2.2. Rôle de la langue maternelle

Un apprenant qui débute l'apprentissage d'une langue étrangère, a souvent l'impression de ne rien savoir concernant cette nouvelle langue. Mais doit-il effectivement démarrer à "zéro" comme c'est le cas pour un enfant qui apprend sa langue maternelle, ou est-il possible de transférer des connaissances anciennes ? Certes, chaque langue connaît des particularités qui lui sont propres puisqu'une langue se développe dans une communauté linguistique spécifique, sous l'influence d'une culture et à travers des traditions. Néanmoins, toutes les langues se servent des représentations cognitives liées à la vie de l'être humain. Celles-ci ont été développées lors de l'acquisition de la langue maternelle et elles continuent à servir pour la langue étrangère. En outre, beaucoup de langues ont des racines communes et nous pouvons donc supposer qu'il existe dans la langue maternelle des structures langagières qui n'ont pas besoin d'être réapprises. Vogel (1990 : 41) confirme cette hypothèse en rapportant une réflexion de la part de Corder qui postule une concordance entre les systèmes de la langue première et la langue seconde :

‘"Diese Sichtweise des Spracherwerbs als Prozeß zunehmender Komplexität bringt Corder mit der von der natürlichen Übereinstimmung lernersprachlicher Systeme beim Erst- und Zweitsprachenerwerb und deren als prädeterminert angenommenten Vorkommensabfolge in Verbindung, wobei die Spezifik der Einzelsprache also unerheblich ist. " (Vogel, 1990 : 41)’

Notre cerveau fonctionne d'après le principe de l'économie cognitive et il semble être envisageable qu'il se serve d'un grand nombre de connaissances déclaratives et procédurales qui ont été développées pour la langue maternelle (ou encore pour une autre langue étrangère). Lorsque l'on commence à apprendre une langue seconde, on peut donc utiliser des expériences acquises auparavant (Vogel, 1990 : 41) :

‘"…, daß Zweitsprachenlerner auf die Erfahrungen zurückgreifen, die sie im Erstsprachenerwerb beim Durchlaufen des Kontinuums von einfacheren zu komplexeren Sprachsystemen gewonnen haben". Vogel (1990 : 41)’

Vogel (1990 : 89) postule aussi que l'apprenant utilise les moyens cognitifs que sa langue maternelle met à sa disposition, même s'il les emploie, dans l'acquisition de la langue étrangère, avec une importance et une fréquence différentes :

‘"Anscheinend werden für die lernersprachlichen Erwerbsprozesse keine grundsätzlich neuen Strategien entwickelt, sondern der Lerner setzt die ihm aus der Muttersprache zur Verfügung stehenden Mittel ein, wenn auch unter Umständen sehr wahrscheinlich mit anderer Gewichtung und anderer Häufigkeit."(Vogel, 1990 : 89)’

Sous l'influence des transferts d'éléments langagiers en provenance de la langue maternelle, le système d'interlangue devient alors de plus en plus complexe. Le processus actif auquel un apprenant est confronté dans une situation de production peut l'amener à chercher des stratégies qui vont l'aider à formuler des phrases en langue cible. Le recours aux connaissances anciennes semble alors être naturel. Nous distinguons à cet effet d'une part, le transfert des unités lexicales grâce à leur ressemblance avec la forme lexicale en langue maternelle et d'autre part, le transfert des règles concernant l'emploi contextuel et syntaxique.

Au sujet du transfert des unités lexicales vers l'interlangue, il convient de mentionner les internationalismes qui sont aussi appelésdes "cognats". Ils ont pratiquement les mêmes formes et/ou un sens semblable. Ainsi, les cognats sont facilement reconnaissables, bien que parfois, une seule lettre ou un seul phonème suffit pour obscurcir les liens de parenté entre deux mots. Le sujet a tendance à les transférer vers la langue cible et de faire l'hypothèse que leur signification correspond à celle observée pour la langue connue. Peut-on alors établir cette hypothèse d'équivalence à chaque fois que les signifiants dans deux langues se ressemblent ? Dans certains cas, un tel transfert est tout à fait possible, mais il existe des exceptions nécessitant une mise en garde de l'apprenant. En effet, certains cognats sont des "faux amis" et un simple transfert vers la langue cible peut induire en erreur. Certaines formes lexicales présentes en langue maternelle existent en langue cible avec une signification différente : ceci est, par exemple, le cas pour le terme "groß" qui signifie en français "être trop lourd" et "grand" en allemand.

En outre, le procédé de transfert des éléments langagiers en provenance de la langue maternelle vers le système d'interlangue est à distinguer du "code switching" qui est utilisé pour résoudre un problème de manque de vocabulaire pendant une activité de production langagière. A ce moment-là, le sujet remplace des éléments qu'il n'a pas pu construire où transférer de la langue source. Le produit est une phrase "mélangée" par les éléments en provenance de deux langues. Au lieu de considérer l'élément transféré comme pouvant faire partie de l'interlangue, l'apprenant est généralement conscient que ce terme ne fait pas partie de la langue cible. Il l'utilise comme stratégie de remplacement en vue de faire passer un message, mais sans avoir comme objectif de faire un travail sur la langue.

Concernant le transferts de règles de construction des unités lexicales et des phrases, il est courant que l’apprenant s'appuie sur des connaissances développées pour la langue maternelle ou éventuellement pour une autre langue étrangère. Ainsi, un apprenant français sait qu'il existe dans chaque langue des noms, des verbes, des adjectifs, des prépositions, ainsi que différents genres et temps. Il connaît aussi leur fonction dans une phrase et il peut supposer qu'il en est de même dans la langue cible. Comme chaque langue intègre cependant un grand nombre de règles qui lui sont propres, un transfert à partir d'une autre langue est souvent source d'erreurs inter-linguales.

Quant à la fréquence d'emploi des stratégies de transfert, nous pouvons nous demander si tous les apprenants réagissent de la même manière. Reconnaissent-ils tous les mêmes règles comme étant transférables ? A priori, chaque apprenant possède une base de connaissances individuelles et il devrait donc y avoir des différences entre les apprenants. En outre, Giaccobbé (1992 : 48) postule que la notion de transférablilité est une "notion psycholinguistique" (qui peut être ressentie différemment d’un apprenant à l’autre). Plus l’apprenant estime la différence entre la langue source et la langue comme étant grande, moins il a tendance à transférer des éléments.