2.3 L'interlangue

L'apprentissage d'une langue étrangère a lieu progressivement et pendant l'acquisition des connaissances langagières nouvelles, le sujet construit un système qui est appelé "l'interlangue". Cette appellation fait référence au comportement d'apprentissage lui-même : habituellement, l'apprenant considère la langue parlée par les locuteurs natifs comme système de référence et son but est d'arriver aux mêmes compétences langagières que celles maîtrisées par le locuteur natif. Tant qu'il n'a pas atteint le niveau linguistique d'un locuteur "moyen" de cette communauté linguistique, l'apprenant se situe dans un état intermédiaire correspondant au nom "interlangue". Une progression langagière nécessite ensuite des caractéristiques particulières : au lieu d'être un système rigide et accompli, l'interlangue fait preuve d'une grande instabilité et d'une perméabilité importante permettant un enrichissement et un développement constant et parallèle aux efforts investis par l'apprenant.

Même si les apprenants suivent des cours collectifs, l'interlangue reste un système individuel qui regroupe l'ensemble des éléments que le sujet a acquis et pu intégrer dans sa base de connaissances. Giaccobé (1992) fait remarquer que l'interlangue est "une construction propre à l'apprenant" ce qui confirme le caractère personnel du système. En outre, le terme "construction" renvoie à la manière dont le système d'interlangue se développe. En effet, l'interlangue n'est pas composé d'un regroupement d'unité lexicales et de phrases imitées à partir d'un modèle. Il s'agit plutôt d'apprendre des règles, de détecter des cohérences ainsi que de créer des associations cognitives et non-cognitives. A partir d'un tel système, il est possible de "construire" et de générer des connaissances lexicales nouvelles.

Ensuite, les progrès effectués par l'apprenant ne se déroulent pas toujours d'une manière linéaire. Le développement du nouveau système s'effectue plutôt par "paliers successifs" tout en manifestant une grande variété de cheminements (Vogel, 1990). Il dépend des facteurs de personnalité, de l’expérience antérieure de l’apprenant, des éléments langagiers transférables, de l'input linguistique, ainsi que du temps relativement court que l’apprenant possède pour pouvoir apprendre une langue seconde.

Les difficultés auxquelles l'apprenant se trouve confronté pour développer son interlangue ne doivent pas être sous-estimées : en plus d'un manque de dispositions physiques (pour apercevoir les nuances phonétiques ou pour prononcer certains sons), le sujet doit faire face à une "double contrainte" (Gaonac'h, 1991 : 144-145). En effet, la construction de l'interlangue nécessite des activités de production en langue cible bien que le sujet ne la maîtrise pas encore. Pour cette raison, l'interlangue peut être comprise comme "un système simplifié qui oblige l’apprenant de se servir d'un code simplifié pour communiquer" (Vogel, 1990 : 41). Avec ces connaissances langagières limitées, le nouveau système doit faire face à une nécessité d'expression et de communication. Or, il n'est pas possible de développer en même temps tous les aspects de la langue et certains d’entre eux sont alors intégrés dans le système d'interlangue plus tard que d'autres.

En outre, il arrive que le sujet arrête ses activités de construction du système d'interlangue et que celui-ci ne se développe plus. Nous parlerons alors d'un "phénomène de fossilisation". Cela est le cas si le sujet ne perçoit plus de distance entre son interlangue et le système de référence. Par ailleurs, cette fossilisation n'intervient pas seulement quand l'apprenant n'est plus en contact avec la langue cible, elle peut également être observée en cours d'apprentissage pour certaines structures langagières. Ainsi, Lauerbach (dans Vogel, 1995 : 44) considère qu’il existe chez l’apprenant un "domaine central" de structures fossilisées. Ce domaine concerne jusqu’à 60 % de la langue de l’apprenant et les structures fossilisées font partie de la langue de l’apprenant. Suite à ce constat, on pourrait se demander si l'interlangue est effectivement marquée par une grande instabilité comme nous l'avons postulé auparavant. En effet, l'interlangue a besoin de se développer et d'intégrer de nouvelles connaissances. Une certaine instabilité et une perméabilité est alors une condition primordiale. En contrepartie, l'apprenant a aussi acquis un grand nombre de connaissances qui sont justes par rapport à la norme langagière visée et il ne va donc pas souhaiter de les modifier.

Comment le développement du système d'interlangue a-t-il lieu précisément ? Et quelles stratégies les apprenants utilisent-ils ? Nous tenterons de répondre à ces questions en traitant les hypothèses langagières effectuées par l'apprenant, le feedback ainsi que le rôle de l'erreur. Enfin, nous verrons comment le sujet parvient à gérer ses actions d'apprentissage à l'aide d'une instance de contrôle interne et nous discuterons l'intérêt des activités métacognitives.