2.3.4. Instance de contrôle : le "monitor"

La gestion des actions du corps humain, le cerveau semble dorénavant être prédisposé à assumer un rôle de contrôle. Krashen (1982) suppose alors l'existence d'un "monitor" interne (à l'apprenant) à travers lequel celui-ci surveille sa production langagière. Vogel (1995 : 100) postule que le "monitor" ne peut fonctionner correctement lors d'un exercice de production langagière que si l'apprenant connaît les règles, s'il dispose d'assez de temps pour effectuer la correction et si son attentionest centrée sur la forme et non seulement sur le contenu. Ce dernier facteur semble être confirmé par d'autres expériences : Hulstijn (dans : Bogaards, 1988 : 24) a trouvé une influence du facteur "attention" sur la correction des énoncés. Cela laisse supposer que les apprenants ne réagissent pas tous de la même manière à un moment donné.

L'influence de la connaissance des règles sur l'utilisation du monitor est éventuellement plus contestable : Bogaards (1988 : 24) rapporte les résultats d'une expérience menée par Hulstijn (dans : Bogaards, 1988 : 24) qui "n'a pas pu constater de différences dans l'emploi du 'monitor' entre les apprenants qui avaient une connaissance explicite des règles en question et ceux qui ne savaient pas formuler ces règles". Néanmoins, il va du bon sens de supposer que le sujet doit connaître les règles pour contrôler consciemment sa production langagière.

En fonction du degré d'utilisation du monitor, Krashen (1988 : 4) distingue deux types d'apprenants : celui qui utilise trop le monitor, le "overuser", et celui qui ne l'utilise pas assez, le "underuser" :

‘"monitor 'overusers' are performers who feel they must 'know the rule' for everything and do not entirely trust their feel for grammaticaly in the second language." Krashen (1988 : 4)’

Un apprenant qui utilise trop la fonction de contrôle, n'a pas confiance dans son intuition : par rapport à la grammaire de la langue étrangère, il souhaite, par exemple, connaître toutes les règles. Ce type d'apprenant peut produire un très bon discours écrit, mais quand il parle, il fait de nombreuses pauses (permettant de réfléchir et d'utiliser la fonction de contrôle). Ces apprenants sont d'ailleurs souvent introvertis. A l'opposé il existe d'après Krashen (1988), le monitor "underuser" :

‘"At the other extreme is the 'underuser', who appears to be entirely depend on what he can 'pick up' of the second language. Underusers seem to be immune to error correction, and do not perform well on 'grammar' tests. They may acquire a great deal of the target language, however, and often use quite complex constructions." Krashen (1988 : 5)’

Les apprenants qui sous-utilisent la fonction de contrôle semblent être dépendants de ce qu'ils ont intégré de la langue étrangère. Ils apparaissent comme étant peu influençables par rapport à la correction des erreurs. De plus, ils ne sont pas très performants dans les tests de grammaire bien qu'ils utilisent souvent des constructions assez compliquées. Ces apprenants, qui vivent d'ailleurs souvent dans le pays où la langue est parlée ou qui sont exposés à une utilisation fréquente de la langue, jugent par leur sentiment si une phrase est correcte ou non. Ils utilisent d'une manière inconsciente leur système des règles linguistiques.

Par ailleurs, il existe d'autres facteurs qui peuvent influencer l'utilisation du monitor par le sujet dans le contrôle des productions de l'apprenant : l'état de fatigue et la motivation qui se répercutent dans le degré d'attention de l'apprenant, ainsi que le type d'apprenant. Sachant que les apprenants n'utilisent pas le "monitor" de la même manière, l'enseignant peut ensuite poser la question s'il faut renforcer les apprenants dans leur comportement cognitif en leur proposant un travail lexical adapté à leur style d'apprenant, ou s'il convient au contraire les inciter à changer leur "comportement de contrôle". On pourrait trouver des arguments pour les deux cas : une surveillance trop importante des productions langagières peut empêcher chez le sujet une certaine spontanéité et réduire la créativité dans la construction d'hypothèses langagières. En contrepartie, le développement de la conscience langagière peut être favorable pour un travail ultérieur d'autocorrection.

En outre, le moment d'apprentissage semble influencer la nécessité de l'utilisation du monitor. Vygotsky (1985) postule, par exemple, que le savoir explicite des règles n'est pas nécessaire au stade précoce du développement de l'interlangue et que la conscience ainsi que la connaissance des règles n'interviendrait que tardivement :

‘"La conscience et le contrôle apparaissent seulement à un stade tardif dans le développement d'une fonction, après qu'elle a été utilisée et pratiquée inconsciemment et spontanément. Pour soumettre une fonction au contrôle intellectuel, nous devons d'abord la posséder. (Vygotsky, dans : Jisa, 1994 : 24) ’

Par rapport à la nécessite d'utilisation du "monitor", nous ne pouvons donc pas donner de réponse "standard". Il convient plutôt d'apprécier, en connaissance de ces différentes données concernant un apprenant en particulier, quel degré de contrôle semble être important à un moment donné et s'il convient d'inciter l'apprenant à changer son comportement de contrôle afin d'obtenir une meilleure intégration des informations lexicales dans le système langagier.