant "tolérant" possède une grande disposition à accepter des expériences qu'il considère comme étant normales. Cet apprenant est ouvert aux situations nouvelles et y présente une attitude positive. L'apprenant "intolérant" témoigne, par opposition, d'un esprit fermé et d'une pensée rigide qui va souvent de pair avec le désir d'avoir des réponses claires et définitives. En ce qui concerne les styles d'apprenants, un apprenant peut être du type visuel, auditif, tactile, verbal ou abstrait. En fonction de la manière de perception, on peut opposer la "dépendance" et "l'indépendance du champ" (Vogel, 1995 : 163) : les apprenants "dépendants du champ" perçoivent un objet sans pouvoir le distinguer de l'arrière-plan. Ils ont une perception intégrative et globalisante et ils peuvent connaître des difficultés à faire ressortir dans un texte sans aide (d'un professeur, par exemple) les éléments importants. Les apprenants du style "indépendant du champ" réagissent de manière inverse en procédant analytiquement.

En fonction du traitement cognitif des informations, nous distinguons les apprenants "holistiques" et les "sérialistes" ainsi que les apprenants qui catégorisent les informations dans des catégories fines ou larges : les apprenants holistiques utilisent une approche globale quand ils ont un problème à résoudre, ils préfèrent les stratégies générales et aiment les exemples permettant une généralisation. Les "sérialistes" progressent pas à pas en faisant attention aux détails et aux aspect particuliers en perdant parfois de vue l'ensemble. De plus, nous distinguons les sujets qui classent les informations dans des catégories fines (tout en acceptant de pouvoir se tromper) et les personnes qui préfèrent les catégories larges et plus globales.

Retenons de cette énumération de possibilités de distinction des apprenants que dans la majorité des cas, les différents styles cognitifs sont mélangés chez un individu. Leur apport pour une distinction des apprenants est donc à priori de pouvoir faire ressortir une tendance globale permettant à l'enseignant de mieux sélectionner ses actions pédagogiques. Comment le médiateur "enseignant" doit-il réagir pour intégrer la différence des apprenants dans l'organisation des scénarios d'apprentissage ? Une réaction possible serait une adaptation du style d'enseignement au style d'apprentissage des individus pour permettre à chaque apprenant de profiter au mieux de sa façon individuelle de travail. Néanmoins, si l'on tient compte qu'une classe de langue est composée de divers apprenants, on imagine la difficulté pour le professeur s'il veut tenir compte de l'ensemble des facteurs. La difficulté s'amplifie pour un enseignant à l'université qui est confronté, comme le remarque Narcy (1990 : 89) à "400 apprenants par semestre", et non aux groupes restreints étudiés par les chercheurs selon des critères scientifiques rigoureux".

Par ailleurs, Stasiak (1990) évoque les résultats d'une expérience intéressante : elle a souhaité savoir s'il est effectivement utile de proposer à chaque apprenant une activité qui correspond à son style cognitif. Stasiak part du principe que les apprenants "sérialistes" et "logiques" ne vont rien dire en langue étrangère tant qu'ils ne soient pas persuadés que leur discours soit correct. La correction des erreurs serait pour eux une émotion négative. Pour les aider, il conviendrait alors de les libérer de la pression de vouloir toujours produire un discours sans fautes. Les "globalistes" auraient par contre besoin que l'on mette l'accent sur la grammaire. Ils devraient noter la correction des erreurs et ils auraient besoin de répéter les phrases corrigées. Dans l'expérience de Stasiak, tous les apprenants ont reçu, suite à une analyse de leurs styles cognitifs, un enseignement correspondant aux recommandations citées ci-dessus. Le résultat était une monotonie de l'enseignement qui a réduit la motivation des apprenants :

‘"Die Globalisten fühlten sich sichtlich gelangweilt bei den grammtischen Übungen, und die Serialisten haben die Forderung nach einer freien Aussage als Überforderung empfunden." (Stasiak, 1990 : 13)’

Les "globalistes" s'ennuyaient avec les exercices de grammaire et les "sérialistes" ont estimé que l'on leur demandait trop avec l'exigence d'un discours libre. Cette expérience montre qu'il n'est pas recommandé de confronter un apprenant à une seule technique, même si celle-ci semble correspondre le mieux au style cognitif analysé. De plus, des facteurs externes comme le contexte, la situation de communication et l'état temporaire de motivation ou de fatigue peuvent influencer la réaction d'un apprenant. En outre, une adaptation pédagogique du dispositif est loin d'être évidente comme le montre le témoignage de D. Little et D. Singletton (1990 : 13). Ils rapportent que "l'enseignant reprend en classe un style d'enseignement comme il l'a subi lui-même et il reprend aussi les techniques qui lui ont porté du succès". Néanmoins, une meilleure connaissance des différents types d'apprenants facilite l'analyse des résultats obtenus de la part des apprenants et peut donner des pistes de réflexion pour affronter certains problèmes dans une classe trop hétérogène.