2.4. L'organisation des données sur un support numérique

Les textes que l'on rencontre sur un produit multimédia varient considérablement des textes sur un support papier. Le support numérique permet d'héberger en même temps des documents graphiques, iconographiques et sonores et il est possible de les relier par des liens hypertextuels. Le résultat est un réseau gigantesque qui comprend, à travers les liens hypertextuels, d'innombrables documents. Pour nommer ce rassemblement de données, nous trouvons dans la littérature trois termes différents que nous proposons de préciser par la suite. En outre, nous nous interrogerons sur les difficultés d'orientation dans un tel environnement et sur la présentation idéale d'un "hyperdocument".

Commençons par une distinction des termes "hypertexte", "hypermédia" et "hyperdocument" référant tous à un réseau de documents numériques, mais qui peuvent prêter à confusion. Pour certains auteurs, le concept "hypertexte" se limite à une acception stricte au texte, alors que le concept "hypermédia" comprend une acceptation de différents média sur un même support informatique (Lancien, 1998 : 17). Cette différence d'appellation peut se comprendre dans le contexte historique de l'évolution des technologies : quand Vannever Bush (en tant que conseiller scientifique du président Roosevelt) a proposé la création d'une banque de données en réseau, il pensait plutôt aux textes écrits qui pourraient faire face à une demande croissante de publications scientifiques (Brink, 1999 : 76). Avec le développement technique, d'autres média iconiques et sonores ont pu être incorporés sur les supports informatiques et, avec eux, on a vu apparaître le terme "hyperdocument". Par ailleurs, les réalités "texte" et "hyperdocument" sont indissociables (voir à ce sujet l'article de Achard-Bayle/Redon-Dilax, 2000) puisque les textes publiés dans un hyperdocument contiennent, comme les textes linéaires classiques, un réseau de relations internes et externes. Nous utiliserons dans ce travail le terme "hyperdocument" puisqu'il permet, par son caractère général, de représenter l'ensemble des données graphiques, iconiques et sonores. A cette vision correspond la définition de Demaizière et Dubisson (1992 : 46) : ainsi, un hyperdocument serait une "base constituée d'un ensemble de nœuds et de liens entre ces nœuds" sachant qu'un nœud réfère aux informations diffusées par différents médias.

Comment les informations sont-elles organisées dans un hyperdocument qui comprend une multitude de liens vers d'autres pages et différents types d'informations par rapport à un nombre presque infini de thèmes ? En effet, l'organisation des informations publiées à l'intérieur d'un hyperdocument s'oriente au comportement humain. En reproduisant dans l'hyperdocument des structures correspondant à l'organisation cognitive des connaissances, une anticipation de la structure et un repérage à l'intérieur du système seront facilités. Niehoff (2003 : 79) mentionne quatre possibilités principales: le type linéaire (correspondant à "Sequenzen"), le type hiérarchique (correspondant à "Startseite"), le type trame (Raster) et le type réseau (Netz). Ces quatre types d'organisation se distinguent en fonction de la complexité de leur contenu (l'axe vertical) et la possibilité de pouvoir prévoir la structure (l'axe horizontal) :

Figure 2 : organisation des informations sur l'hyperdocument (Niehoff, 2003 : 79)
Figure 2 : organisation des informations sur l'hyperdocument (Niehoff, 2003 : 79)

Pour un produit multimédia destiné à l'apprentissage d'une langue, les créateurs peuvent sélectionner une forme qui ressemble à l'un de ces quatre exemples. Le choix d'une forme d'organisation du contenu d'apprentissage, dépend du public visé et de son expérience dans la navigation à l'intérieur d'un environnement multimédia. De plus, il convient de tenir compte du type de tâche.

Le type linéaire ou séquentiel ("Sequenzen")est la forme la plus simple et sa structure reste relativement prévisible. L'organisation des informations peut se faire d'une manière chronologique, alphabétique ou encore par thème. Les utilisateurs suivent les différentes séquences du début jusqu'à la fin sans avoir à choisir entre plusieurs possibilités. Cette forme d'organisation se prête à un entraînement aux connaissances peu complexes comme, par exemple, l'encodage des unités lexicales par le biais des exercices fermés.

Le type hiérarchique (Startseite), qui est actuellement la plus utilisées pour organiser les informations publiées sur Internet,présente les informations sous forme de catégories avec plusieurs niveaux. Cette forme d'organisation ressemble à la démarche de la catégorisation cognitive et en anticipant ce classement par catégories, elle permet aux utilisateurs (à condition de posséder des connaissances par rapport au thème concerné) de prévoir le contenu ouvert par un lien. Pour cette raison, elle est généralement bien comprise par les utilisateurs (Niehoff, 2003 : 78). Enfin, de par la possibilité de rechercher des informations à partir de termes génériques ou de mots-clefs, elle correspond à une démarche de travail en autonomie où l'apprenant sélectionne des liens en fonction d'un but recherché.

Le type trame (Raster)relie les informations aussi bien horizontalement que verticalement. Il permet l'organisation d'un contenu complexe. Pour s'y repérer, l'utilisateur doit cependant posséder des connaissances préalables sur un thème recherché. Ainsi, celles-ci lui permettront de suivre les relations entre les informations. En outre, on peut prévoir un apprentissage guidé en fonction de deux critères : un critère est placé sur l'échelle verticale (par exemple, un thème spécifique) et un autre critère est placé sur l'échelle horizontale (par exemple, des exercices de compréhension ou de vocabulaire).

Le type réseau (Netz) imite la structuration des connaissances par association. Il est possible de relier des informations à différents niveaux de l'organisation. Or, la prévision de l'emplacement d'une information devient compliquée pour l'utilisateur et il risque d'être désorienté. Pour pouvoir se repérer quand même dans cette organisation, il a besoin de connaissances de base. Du fait de la complexité du contenu et de la structure peu prévisible, cette forme d'organisation s'adresse donc uniquement à un public expérimenté.

Enfin, quelle est la taille idéale d'un "nœud" (c'est-à-dire d'un document spécifique) ? Les opinions à ce sujet divergent. Certains postulent qu'une page dans un hyperdocument ne doit pas contenir plus de texte que l'on peut voir à l'écran. D'autres auteurs défendent l'opinion que les textes doivent être assez longs. En effet, le but est d'éviter de nombreuses coupures d'informations qui contraindraient le lecteur à ouvrir constamment des pages nouvelles et qui le désorienteraient. Nous ne pourrons trancher ces opinions controversées, car il existe des arguments pour les deux hypothèses : un lecteur peut être gêné par un texte trop long en langue cible, mais contrairement au texte dans un livre, il est possible de faire afficher à l'écran des phrases qui sont à cheval entre la fin d'une page et le début d'une nouvelle page. Ceci devrait favoriser la construction d'une cohérence textuelle par la possibilité de revenir en arrière pendant la lecture. Un texte trop court présente, au contraire, le risque de contenir trop peu d'informations pour construire facilement une cohérence textuelle. De plus, la technique des fenêtres réduit considérablement la place pour traiter un point spécifique. Le concepteur d'un hyperdocument doit donc veiller à une présentation d'informations suffisante pour éviter leur dispersion.