3.1.4. Le son

Un apprenant peut être en contact avec un input sonore varié sur des cassettes audio ou vidéo, les cédéroms ou encore l'Internet. Au lieu de voir la forme graphique (comme pour la lecture des unités lexicales), il doit construire le sens lexical à partir d'un flux sonore. En faisant intervenir différentes stratégies (de compréhension écrite), l'auditeur procède à une reformulation du message sonore. Comment procède-t-il pour comprendre l'input linguistique et de quelle manière le son peut-il contribuer à l'apprentissage lexical ? Nous tenterons de répondre à ces questions en évoquant les processus et stratégies engagés par l'apprenant et en étudiant leur effet sur la mémorisation du vocabulaire.

Le processus de compréhension se déroule en plusieurs étapes. Tout d'abord, l'apprenant doit segmenter le flux sonore composé d'unités lexicales et de phrases. Pour un apprenant peu habitué et possédant des compétences langagières limitées, la vitesse d'énonciation peut représenter une difficulté importante. Il se pose donc la question du niveau de débit recommandé. Les recherches à ce sujet sont contradictoires : Rader (dans : Cornaire et Germain, 1998 : 105) propose, après avoir constaté dans ses expériences que les sujets sont arrivés à surmonter cette difficulté, de ne pas ralentir le débit du flux sonore. Griffits (dans : Cornaire et Germain, 1998 : 106) postule qu'un débit plus lent (entre 2 et 2,5 syllabes par seconde) favoriserait la compréhension des textes narratifs chez les apprenants adultes d'un niveau intermédiaire faible.

Si on suppose que la segmentation des unités lexicales fait intervenir des connaissances procédurales qui peuvent être améliorées par des activités d'entraînement et si un apprentissage a lieu par des zones de développement successives, on devrait donner raison à la deuxième hypothèse et argumenter en faveur d'une progression du débit sonore. Même si le but final d'un exercice de compréhension orale est la maîtrise des situations authentiques, il semble être utile de ne pas décourager les apprenants par des exigences trop ambitieuses en leur laissant le temps de développer des compétences d'écoute. En plus de la segmentation du flux sonore, la compréhension des unités lexicales nécessite une activation des connaissances déclaratives, c'est-à-dire des schèmes ou concepts mentaux permettant la construction d'une représentation mentale du message sonore. En accordant plus de temps à l'apprenant, cette activation des connaissances déclaratives devrait être plus facile. Au fur et à mesure, l'apprenant gagne en compétences procédurales pour l'activation de ces concepts et un débit plus rapide devrait le gêner moins qu'au début. En progressant pas à pas, l'apprenant est ainsi préparé à affronter le débit d'un locuteur natif. Néanmoins, dans la pratique de l'enseignement, il est encore difficile de trouver des enregistrements permettant de régler le débit des paroles (une évolution technique des cédéroms le permettrait cependant). Jusqu'au développement d'outils techniques plus élaborés, l'apprenant doit se contenter d'un entraînement fréquent sur un débit fixe.

En ce qui concerne les stratégies utilisées pendant les tâches de compréhension orale (utilisation des connaissances antérieures, inférence et la gestion de l'activité) on peut se demander si elles ressemblent à celles employées lors de la compréhension écrite. En se basant sur les travaux de Rost et Ross (1991), Cornaire et Germain (1998 : 63) rapportent que des apprenants de compétences langagières différentes s'en servent d'une manière inégale. En effet, les débutants s'appuient davantage sur la redondance lexicale, alors que les sujets plus compétents se servent plus souvent de l'inférence. De plus, les apprenants semblent adapter leurs stratégies de construction du sens en fonction du contexte. Ainsi, lorsque celui-ci est incertain, Lund (dans : Cornaire et Germain, 1998 : 62) a observé que les auditeurs tiennent compte essentiellement de la microstructure et se servent des stratégies inverses le cas échéant.

Néanmoins, il convient, à notre avis, de rester prudent quant à l'utilisation pour la compréhension orale, des résultats de recherche menées pour la compréhension écrite : en effet, il existe des différences entre ces deux compétences : ainsi, dans une situation en compréhension écrite, on sait que les apprenants disposent de plus de temps pour parcourir un texte écrit à leur vitesse, pour décoder davantage d'unités lexicales et pour rapporter plus d'idées. Le document sonore permet, au contraire, à l'apprenant une interprétation des pauses, de la prosodie et de l'intonation du locuteur (inflexions, pauses, phénomènes d'articulation, rires, soupirs, etc.), ainsi que du bruitage fabriqué et recomposé en studio (pas, chute d'objets, klaxon, sonneries, etc.). De plus, la musique peut renforcer l'ambiance situationnelle. Même si le document sonore avec un débit rapide semble être plus difficile à comprendre qu'un texte écrit, il peut contenir plus d'indices pour une activation de la signification lexicale et soutenir la compréhension du message du document.

En ce qui concerne l'effet sur la mémorisation des informations sémantiques véhiculées à travers le son, il convient de tenir compte des spécificités de la mémoire. Un décodage répété des unités lexicales et une activation conséquente dans un contexte spécifique devraient contribuer à rendre plus disponibles les unités lexicales enregistrées auparavant dans la mémoire passive. En outre, Cornaire et Germain (1998 : 38) notent que l'auditeur ne retiendra, du fait d'une surcharge de la mémoire de travail et son incapacité à retenir toutes les unités lexicales perçues, "que le sens global de chacune des propositions". Dans le cas d'un film vidéo, la double sollicitation de la mémoire avec une combinaison "son-image" peut faciliter la mémorisation des unités lexicales. Elle reste néanmoins très fatigante et au-delà de trois minutes d'écoute, les efforts d'attention semblent surcharger la mémoire à court terme (Cornaire et Germain, 1998 : 126).

Comment peut-on concevoir une activité de compréhension orale idéale d'après ces observations ? En tenant compte des différents facteurs mentionnés ci-dessus, nous préconisons le respect d'une démarche progressive, aussi bien pour le débit que pour la complexité du sujet traité, ainsi les documents sonores fournissant des indices d'interprétation au niveau du rythme, de l'intonation et des pauses. En outre, le document sonore "idéal" doit faciliter l'activation des connaissances antérieures et permettre une anticipation des éléments évoqués. Il doit également susciter l'intérêt de l'apprenant afin de le motiver à faire un effort cognitif suffisant. Enfin, le document sonore peut gagner en utilité si les progrès réalisés sont "transférables ou réinvestis dans d'autres activités scolaires" (Cornaires et Germain, 1998 : 157).