2.5. Naviguer dans un hyperdocument

Pendant la lecture d'un hyperdocument, l'apprenant clique avec le curseur sur des boutons ou d'autres zones actives. Ce déplacement à l'intérieur d'un hyperdocument est aussi appelé "naviguer" ou "surfer". Quelles sont les particularités de cette lecture et comment l'apprenant effectue-t-il ses recherches ? Nous proposons d'étudier par la suite le comportement de navigation des différents types d'utilisateurs en abordant les thèmes suivants : la lecture d'un hyperdocument, les stratégies globales de navigation, les chemins concrets de navigation avec différentes catégories d'apprenants navigateurs ainsi que les difficultés rencontrées par les apprenants. Un autre objectif est de pouvoir évaluer la charge cognitive de l'apprenant.

Pendant le processus général de lecture, le sujet cherche à comprendre le contexte thématique et à construire un ensemble cohérent. Il utilise pour cela des stratégies de lecture au niveau du macro-processus (top-down) et du micro-processus (bottum-up). Néanmoins, comme un hyperdocument se distingue dans son organisation par rapport à un document sur support papier, nous pouvons attendre que sa lecture présente des particularités. Comment lit-on alors un hyperdocument ? Commençons par le sens de lecture : alors que dans un texte linéaire le lecteur suit généralement l'enchaînement des idées de l'auteur, la lecture d'un hyperdocument ne suit pas le parcours fixé par l'auteur. L'intégration des connaissances nouvelles se fait donc d'une manière non linéaire (bien que la perception des informations ne peut être que séquentielle) en fonction des liens ouverts et des nœuds consultés.

L'apprenant jouit d'un haut degré de liberté qui peut augmenter ou diminuer sa motivation : il peut apprécier le fait d'avoir un choix de thèmes plus important, mais il court le risque de se décourager s'il rencontre des difficultés pour trouver les informations recherchées. Des recherches à ce sujet ont fait apparaître l'importance des facteurs comme "l'âge", "la complexité du thème" et "les connaissances préalables de l'apprenant" (Depover/Quintin, dans : Brink, 1999 : 89). Ainsi, les experts dans un thème seraient avantagés par rapport à un apprenant qui ne possède que peu de connaissances préalables sur ce thème. En effet, la connaissance du sujet permet de sélectionner les informations pertinentes. Le risque de désorientation diminue et le sujet économise des capacités (limitées) au niveau de la mémoire de travail qui peuvent être investies dans le travail de la langue étrangère. En outre, l'apprenant doit chercher les informations d'une manière active et la lecture d'un hyperdocument met l'utilisateur dans une position de recherche; c'est une lecture explorative. Cela peut avoir des conséquences au niveau des stratégies utilisées par l'apprenant.

En ce qui concerne les stratégies globales de navigation, on peut distinguer différents types de stratégies en fonction du but poursuivi, de l'intensité du traitement des informations et de l'intention du navigateur. Cauter, (dans : Duquette et Laurier, 2000 : 262) parle alors de vagabondage, de balayage, de survol, de recherche et d'exploration. Les stratégies de survol, de balayage et de vagabondage entraînent un traitement peu profond des informations, alors que la recherche et l'exploration nécessitent un travail cognitif plus profond pour vérifier si les informations présentées sur un document ouvert correspondent à un but de recherche. En outre, ces termes réfèrent à un comportement plus ou moins ciblé : les "navigateurs" s'intéressent soit à une compréhension générale d'un thème en survolant ou explorant l'hyperdocument, soit à une compréhension précise ce qui est la cas pendant la recherche d'informations. En complément de ces stratégies, on pourrait proposer un classement en fonction du but de recherche et de la liberté laissée à l'apprenant. Il convient alors de distinguer la recherche libre et la recherche guidée.

Avec un but de recherche libre, l'apprenant va naviguer librement et sans plan de navigation précis. Sa recherche d'information est influencée par des associations par rapport aux éléments rencontrés dans l'environnement de navigation. Cependant, l'environnement n'influence pas seulement les modes de navigation, mais aussi les objectifs personnels que se fixe le sujet. En effet, l'environnement peut amener le "navigateur" à changer ses objectifs lorsqu'il se laisse dérouter par des "détails séduisants" (comme, par exemple, un film vidéo) ou un lien intéressant rencontré au hasard. Cette "découverte au hasard" est décrite par Marchionnini et Shneiderman (dans : Klein, 2000 : 41) sous le terme "serendipity", c'est-à-dire que le navigateur fait par hasard des découvertes heureuses.

Avec un but de recherche bien spécifique, l'apprenant suit les indications données à l'écran sans avoir à prendre de décision pour la sélection des liens. Sa recherche débute généralement en saisissant un mot-clé ou une combinaison de mots-clés dans un moteur de recherche. Suite à cette démarche, la machine affiche plusieurs sites et c'est à l'apprenant de continuer sa recherche. D'après nos expériences avec les étudiants du Centre de langues de l'université Lumière Lyon2, cette forme de recherche ne pose pas trop de problèmes aux apprenants et ils accèdent relativement vite aux informations recherchées. Néanmoins, le comportement de recherche est lié à la précision du but : lorsque le but de recherche est formulé d'une manière plus générale, le nombre de sites que l'apprenant visite est assez grand. Au contraire, un but de recherche précis provoque une recherche d'information d'après un plan concret en s'appuyant sur la valeur référentielle et significative des liens, ainsi que sur les mots-clés présentés en rapport avec les liens (Klein, 2000 : 41) :

‘"Beim gerichteten Browsen erfolgt die Informationssuche mit einem konkreten Plan um eine bestimmte Information zu finden. Die Benutzer orientieren sich hierbei sowohl an bestehenden referentiellen, d.h. hinsichtlich ihrer Bedeutung näher spezifizierten Verknüpfungen, als auch an den schlagwortartigen Bezeichnungen von Links, die mit entsprechenden Knoten verknüpft sind." (Klein, 2000 : 41)’

Deux commentaires s'imposent : Klein ne spécifie pas s'il s'agit d'un plan écrit ou d'un plan mental. Un plan écrit aurait l'avantage d'amener l'apprenant à une réflexion plus approfondie sur son projet de recherche permettant d'organiser sa recherche en fonction de ses connaissances du monde. La méconnaissance du contenu des sites rend cependant l'élaboration d'un plan de recherche délicate et celui-ci est susceptible d'être modifié en cours de recherche. L'apprenant se laisse alors guider par les informations qu'il trouve en rapport avec les liens possibles.

Notre deuxième remarque concerne la "référenciation des liens", c'est-à-dire les explications accompagnant un lien qui renseignent sur le contenu de la page ouverte par ce lien. Ceci nous semble être un bon moyen pour aider les apprenants, après l'ouverture d'un lien, dans l'appréciation de la pertinence des informations accessibles. Le didacticien peut également proposer des aides visant la réussite de la recherche d'informations comme, par exemple, une présentation des moteurs de recherche spécifiques. L'enseignant devrait, de plus, ancrer la tâche de recherche dans une problématique spécifique pour laquelle l'apprenant possède déjà des connaissances préalables. En fonction de l'expérience de l'apprenant, il peut également définir des buts de recherches plus ou moins spécifiques.

En fonction de la structure des sites visités et des stratégies employées, on peut déterminer différents chemins de navigation qui dépendent d'une part, du type d'organisation des informations et d'autre part, de la personnalité du navigayteur. Horney (dans : Duquette et Laurier, 2000 : 263) a observé des chemins de navigation linéaire, en étoile, en étoile élargie, circulaire et chaotique. En suivant un chemin de navigation linéaire, le navigateur suit un ordre séquentiel à l'intérieur d'une organisation linéaire des informations. Pour une navigation "en étoile" ou "étoile élargie", le navigateur ouvre les liens d'une liste proposée sur une page ouverte et il complète progressivement les connaissances en rapportant les informations découvertes au thème de recherche. Ainsi, il construit d'une manière progressive ses connaissances du niveau général au niveau plus précis. En suivant un chemin circulaire, le navigateur ouvre les liens qui se présentent séquentiellement et éventuellement par association. Finalement, il aboutit au point de départ. La construction des connaissances a lieu d'une manière moins systématique que pour la navigation "en étoile" puisque le lien avec le thème de départ a seulement un caractère indirect. Les informations rassemblées doivent probablement être réorganisées par la suite. Enfin, un apprenant employant des chemins de navigation chaotiques travaille sans but précis et il lit différents textes appartenant à des sujets divers. Cette attitude peu systématique a peu de chances de contribuer à la progression lexicale.

Ensuite, le comportement de navigation est influencé par la personnalité du navigateur. Barab, Bawdish, Lawless (1997) ont étudié le comportement des utilisateurs d'un système d'information non directif et ils ont pu identifier trois catégories de navigateurs : les "model users" qui sont intéressés par la résolution d'un problème et pour lesquels la navigation est orientée par la poursuite du but, les "cybercartographes" qui cherchent à explorer les informations proposées pour apprendre des choses nouvelles et les "feature explorer" qui voudraient découvrir et regarder des films.

Enfin, que peut-on dire par rapport au phénomène de "surcharge cognitive" qui est souvent évoqué en rapport avec une navigation sur l'Internet ? Quelle est son importance et que peut faire l'enseignant pour la réduire ? En effet, la charge cognitive à laquelle le navigateur doit faire face, peut se décomposer en plusieurs éléments : premièrement, il convient de comprendre les unités lexicales en langue cible : plus le niveau langagier de l'utilisateur est faible en langue cible, plus le travail cognitif est important. Deuxièmement, il doit s'orienter dans l'hyperdocument : plus l'organisation du site est complexe et moins l'utilisateur possède des connaissances du monde par rapport à son thème de recherche, plus la charge cognitive engagée est élevée. Troisièmement, il convient de sélectionner les liens pertinents pour le thème de recherche : plus le but de recherche est flou et moins il possède des connaissances du monde par rapport au thème en question, plus la charge cognitive est élevée.

La charge cognitive est donc une somme de plusieurs facteurs. Elle atteint son niveau maximum lorsque l'utilisateur doit engager un investissement important sur tous les domaines mentionnés, mais elle peut être diminuée lorsque l'enseignant tient compte des éléments qui assurent un travail cognitif moins important. Ainsi, il convient de donner des thèmes de recherche pour lesquelles les apprenants possèdent déjà des connaissances du monde. Aussi est-il important de proposer des buts de recherche relativement précis et de privilégier les sites avec des liens référencés.