3.2. Apprentissage par interaction

La possibilité d'échanger des messages électroniques (par le biais du courrier électronique) avec un tuteur, d'autres apprenants ou encore des locuteurs natifs de la langue cible, ouvre la voie pour de nouveaux dispositifs d'apprentissage. Ainsi, se développent actuellement des dispositifs de formations à distance, les discussions sur des forums de discussion et le travail en tandem. En vue de l'analyse de notre expérience de travail en tandem (deuxième partie, chapitre 3), nous proposons d'aborder ci-dessous quelques concepts théoriques concernant l'apprentissage langagier dans une communication entre un locuteur natif et un apprenant.

L'interaction, en tant que "action réciproque", suppose la participation de deux acteurs. Ces derniers vont échanger des tours de paroles dans le cadre d'une communication. Selon la maîtrise de la langue de communication, nous distinguons la communication exolingue et la communication endolingue. Alors que dans une communication endolingue, les deux locuteurs emploient leur langue maternelle, une communication exolingue met en jeu un locuteur natif et un locuteur non natif (le cas pour le travail en tandem).

La communication exolingueest caractérisée par une bifocalisation (Jisa, 1994 : 50). Cela veut dire que les locuteurs se concentrent à la fois sur deux éléments, c'est-à-dire le thème de la communication et la langue cible. Néanmoins, leur importance est inégale : l’objet thématique est le but de la communication alors que le niveau linguistique avec sa réflexion sur la langue reste subordonné. Il sert surtout à la réalisation du but communicatif. Cette communication comprend une certaine fragilité dans la mesure où elle est constamment menacée par des problèmes d’intercompréhension. Ainsi, les locuteurs doivent être prêts à s’adapter aux conditions particulières de la communication et faire attention d'une part, à l’objet thématique et d'autre part, aux conditions linguistiques et pragmatiques de la communication.

Quel est maintenant le rôle des deux acteurs dans une telle communication ? Tout d'abord, en communication exolingue, le locuteur non natif se trouve dans une discordance entre les exigences de la situation et son savoir-faire (représenté par l’interlangue). Par manque de connaissances langagières, il peut être confronté à un problème de compréhension des unités lexicales. Pour le résoudre, il peut utiliser des processus d’interférence en cherchant une cohérence dans le discours du partenaire. Cette activité cognitive reste normalement invisible pour le partenaire natif. Elle est extériorisée lorsque le locuteur non natif sollicite de l'aide en demandant, par exemple, la répétition d’une phrase, une reformulation ou une explication métalinguistique.

Dans la mesure où le locuteur non natif ne maîtrise pas suffisamment la langue, il prend constamment des risques de perdre la "face". Or, perdre la face n'est plus un problème linguistique, il relève du niveau relationnel avec le locuteur natif. Ce dernier doit y veiller enformulant le"feedback" pour son partenaire. L'erreur devient un problème lorsque le locuteur natif adopte un comportement de sanction qui fait de lui une autorité punissante. Si le locuteur natif se comporte cependant comme un co-acteur de l’apprentissage, il apporte de l’aide au partenaire "apprenant" en utilisant, par exemple, un comportement d’étayage. Néanmoins, bien que ce comportement soit plutôt naturel lorsque les parents parlent avec leur enfant, il peut ne pas l’être quand il s’agit d’une communication entre un locuteur natif et un apprenant d’une langue étrangère.

En cas de difficultés en provenance du niveau insuffisant de l’interlangue, le locuteur non natif (l'apprenant) peut recourir aux stratégies de résolution de problèmes que nous présentons ci-dessous :

Figure 3 : Stratégies de résolution de problèmes de communication, d’après Jisa (1994 : 53)
Figure 3 : Stratégies de résolution de problèmes de communication, d’après Jisa (1994 : 53)

Ce tableau montre deux directions pour l'évolution de la communication : d'une part, l’abandon des buts de communication où l’apprenant réduit ses objectifs fonctionnels (par exemple, la réduction des thèmes) et formels (par exemple, l'évitement des savoirs incertains) et d'autre part, la réalisation des buts de communication où l’apprenant a recours aux stratégies de substitution (par exemple, le recours à la langue maternelle) et l'élargissement de l'interlangue (par exemple, des généralisations interlinguales ou intralinguales).

Les effets sur le développement de l'interlangue sont positifs ou négatifs : nous pouvons supposer un développement par des stratégies visant l’élargissement de l’interlangue, les stratégies de substitution ou encore par un achèvement interactif. Dans ce cas, l’apprenant va construire son discours à l’aide de son partenaire lors des séquences interactives de reformulation par le locuteur natif. De la part du locuteur non natif, ces stratégies demandent l'acceptation d’une prise de risque et l’acceptation de "l'erreur". Le locuteur natif doit prendre de l'initiative et avoir la volonté d’apporter son aide. L'interlangue se développe peu lorsque le locuteur non natif emploie des stratégies visant une réductionfonctionnelle et formelle de la communication. Cela est évidemment moins intéressant pour l’apprenant. Dans une optique didactique, l'enseignant doit apporter son aide méthodologique, voir anticiper les problèmes. Enfin, aucun développement de l'interlangue ne peut être supposé pour l'utilisation des stratégies desubstitution. Il convient alors de surveiller que les interlocuteurs arrivent à poursuivre leur communication.