2.1.5. Bilan

Pendant le décodage des unités lexicales, l'apprenant peut s'appuyer sur divers indices émanant du support numérique et permettant une référenciation vers un concept mental à activer. Nous avons vu différents rapports entre les images et les paroles qui varient dans leur contribution au décodage des unités lexicales. Ainsi, les rapports d'équivalence permettent un transfert direct d'informations sémantiques, alors que les rapports de préparation à la perception des informations lexicales, les rapports situationnels et les rapports complémentaires aident d'une manière indirecte au décodage des unités lexicales. Dans le cas des rapports d'indépendance ou contradictoires, l'apprenant ne peut cependant pas s'appuyer sur les images.

Nous avons également vu que l'existence d'une cohérence sémantique entre les différentes images, le son et le bruitage contribuent à l'activation des schèmes conceptuels. Ensuite, les transcriptions écrites permettent une distinction des unités lexicales sur la chaîne parlée et l'emploi des stratégies de lecture. Enfin, l'apport du support numérique pour le décodage des unités lexicales dépend des conditions de référenciation et de la redondance lexicale comme le montre le graphique suivant :

Figure 35 : conditions de référenciation sémantique
Figure 35 : conditions de référenciation sémantique

Sur ce graphique, nous voyons deux extrêmes : le point "X" pour le décodage juste où l'apprenant est confronté à une redondance maximale et la possibilité de l'activation du concept mental juste grâce à de bonnes conditions de référenciation, et le point "Y" avec un échec de décodage dû à un manque de redondance et d'activation d'un concept mental. Entre ces deux points, le décodage des unités lexicales est susceptible d'être plus ou moins flou en fonction de l'importance des connaissances du monde, de l'influence des images, du son et du bruitage pour activer des concepts mentaux, de la possibilité d'isoler les unités lexicales sur la chaîne parlée et de l'attention consacrée au décodage.

En comparaison avec les documents classiques comme les cassettes vidéo ou les documents écrits, le support numérique présente l'avantage de réunir trois canaux de communication (image, son, texte) qui peuvent, lorsqu'ils sont soumis à une redondance lexicale coordonnée, soutenir ensemble le décodage des unités lexicales. Comme le montrent les travaux de différents chercheurs, il convient cependant d'éviter une présentation trop riche des canaux de traitement cognitif pour ne pas soumettre l'apprenant à une surcharge cognitive.

S'agissant des documents vidéo, les images et le son semblent contribuer à une sollicitation importante des fibres nerveuses permettant une transmission des informations relatives au sens (Compte, 1993 : 90). L'image en mouvement et la couleur provoquent une "mise en condition voisine de l'excitation optique directe ordinaire." Ainsi, l'exploitation d'un document vidéo pour l'apprentissage des langues contient le risque d'une surcharge cognitive et il faut "apprendre à ne pas être submergé par un trop-plein d'informations en sélectionnant les indices importants issus de domaines divers" (Compte, 1993 : 93).

Il est également nécessaire de tenir compte du type cognitif des apprenants. En effet, ce qu'un apprenant perçoit effectivement, dépend, entre autres, de son type cognitif. On peut en distinguer deux types : le "data gatherer" qui tente de percevoir un maximum d'informations et le "rule gatherer" qui est davantage concentré sur la compréhension de règles (Cazade, 2003 : 80). Les apprenants du deuxième type vont vivre cette "hyperdisponibilité" plutôt comme un "envahissement cognitif".

Pour les cédéroms étudiés, nous avons vu que l'exposition aux informations lexicales varie en fonction des canaux utilisés, et nous pouvons distinguer quatre combinaisons différentes : "l'image - son", "l'image-texte-son", "l'image-texte" et "texte-son". Le plus grand effort cognitifintervient dans la situation où l'apprenant doit suivre le film vidéo puisqu'il doit traiter parallèlement une succession d'images et de paroles. La division du film en séquences, la possibilité d'arrêter le visionnage à tout moment et de le reprendre ensuite, pourraient cependant aider à diminuer la charge cognitive. Il est aussi possible que l'attention de l'apprenant soit partagéeentre la perception et l'interprétation des images et l'écoute du discours oral. Ainsi, il lui sera difficile de réussir en même temps à isoler les unités lexicales sur la chaîne parlée, à reconnaître le message textuel et à gérer la perception de tous les éléments évoqués précédemment pour le décodage des unités lexicales inconnues. Même si des images intéressantes et une musique captivante renforcent la motivation pour travailler avec un cédérom, il peut y avoir une baisse d'attention de l'utilisateur. Il convient alors de restimuler l'attention vis-à-vis des unités lexicales par une tâche spécifique de décodage.

La possibilité de faire afficher, à côté des images et du son, la transcription des paroles, devrait également diminuer l'effort cognitif engagé. Ainsi, la lecture des unités lexicales dans leur forme écrite et le rapport de redondance peuvent faciliter aussi bien la distinction des unités lexicales sur la chaîne parlée que leur reconnaissance. Enfin, les cédéroms étudiés ne présentent des textes longs qu'avec des images fixes offrant la possibilité de les traiter successivement. Les situations de surcharge cognitive semblent donc être limitées au visionnage des films vidéo sans transcription écrite. Dans les autres cas, les informations apportées par les différents canaux d'informations peuvent être traitées en différé et, lorsqu'il existe un rapport de redondance sémantique, elles constituent une aide au décodage des informations lexicales.

Enfin, nous proposons de tenir compte des revendications "anciennes" comme celles de Skinner qui postulait que les apprenants doivent progresser à intérieur des étapes soigneusement conçues par l’enseignant. Même si on peut accepter, le cas échéant, que l'apprenant s'écarte d'un parcours prévu, il semble important d'encourager une sélectivité de l'apprenant pour le décodage des unités lexicales nouvelles. Pour augmenter le taux de réussite dans la compréhension des unités lexicales, on suggère alors à l'apprenant d'employer des stratégies de décodage variées et de tenir compte des facilités qu'il peut avoir pour un type de traitement cognitif.