3.2.1. Présentation du vocabulaire

Pour pouvoir présenter du vocabulaire nouveau aux apprenants, l'enseignant se sert principalement des supports pédagogiques dont nous venons d'évoquer les caractéristiques. En outre, dans les cours de langue dispensés en présence de l'enseignant, il peut s'adresser oralement aux apprenants en langue cible et expliquer par ce biais les unités lexicales nouvelles. Dans les deux cas, le but est que l'apprenant transforme "l'input linguistique" en "intake" et qu'il en profite pour développer son interlangue. A cette fin, rien ne peut être laissé au hasard; il convient de préparer la présentation du vocabulaire. Ainsi, la difficulté de l'input doit être adaptée au niveau de l'interlangue du sujet, l'apprenant doit pouvoir correctement percevoir les informations lexicales et il convient de réfléchir sur une organisation préalable des unités lexicales par l'enseignant.

En ce qui concerne la difficulté de l'input langagier, nous avons déjà évoqué qu'il est important de tenir compte de la "zone proximale de développement" (Vygotsky (1985). Dans la même optique, Krashen (1988) réclame pour le discours oral l'emploi d'un "caretakerspeech" où l'enseignant adapte son discours au niveau langagier de l'apprenant. Cette adaptation consciente à l'apprenant est justement un grand avantage des cours institutionnalisés. En tenant compte du niveau langagier de l'apprenant, on peut espérer obtenir un "intake" plus élevé.

Néanmoins, la notion "d'adaptation de la difficulté de l'input" nécessite des précisions supplémentaires par rapport à sa forme de présentation et concernant la compréhension de la signification. Klein (2000 : 15) rapporte dans ses travaux qu'il a pu être démontré par des recherches scientifiques que la forme de présentationdu contenu d'apprentissage s'avère importante. Nous proposons d'étudier à ce sujet si une organisation préalable des unités lexicales peut être utile et quels sont les avantages d'une présentation du vocabulaire en contexte.

Convient-il d'organiser le vocabulaire avant de le soumettre aux apprenants ? Pour pouvoir répondre à cette question, nous devons prendre en compte deux aspects importants qui sont d'une part, le comportement de perception des apprenants, ainsi que la préparation à une mémorisation des informations langagières. Afin de préparer la perception des données langagières, Beheydt (dans : Vogel, 1995 : 184) postule qu’une" présentation du vocabulaire organisée d’avance selon des critères sémantiques (par exemple, en champs lexicaux), doit être plus efficace qu’une présentation purement au hasard". Ainsi, il préconise une clarté dans l'organisation du cours. De cette manière, Beheydt met l'accent sur le comportement de perception et l'activité de sélection des données langagières. En effet, c'est la fonction de "filtre" (voir point 3.1.1.) qui détermine la proportion de "l'intake". Par ailleurs, la mémoire de travail a une capacité de traitement limitée et lorsque l'on souhaite que l'apprenant traite un maximum d'informations, il est souhaitable de la décharger d'un travail de "mise en ordre" en proposant à l'apprenant un contenu linguistique organisé d'avance.

Concernant la préparation à la mémorisation des unités lexicales, Fillmore (dans : Vogel, 1995) affirme le caractère individuel de l’interlangue et il postule que "la catégorisation est basée sur les expériences de chacun". Chaque individu catégorise et structure les éléments du lexique différemment et en fonction de ses expériences. Dubois (1991) affirme à ce sujet que les "processus perceptifs cognitifs humains sont adaptés à repérer les discontinuités, corrélations et similitudes de formes". Cela devrait permettre à l'apprenant d'organiser lui-même le vocabulaire. Dans cette optique, il est alors difficile d’organiser le lexique à la place d’un apprenant. C’est à lui d'intégrer le vocabulaire nouveau dans son interlangue, à partir de son état de connaissances et de ses expériences du monde. Ce travail l'oblige de plus à faire un effort cognitif. Suivant le concept de la profondeur de traitement mentionné par Craik et Lockhard (1972), il en profitera ensuite par l'effet positif sur la mémorisation des unités lexicales. En tenant compte de ces arguments, il ne peut être que positif de laisser l’apprenant structurer ses connaissances lexicales individuellement. En contrepartie, c'est à l'enseignant de fournir des aides méthodologiques en proposant, par exemple, différentes stratégies d'organisation du lexique.

Ensuite, un enseignant peut se demander s'il est préférable de présenter les unités lexicales nouvelles dans un contexte précis (un texte écrit) où s'il vaudrait mieux présenter les unités lexicales "hors contexte". Une réflexion à ce sujet demande une comparaison des deux possibilités et une discussion des conditions d'apprentissage de l'ensemble des informations lexicales.

Commençons par une présentation du vocabulaire "hors contexte". Nous avons pu observer cette forme de présentation des unités lexicales dans des classes d'apprenants d'un niveau débutant à l'école primaire et au collège. Une raison pour une telle pratique pourrait être que l'enseignant n'a pas voulu confronter les apprenants avec des phrases complexes contenant du vocabulaire qui ne fait pas partie du thème abordé. Or, l'apprentissage des unités lexicales nécessite de connaître leur fonctionnement syntaxique et contextuel, et celui-ci ne peut pas être acquis en étudiant les unités lexicales "hors contexte". Pour les unités lexicales polysémiques, il est possible d'énumérer les différentes significations possibles, mais celles-ci restent relativement abstraites et sans utilité didactique si la présentation n'assure pas leur emploi correct ultérieur. Enfin, une prise de connaissance de la signification des unités lexicales se limite aux traits sémantiques extrinsèques. Ainsi, l’apprentissage du vocabulaire "hors contexte" (comme sur des listes bilingues) ne semble pas être efficace pour son utilisation ultérieure.

La présentation du vocabulaire "en contexte" permet, au contraire, une étude du sens actualisé des unités lexicales, de leur fonctionnement syntaxique et de leur emploi contextuel. Il convient cependant de privilégier des documents authentiques contenant un choix des unités lexicales correspondant à l’utilisation effective par les locuteurs natifs. Aussi, une présentation des unités lexicales "en contexte" peut-elle faciliter l'accès à leurs significations. Grâce aux liens contextuels, c'est-à-dire la cohérence et la cohésion textuelle, le recours aux stratégies de devinement et d'inférence devient possible. Il appartient ensuite à l'enseignant d'encourager et d'encadrer les apprenants dans ce travail.

Afin de permettre la compréhension des unités lexicales et l'accès à leur signification, l'enseignant peut opter pour deux approches différentes : l'approche globale ou l'approche de l'analyse sémique. Dans l’approche globale, la signification naît par voie référentielle ou situationnelle en montrant, par exemple, des images ou des objets. L’image de la chose pour laquelle l’apprenant apprend le signifiant, stimule "l’intérêt de l’élève et légitime le discours, élucide les termes inconnus et fait apparaître la spécificité de la langue" Galisson (1979). L'enseignant n’explique ni la signification d’un terme nouveau ni son comportement syntaxique et l’apprenant est censé de comprendre la signification par un contact visuel et sonore. Ainsi, l’enseignant va montrer un objet en même temps qu'il va prononcer le mot nouveau. Pour enseigner une unité lexicale dont on peut difficilement montrer la signification en classe comme, par exemple, le mot "cave", il prononce une phrase qui contient le mot nouveau comme "je vais descendre à la cave chercher du bon vin". Le mot "descendre" explique que la cave se trouve "en bas" et à partir des mots "vin" et "aller chercher", l’apprenant peut déduire que la cave sert à stocker du vin.

L’approche de l’analyse sémique comprend un travail sur les traits sémantiques des unités lexicales en tenant compte à la fois de la signification en langue et en discours. Le point de départ dans l’analyse sémique est le discours. Il convient de dégager en contexte le contenu sémantique en tenant compte des co-occurrents du mot nouveau. Cette analyse est succédée d'une étude contrastive du sens en décomposant les significations des différents termes en unités minimales de signification (sèmes) et en l'opposant à un terme lexical similaire (voir l'exemple des unités lexicales "Containerschiff" et "Passagierschiff", chapitre 1, point 3.1.2.). Par la confrontation des sèmes, on arrive à dégager les propriétés spécifiques de l'unité lexicale nouvelle. Plus le nombre de termes du champ lexical augmente, plus le sens de chacun d’eux s’affirme (à cause d’une augmentation de confrontation avec d’autres propriétés). Lors d’une troisième étape, on procède à une actualisation sémique qui permet de pondérer le contenu sémantique en fonction du contexte initial. Ainsi, on supprime les inconvénients de l’analyse sémique qui est pratiquée isolément.

Laquelle des deux approches convient-il d'utiliser en cours de langue ? Bien que les apprenants aiment regarder les images et les objets, l’approche globale semble être insuffisante lorsque les images et objets ne permettent pas de révéler tous les aspects d'une signification. De plus, une image ne peut pas véhiculer la valeur culturelle d’un signifié. Galisson admet aussi que l’approche globale s’appuie trop sur les éléments extralinguistques et il propose de retirer progressivement, au fur et à mesure que les connaissances de l’apprenant augmentent, la partie extralinguistique en introduisant un travail sur les co-occurrents. Ainsi, il est possible d'obtenir une acquisition progressive des indications. En contrepartie, l'analyse sémique aide les apprenants à acquérir des connaissances précises sur les propriétés des termes et d’anticiper certains risques d’interférences intralinguales. Cet enseignement est alors plus complet que l’analyse globale. Néanmoins, il demande plus de temps et une formation spécifique des apprenants s'impose.

En outre, beaucoup d'unités lexicales ont un contenu sémantique assez important et l’enseignant peut se demander s’il doit enseigner la totalité du contenu sémantique des unités lexicales et dans quel ordre il doit présenter les différentes acceptations sémantiques. En effet, deux positions existent : soit l'enseignant explique l'ensemble des significations possibles, soit il se contente d'enseigner uniquement la signification actualisée dans un contexte donné. La première possibilité est celle qui est défendue par Castellotti (1995 : 46). Elle postule que "l'apprentissage d'une totalité est plus efficace que l'apprentissage des parties qui constituent l'ensemble". Castellotti préconise alors un "l'apprentissage concentré". Au contraire, Rosch (1987 : 59) adopte la deuxième solution et elle postule qu’il est plus efficace de "présenter [d’abord] les acceptations centrales". Cet "apprentissage dilué" permet ainsi de se concentrer sur un point spécifique, de le comprendre et de l'intégrer dans l'interlangue.

En tenant compte du fonctionnement de la mémoire et du besoin d'utilisation des unités lexicales dans un contexte, nous préconisons pour les unités lexicales polysémiques un apprentissage progressif des différentes significations et leur étude en fonction des textes étudiés. Lorsque l'apprenant acquiert le sens actualisé d'une unité lexicale dans un contexte, il peut l'associer avec le contexte étudié. Lorsqu'il rencontre le même contexte à un moment ultérieur, il peut activer cette unité lexicale plus facilement du fait de l'existence de traces mnésiques. En outre, un apprentissage espacé des différentes significations peut éviter des interférences entre les significations trop proches.