2.3. Interactivité et interaction

Les didacticiens estiment que le degré d'interactivité est un critère important pour l'évaluation des programmes multimédia. Selon les différents environnements multimédia, l'interactivité se déroule soit d'une manière synchrone lorsqu'il s'agit de programmes sur cédéroms ou le réseau Internet, soit d'une manière asynchrone pendant l'interaction avec d'autres personnes (experts, tuteurs, autres apprenants, partenaires tandem). Quelle réalité se cache-t-il derrière le concept de l'interactivité ? Peut-on effectivement qualifier les produits multimédia comme étant "interactifs" ? Après une définition du concept de l'interactivité et d'une distinction par rapport au concept de l'interaction, nous proposerons de considérer différents degrés d'interactivité. En outre, nous essayerons de montrer les difficultés et les limites rencontrées pour l'apprentissage lexical.

A l'origine, le terme "interactivité" provient des sciences humaines (Baumgartner, Payr, 1999 : 129). Or, en relation avec l'ordinateur, on observe une déviation de la dimension humaine de ce concept, vers l'aspect technique. Le dictionnaire "Le Robert pour tous" (1994 : 615) confirme, par ailleurs, l'importance de l'aspect technique et le rapport instrumentaliste avec la machine. Ainsi, l'interactivité permet un "échange aisé entre l'utilisateur d'un ordinateur et la machine". On peut se demander à présent s'il suffit de s'arrêter au modèle d'une simple transmission d'informations ou s'il ne convient pas d'élargir le concept de l'interactivité. Baumgartner et Payr (1999 : 128) défendent la thèse selon laquelle l'utilisateur doit être intégré dans les processus d'information, de communication et d'apprentissage :

‘"Unter Interaktivität meinen wir hier die Möglichkeit, daß der Benutzer nicht bloß Rezipient ist, sondern in den medial vermittelten Informations-, Kommunikations, und Lernprozeß gestaltend einbezogen ist." (Baumgartner et Payr, 1999 : 128) ’

En outre, dans une approche interactionniste et pragmatique, Ellis (dans : Réseau, 2001 : 349) définit l'acquisition langagière comme le produit d'une interaction complexe entre l'environnement linguistique et les mécanismes internes de l'apprenant. Ainsi, on espère obtenir, par les conditions d'interactivité, un traitement "élaboratif" (Klein, 2000 : 14) où l'apprenant construit lui-même ses nouvelles connaissances dans le système des connaissances existantes.

L'interactivité ne se réduit donc pas à une simple transmission d'informations. L'utilisateur devient lui-même un "acteur" qui peut influencer, à travers la communication avec l'environnement informatique, le déroulement de son processus d'apprentissage. Lorsque nous comparons cette définition de l'interactitivité avec celle proposée par "Le Robert pour tous" (1994 : 615), ainsi qu’avec les travaux de Bange (1992) dans ce domaine, nous comprenons pourquoi le terme "interaction" est habituellement utilisé pour désigner un échange entre des acteurs humains. En effet, l'interaction est une "réaction réciproque" dans un système d'interdépendance : deux comportements s'influencent mutuellement.

En étudiant les échanges verbaux au cours d'une communication orale, Bange (1992) montre comment les comportements de deux acteurs peuvent s'influencer. Il a dégagé différents mouvements dans la communication qui obéissent à trois principes :

Transposé à la situation de travail avec un micro-ordinateur, un des "interlocuteurs" est une machine. Or, elle ne peut pas agir librement comme un être humain. Elle doit être programmée pour réagir aux interventions de l'apprenant. De ce fait, un vrai dialogue (correspondant au principe de Bange) entre l'apprenant et l'environnement multimédia n'est pas réalisable.

L'interaction suppose alors un comportement réfléchi de la part des deux acteurs participant à l'échange. Peut-on attribuer cette compétence à une machine ? Malgré des progrès de programmation en intelligence artificielle et les possibilités d'enregistrement des connaissances d'experts, ainsi que les recherches intéressantes entreprises sur l'utilisation des "mots-clefs" Demaizière (1986), la machine n'est pas en mesure de réagir face aux situations non programmées. Il lui manque un élément important de l'intelligence humaine. Pour cette raison, l'échange entre la machine et l'apprenant ne peut pas être qualifié "d'interaction".

Par ailleurs, dans une relation d'échange interactif, la machine fournit une réponse aux données saisies par l'apprenant. Cette réponse est appelée "feedback" et nous souhaitons savoir quelles sont les potentialités et les limites de la machine. Peut-elle effectivement remplacer la réponse donnée par un enseignant de langues ? Pour répondre à cette question, il nous semble important de considérer le critère du temps d'intervention, la quantité et la qualité des réponses. Par rapport à un enseignant de langues qui peut consacrer un temps limité à chaque apprenant et qui n'est pas disponible à tout moment, la machine peut être sollicitée à volonté. Elle peut fournir un feedback quasiment immédiat à condition de mettre à la disposition des apprenants suffisamment de machines. Certes, beaucoup d'institutions sont actuellement limitées dans leur budget consacré à l'informatique. La mise à disposition d'un ordinateur pour chaque apprenant n'est pas une réalité quotidienne (voir, une idée utopique pour le moment). Il convient donc d'organiser un roulement dans l'utilisation des machines.

Cet avantage dans la gestion du temps et l'individualisation de l'enseignement est contrecarré par le problème d'un traitement intelligent des réponses de l'apprenant et donc par la qualité du feedback. C'est sur ce point qu'il existe un écart considérable entre les capacités de l'être humain et de la machine. La machine sait vérifier les réponses pour les questions "vrai/faux", les questions à choix multiple ou un exercice lacunaire. Pour ces questions, il est possible de prévoir les réponses de l'apprenant, de prévoir la reconnaissance des réponses par le programme et de programmer les réponses de la machine en conséquence. Une vérification des réponses ouvertes s'avère beaucoup plus difficile du fait de l'impossibilité de prévoir toutes les réponses que l'utilisateur pourrait donner. La qualité du feedback devient alors moins intéressante.

Or, même si la machine n'est pas en mesure de fournir la même qualité de feedback qu'un être humain, elle peut répondre, en fonction de sa programmation, à différentes données saisies par l'utilisateur. Nous proposons d'évaluer le degré de l'interactivité à partir de deux critères différents : la répartition de la tâche de contrôle et le niveau d'adaptation de la machine à l'état des connaissances de l'apprenant.

En ce qui concerne la répartition de la tâche de contrôle, Mitschian (1999 : 125) postule, en se basant sur les travaux de Borsook/Higginbothan-Wheat (1991) que "plus le contrôle serait exercé par un des deux "acteurs" (machine ou utilisateur), moins il y aurait de l'interactivité". Dans une forme idéale, chacun des deux prendra le contrôle d'une manière équilibrée et en alternance. Le contrôle alterné entre la machine et l'utilisateur reflète une "interaction réciproque" puisque chacun des deux "acteurs" va influencer, par son contrôle, le comportement de l'autre. Ainsi, le concepteur-didacticien influencera (par la programmation de la machine) l'apprentissage de l'utilisateur tout en lui laissant une marge de manœuvre et de la liberté de décision.

Pour évaluer le degré d'adaptabilité du programme lui-même et donc son efficacité dans l'utilisation pour un apprentissage lexical, Chanier (dans : Réseau, 2001: 352) distingue trois niveaux d'interactivité qui vont d'une simple réaction de la machine vers une adaptation de la machine à l'état de connaissances de l'apprenant :

Ces trois niveaux d'interactivité supposent des investissements différents en programmation de la machine et une représentation des connaissances qui augmentent considérablement avec chaque degré d'interactivité. Du fait de contraintes techniques, on note pour un certain nombre d'environnements multimédia un degré d'interactivité relativement faible ce que Issing (dans : Klein, 2000 : 13) commente de la façon suivante :

‘"Die meisten auf dem Markt befindlichen Lernprogramme bieten Informationsformen an, die sich nur in der 1. bis 3. Stufe 11 bewegen. Dabei wird oft unter dem Etikett der 'Interaktivität' nur die 'Selektivität' angeboten. Die Lernenden können dabei aktiv höchstens (z.B. mit Hilfe der Maus) Inhalte und Objekte bestimmen und auswählen, bleiben jedoch in der Phase der Informationserschliessung weiterhin wie bei den linearen Medien in der Rolle eines passiven Rezipienten." (Issing, dans : Klein, 2000 : 13)’

Effectivement, on peut regretter la passivité de l'apprenant (dont l'activité se limite à la sélection d'informations) lorsqu'il travaille avec certains produits multimédia qui ne font que réagir à une demande d'affichage d'informations. Les produits de la "nouvelle génération" ont cependant fait des progrès en intégrant, à un niveau de base, une analyse de la réponse de l'apprenant. Aussi peut-on attendre encore des améliorations par la prise en compte des progrès techniques, par exemple, concernant la prononciation.

Ensuite, il est possible d'évaluer trois facteurs supplémentaires : la fréquence d'adaptation d'un programme, les mesures prises pour que l'apprenant puisse atteindre un but et l'utilité des consignes de travail. Le programme idéal s'adapte suffisamment souvent par rapport aux connaissances atteintes par l'apprenant. Il prend des mesures pour que l'apprenant puisse atteindre son but. Il intervient quant à la méthode de travail de l'apprenant (en proposant, par exemple, des stratégies). Il donne des consignes et exercices qui permettront à l'apprenant de compenser ses lacunes et il sait faire développer des points où l'apprenant est particulièrement fort.

Une adaptation automatique à l'initiative du programme, comme nous venons de le décrire, demande évidemment un grand investissement pour la programmation et une intégration des connaissances d'expert par rapport à l'évaluation de l'état des connaissances de l'apprenant. Bien qu'une analyse des réponses ouvertes ne soit pas encore réalisable, il devrait être possible d'intégrer (dans les programmes multimédia) des diagnostics intermédiaires répétés qui se basent sur des "contrôles avec réponses fermées". Ainsi, on pourrait déterminer un niveau de connaissances lexicales déclaratives ou un niveau de compréhension écrite et orale pour pouvoir recommander à l'apprenant une série spécifique de tâches. En complément, on pourrait faire participer l'utilisateur au choix des activités langagières en lui proposant des informations concernant l'intérêt pédagogique des exercices.

Lorsque l'on souhaite proposer un travail par objectif linguistique, il convient de distinguer plusieurs cas de figure en fonction de l'objectif didactique visé : souhaite-t-on amener l'apprenant à employer correctement une unité lexicale par rapport à un contexte spécifique ? Doit-il apprendre le fonctionnement syntaxique des unités lexicales ou s'agit-il d'apprendre l'orthographe des unités lexicales ? Le tableau suivant reprend ces différentes possibilités et montre, sans prétendre être exhaustif, les difficultés liées à la programmation et à la vérification de la réponse de l'apprenant :

Figure 1 : potentialités de la machine à vérifier les "réponses libres"
But didactique Programma-tion de la machine Difficulté rencontrée Vérification par la machine Difficulté rencontrée Utilité de la machine
Connaître l'orthographe des unités lexicales dictionnaire   Comparaison dictionnaire / production libre Analyse de la raison de l'erreur oui
Utiliser une unité lexicale en fonction du contexte de la question Associer les unités lexicales aux différents contextes * Multitude de cas possible
* Coût de programmation
* Travail par mot-clés
* Comparer l'existence des mots-clés dans la réponse
Lorsque le mot-clé n'a pas été programmé, la réponse de l'apprenant est considérée comme étant fausse alors qu'elle peut être juste minime
Apprendre le fonctionnement syntaxique d'une unité lexicale Programmation de l'ensemble des règles du fonctionnement syntaxique * Multitude de possibilités
* Coût de programmation
Analyser le fonctionnement syntaxique de l'unité lexicale pour pouvoir appliquer les règles Le fonctionnement syntaxique est déterminé par la signification de l'unité lexicale et l'ordinateur ne peut pas la comprendre non

La machine peut donc être utile pour vérifier l'orthographe des unités lexicales dans un texte, mais elle est incapable d'analyser la raison de l'erreur. En outre, elle peut apporter seulement une contribution minime pour l'apprentissage de l'emploi contextuel d'une unité lexicale en vérifiant la réponse des apprenants. Ensuite, la multitude des cas possibles entraîne un investissement conséquent pour la programmation de la machine et le rapport investissement/résultat obtenu ne peut pas être très favorable. Quant à l'apprentissage du fonctionnement syntaxique, la machine ne semble pas pouvoir fournir un feedback intéressant pour l'apprenant puisqu'elle ne sait pas analyser les productions des apprenants. La machine est donc très limitée pour apporter un feedback constructif dans le cas des productions langagières libres.

Notes
11.

Issing distingue 6 degrés différents.