3.1.1. Importance de l'input

Par "input", on comprend généralement l'ensemble des données et informations que l'apprenant reçoit en langue cible. Quel est son rôle et comment l'apprenant le traite-t-il ? En fonction de l'approche théorique sous-jacente, son rôle varie et sa forme de présentation change par conséquent : pour les béhavioristes, l'input intervient (sous forme de la langue présentée à l'apprenant) sous forme de "stimuli" et de "feedback" (Verdan, 1989 : 31). Le programme enseigné est organisé en fonction de critères de difficultés et avec une progression contrôlée. Dans la perspective des nativistes, l'input est "un déclencheur qui active les mécanismes internes" (Verdan, 1989 : 31). Or, cette approche s'intéresse surtout aux données proposées en amont du processus d'apprentissage. On peut donc lui reprocher que les caractéristiques de l'input ne peuvent pas vraiment expliquer les aspects de l'output. Enfin, l'approche "interactionniste" s'intéresse avant tout à l'interaction entre les capacités mentales de l'apprenant et l'environnement linguistique (Verdan, 1989 : 31). L'input détermine les mécanismes du développement de l'apprenant, mais il est modifié en fonction des mécanismes internes de l'apprenant.

En comparant ces trois approches, nous remarquons des différences considérables qui se reflètent dans la présentation et l'organisation des données langagières destinées à l'apprenant. Les béhavioristes ont tendance à vouloir trop contrôler la progression langagière. De cette manière, il peut y avoir une négligence de l'ordre naturel d'acquisition des éléments linguistiques. Les nativistes risquent de ne pas tenir suffisamment compte du but d'apprentissage et du comportement autonome de l'apprenant. L'approche interactionniste, qui prend à la fois en compte les caractéristiques spécifiques de l'environnement linguistique et qui réserve une possibilité d'influence pour l'apprenant, semble cependant être très proche de la construction naturelle de l'interlangue. Par ailleurs, les recherches récentes sur le développement de l'interlangue montrent que l'apprenant traite activement les données de "l'input" et que ce traitement est influencé par un certain nombre de caractéristiques spécifiques à l'apprenant. Néanmoins, il faut admettre que l'organisme humain (et celui de l'ensemble des apprenants) a tendance à travailler sous le principe de l'économie cognitive et qu'il a donc besoin d'être motivé afin de s'investir dans un travail "fatigant". En outre, le sujet ne traite que les données langagières qui l'intéressent. Ces dernières sont transformées en "intake" :

Figure 5 : le traitement des données langagières en provenance de l'environnement de l'apprenant (inspiré de Tönshoff, 1995)
Figure 5 : le traitement des données langagières en provenance de l'environnement de l'apprenant (inspiré de Tönshoff, 1995)

Le traitement des données langagières peut être symbolisé de la manière suivante : à travers son appareil perceptif (oreilles, yeux), l'apprenant perçoit des informations langagières et culturelles, nommées "input". Pour pouvoir les utiliser dans la construction de l'interlangue, il doit d'une part, les sélectionner et d'autre part, les comprendre. Deux conditions sont essentielles pour que l'input reçu en langue cible se transforme en "intake" (Krashen, 1988 : 110) : premièrement, les informations de l'input doivent passer le filtre affectif et deuxièmement, l'apprenant doit posséder les connaissances suffisantes pour traiter et comprendre cet input. Dans des conditions optimales, l'input doit avoir un niveau légèrement supérieur à celui existant au moment de la confrontation avec l'input :

‘"[the] input includes structures that are "just beyond" the acquiers's current level of competence, and that it tends to get progressively more complex." (Krashen, 1988 : 103)’

Pour la sélection des informations, nous pouvons imaginer la métaphore d'un filtre. En effet, l'apprenant est limité dans la capacité de sa mémoire de travail et il doit sélectionner, dans un processus conscient ou inconscient, une partie de l'input (les informations qui lui semblent être intéressantes) pour un traitement cognitif plus élaboré (Vogel, 1990 : 104). Une attention plus ou moins grande sur certains éléments de l'input lui permet ainsi de mettre en valeur ou d’affaiblir les informations de l'input. Il se base pour cela sur les critères personnels comme son niveau d'interlangue, sa motivation, son attitude ainsi que sur sa disposition à recevoir des informations. Ensuite, les informations langagières sélectionnées doivent être comprises et elle constituent la base linguistique qui servira à l'élaboration des hypothèses langagières.

La compréhension des données langagières est un processus actif qui se déroule progressivement d'une manière successive ou intégrative (Hörmann, dans : Vogel, 1990 : 103) : tout d'abord, l’apprenant identifie les structures de surface à l'aide des informations contextuelles et de ses connaissances du monde. Pour cela, il se sert de différentes stratégies cognitives permettant une segmentation phonétique, phonologique, syntaxique et sémantique des structures de surface. Pour y parvenir, l'apprenant doit maîtriser deux facteurs : premièrement, il doit posséder les capacités cognitives pour pouvoir segmenter les différents types d'informations (faute de connaissances linguistiques suffisantes pour la compréhension de l’input, l'apprenant doit utiliser des stratégies d’inférence, de compensation et de devinement). Deuxièmement, son niveau d'interlangue doit être suffisant pour pouvoir y intégrer les nouvelles données linguistiques. Ainsi, l'input ne doit pas être trop compliqué, mais il doit fournir suffisamment de difficultés et d'informations pour rentrer dans la zone "proximale de développement" décrite par Vygotsky (1985). Lorsque le niveau d'interlangue ne permet pas de saisir et de comprendre les éléments constituant cet input langagier, l’apprenant ne peut pas en profiter pleinement. Cela est, par exemple, le cas pendant des situations de communication où un locuteur natif emploie une forme "correcte" dans un discours sans que l’apprenant arrive à la saisir correctement. Giaccobbé (1992 : 33) appelle ce phénomène la "surdité sélective de l’interaction".

Dans un second temps, l'apprenant construit les structures langagières profondes, c'est-à-dire les interprétations sémantiques par rapport au message textuel de l'input. L'interprétation sémantique est terminée lorsque l'apprenant a construit des propositions au niveau profond et qu'il a reformulé le message textuel en y intégrant ses propres connaissances.

Après avoir étudié le traitement cognitif de l'input, une question importante resurgit : comment un input "idéal" se présente-t-il ? A priori, un input est parfaitement adapté, lorsqu'il correspond aux besoins d'un apprenant. Ces besoins dépendent de la difficulté à traiter cet input et des occasions ultérieures pour une utilisation de la langue cible. En effet, pour que l'input présenté à l'apprenant rende possible une acquisition langagière, il doit posséder un niveau de difficulté adapté au développement lexical de l'apprenant (Leutner, dans : Klein, 2000 : 15). En empruntant les mots de Krashen (1988 : 101), les textes idéaux fournissent des informations lexicales que l'apprenant pourra transformer en "intake" et qui comportent des informations lexicales que la mémoire est apte à traiter.

Par ailleurs, on constate que les apprenants comprennent plus qu'ils n'apprennent et ne produisent : un "input compris n'est [alors] pas toujours un input appris" (Vogel, 1995 : 14). Pour qu'il y ait une vraie mémorisation de l'input et une intégration dans un système d'interlangue, l'apprentissage doit être lié à des réels besoins communicationnels, des stratégies de mémorisation et une attitude psychique et sociale qui favorise le désir d'intégration de nouvelles données langagières dans le savoir interlingual. Ainsi, une présentation de l'input dans une optique fonctionnelle devrait augmenter le degré d'intégration des éléments langagiers dans l'interlangue; à condition qu'il corresponde au niveau de l'interlangue de l'apprenant et que celui-ci puisse employer des stratégies cognitives nécessaires.

Comment une adaptation de l'input par rapport à l'utilisation ultérieure de la langue peut-elle se faire ? En effet, les apprenants seront amenés, dans le futur, à communiquer avec un natif ou encore à travailler sur des écrits authentiques en langue allemande. Pour préparer les apprenants, une solution est d'utiliser en cours de langue des documents authentiques. Ces derniers ont un caractère réel et ils contiennent des unités lexicales couramment utilisées par les locuteurs natifs. Néanmoins, l'utilisation de documents "arrachés au monde extérieur" présente le risque de ne plus permettre la même progression que les textes préfabriqués et/ou didactisés (Galisson, 1980 : 87) :

‘"L'intromission de documents dont le contenu linguistique échappe à toute prémédiation, pose des problèmes à l'enseignant habitué à suivre une progression. C'est d'ailleurs pourquoi l'essor de l'authentique est généralement lié au déclin de la progression, au moins de la progression formulée, telle que l'entendent les mécanicistes." (Galisson, 1980 : 87)’

Les textes présentés en courssont alors censés répondre à un triple défi : correspondre au niveau langagier de l'apprenant, poursuivre un but fonctionnel et être suffisamment "authentiques" pour préparer les apprenants à des situations de communication réelles. Plus le niveau langagier de l'apprenant est faible, plus le défi est important et le problème est "d'autant plus aigu que le niveau de connaissances est faible" (Galisson, 1980 : 87).

Une solution est la didactisation des documents authentiques utilisés en cours de langue. De cette manière, il est possible de réduire la difficulté langagière des documents et d'inciter les apprenants à travailler sur des points précis. En outre, il serait possible d'effectuer en cours de langue un travail sur l'utilisation des stratégies cognitives et de jouer sur le temps de traitement. En effet, lorsque l'apprenant possède suffisamment de temps pour traiter une difficulté langagière (permettant, par exemple, des stratégies d'inférence), il peut plus facilement faire face à un problème d'incompréhension de l'input.