3.1.2. Le texte

Le texte écrit est une source importante pour l'input linguistique en langue cible et c'est à travers la lecture que l'apprenant prend connaissance des éléments langagiers et des unités lexicales. Comment l'apprenant parvient-il cependant à extraire les informations permettant son développement lexical ? Nous allons étudier ci-dessous différents processus de lecture, le comportement des apprenants lors d'un travail de compréhension textuelle ainsi que les aides didactiques de la part de l'enseignant.

Le processus de lecture est une activité cognitive complexe qui nécessite la prise en compte des informations présentées dans le texte et leur combinaison avec le message que l'énonciateur cherche à transmettre. Ainsi, en appréhendant le texte à travers le regard, le lecteur interprète et anticipe le message textuel en cherchant des repères. Lire c'est donc "tisser des liens" (Van Cleeff, 1998 : 94). Or, le lecteur reconstruit le texte aussi en fonction de sa compétence personnelle en utilisant deux processus généraux : le processus "top-down" et le processus "bottom-up". Pour le processus "top-down", la compréhension des unités lexicales dans le texte commence avec les informations générales en progressant vers les détails. Dans le cas du processus "bottom-up", le lecteur procède en sens inverse. Il démarre avec les informations détaillées en essayant de les intégrer dans un ensemble global.

La compréhension du message textuel nécessite une multitude de processus cognitifs qui interviennent "d'une manière simultanée et en interaction" (Fayol, 1992). Ils servent à identifier et à combiner l'ensemble des informations présentes dans un texte ainsi qu'avec les connaissances du lecteur. Le tableau ci-dessous, qui se base sur les travaux de Giasson (1990) et Malheiros-Poulet (1996), permet de distinguer cinq processus :

Figure 6: différents processus intervenant pendant la compréhension, d'après Jocelyne Giasson (1990)
Figure 6: différents processus intervenant pendant la compréhension, d'après Jocelyne Giasson (1990)

Dans ce modèle, le macroprocessus assure une identification des idées principales, alors que le microprocessus permet une concentration sur des unités minimales comme, par exemple, la forme graphique ou la signification d'un mot. Ensuite, il convient de traiter les informations : à cette fin, le processus d'intégration contribue à la reformulation des idées exprimées par l'auteur. En outre, on peut distinguer les "inférences par défaut" et les "inférences raisonnées" servant à construire des réseaux proportionnels (Marzano et Paynter, 2000 : 52). Les inférences par défaut se forment automatiquement en raison de l'activation cognitive qui se répand dans des "réseaux précablés" (Fayol, 1992 : 81), alors que l'inférence raisonnée nécessite une activité volontaire du lecteur. Le processus d'élaboration permet un traitement cognitif des informations extraites du texte avec l'ensemble des représentations mentales. Enfin, le lecteur attribue une partie de son attention à une activité métacognitive qui lui permet de surveiller sa compréhension du message textuel.

Qu'est-ce qui se passe maintenant pendant la lecture d'un texte en langue étrangère ? Certes, les apprenants peuvent transférer leurs connaissances développées pour la lecture en langue maternelle, mais ils doivent faire face à une difficulté spécifique : ils ne connaissent pas toutes les unités lexicales utilisées dans le texte et il convient de développer des stratégies permettant de combler cette lacune. C. Casadei Pietraroia (2001) a observé que le degré d'automatisation des différents processus n'est pas le même pendant la lecture en langue étrangère et que les apprenants connaissent des difficultés dans l'utilisation des stratégies de haut niveau.

Nos propres observations correspondent à celles décrites par Pietraroia : les apprenants d'allemand en cours institutionnalisé demandent des explications de vocabulaire sans attendre la suite de la phrase, alors que celle-ci aurait pu lui fournir les informations nécessaires à la compréhension du terme inconnu. Par ailleurs, nous avons vu le même comportement chez un enfant bilingue français-allemand en CE1 qui apprenait à lire en allemand (après avoir appris à lire en français) : cet enfant s'est arrêté à chaque terme inconnu en demandant une explication.

Pietraroia interprête ces observations par le fait que les lecteurs ont souvent du mal à établir une cohérence textuelle ou à inférer la signification d'une unité lexicale en combinant la cohérence textuelle avec les connaissances du monde. On pourrait imaginer qu'il s'agisse ici d'un phénomène de surcharge cognitive qui est provoqué par un travail supplémentaire de décodage des unités lexicales. Une autre raison peut être un manque d'entraînement, c'est-à-dire un manque de développement des connaissances procédurales que l'on pourrait améliorer par des tâches qui visent cette compétence.

Comment l'enseignant peut-il aider les apprenants à mieux comprendre un texte ? Pietraroia propose que l'enseignant introduise la thématique d'un texte avant d'aborder le texte même. Le processus d'amorçage sémantique qui a pour effet d'activer des représentations mentales par rapport au sujet évoqué devrait alors faciliter l'inférence lexicale. Ainsi, l'enseignant pourrait, par exemple, parler des fêtes de fin d'année avant de donner aux apprenants un texte sur ce sujet.

Cependant, posséder des connaissances du monde par rapport à un sujet ne garantit pas le décodage des unités lexicales inconnues. En effet, C. Casadei Pietraroia (2001) rapporte que les faibles lecteurs prêtent souvent peu d'attention aux éléments formels et qu'ils montrent parfois une incapacité à analyser les éléments formels présents dans le texte. Une explication serait l'attitude de lecture décrite par Malheiros-Poulet (1996) : "plus le schéma du contenu est connu, plus le lecteur va vers le texte, et à l'inverse, plus le schéma du contenu est méconnu, plus le lecteur recherche des pistes vers la microstructure linguistique". Une autre raison pour les difficultés de compréhension d'un texte en langue étrangère peut être un manque d'utilisation des stratégies de lecture pour décoder la signification des unités lexicales inconnues. Il nous paraît donc important de former les apprenants au décodage des unités lexicales en leur présentant des stratégies possibles, ainsi que des exercices d'entraînement.