3.3.1. Mémoriser la signification des unités lexicales

La mémorisation des informations sémantiques conduit à une réorganisation constante du système de connaissances. Les informations arrivant dans la mémoire à long terme ne se perdent pas, mais elles peuvent devenir un composant d'une information nouvelle ou d'une relation contextuelle nouvelle (Roher, 1990 : 16). La variété des informations lexicales, ainsi que les conditions de travail lexical peuvent nécessiter l'emploi de différentes stratégies de classement. Aussi les informations lexicales doivent-elles être apprises à l'intérieur d'un système. (Roher, 1990 : 17) explique ce phénomène en utilisant la métaphore d'un dossier mal rangé qui devient introuvable:

‘"Eine Akte, die in einem großen Archiv unter einem falschen Bezugszeichen abgelegt worden ist, ist praktisch unauffindbar. Sie ist jedoch immer noch vorhanden. Man wird sie durch Zufall wiederfinden, so wie man eine falsch gelernte Information wiedererkennen wird." Roher (1990 : 17)’

Pour la mémorisation des informations lexicales, Roher conclut qu'une information est mal apprise lorsqu'elle a été apprise hors contexte. Nous retenons ce constat pour l'étude qui suit par rapport aux exercices proposés par les cédéroms. En effet, un grand nombre d'exercices y sont proposés soit "en contexte réduit", soit "hors contexte". Commençons par l'étude des exercices en "contexte réduit". Ils demandent un travail avec des unités lexicales isolées d'un texte tout en permettant une association avec une situation présentée auparavant. De cette manière, la situation évoquée peut servir de système de référence ("Bezugssystem").

  • Classer les unités lexicales en fonction d'une situation :

L'apprenant effectue un travail de classement et d'association des unités lexicales lorsqu'il doit attribuer différentes unités lexicales à une situation. Dans notre exemple, les concepteurs ont préparé des images représentatives pour une situation étudiée sur le cédérom, ainsi qu'une liste d'unités lexicales. Nous voyons deux photos représentant d'une part, la fête de la bière et d'autre part, le voyage et il convient de tirer les unités lexicales, à l'aide de la souris, sur l'une des deux images :

Figure 60 : exercice d'association mot-image (cédérom "Einblicke")
Figure 60 : exercice d'association mot-image (cédérom "Einblicke")

L'apprenant est amené à chercher des traits sémantiques que les unités lexicales pourraient avoir en commun avec les images. Ainsi, il associe probablement les mots "Kellnerin", "Musikkapelle" ou "Bierzelt" avec la fête de la bière et "Reise", "Ankunft" et "Flughafen" avec le voyage. L'intérêt de cet exercice pour l'apprentissage lexical se situe au niveau de l'intégration sémantique des unités lexicales puisque la représentation des mots en réseaux semble être essentielle pour l'apprentissage d'une langue (Tréville et Duquette, 1996 : 27). Par conséquent, leur regroupement organisé devrait favoriser la mémorisation des unités lexicales. En contrepartie, il ne faut pas oublier qu'une maîtrise de ce vocabulaire nécessite également l'association entre le concept mental et la forme graphique et sonore et d'autre part, une pratique de l'utilisation dans les phrases. Ces deux compétences ne sont pas visées dans l'exercice.

D'autres types d'exercices sont présentés "hors contexte", c'est-à-dire sans possibilité d'association directe avec une situation précise, et sans que les unités lexicales soient insérées dans un texte. Faute de possibilités d'intégration sémantique des unités lexicales dans un système d'association, il convient d'étudier si ces exercices permettent une intégration sémantique dans d'autres types de systèmes comme les champs de mots ou les catégories cognitives :

  • Construire un mini-système : les paires de mots

L'apprenant construit des petits systèmes lexicaux lorsqu'il associe des paires de mots. Cela peut se faire en reliant deux unités lexicales affichées dans deux colonnes en cherchant des unités lexicales qui partagent des traits sémantiques communs :

Figure 61 : exercice "association de synonymes" (cédérom "Tell me more")
Figure 61 : exercice "association de synonymes" (cédérom "Tell me more")

Cet exercice contraint l'utilisateur à réfléchir sur les traits sémantiques pouvant réunir deux unités lexicales. De cette manière, l'apprenant est censé créer des champs de mots dont les membres ont des traits sémantiques communs Le fait de relier deux termes présentant des significations semblables, contribue, sur le plan cognitif, à les associer à travers la création d'un lien mnésique. Nous devons cependant nous interroger sur la solidité de ce lien. En effet, si nous nous basons sur les travaux de Roher (1990), une seule création d'un lien mnésique ne suffit pas pour créer un ancrage solide dans la mémoire.

Peut-être pourrait-on espérer, dans une approche fonctionnelle, des facilités dans le rappel des unités lexicales concernées lors de leur emploi en situation de production (lorsque l'apprenant ressent le besoin de varier son style d'écriture) ? Une des unités lexicales de la paire pourrait servir d'aiguilleur, au travers du lien mnésique, vers l'autre l'unité lexicale. Les recherches linguistiques nous mettent cependant en garde contre des échanges d'unités lexicales. A propos de l'utilisation contextuelle des "synonymes", on peut remarquer que des mots peuvent être de sens voisin, mais ne pas avoir la même distribution, c'est-à-dire ne pas être toujours compatibles avec les mêmes co-occurrents, avoir un comportement syntaxique différent, correspondre à des registres ou des niveaux de langue différents, appartenir à des usages régionaux différents et à des âges différents de leurs utilisateurs (cf. Tréville et Duquette, 1996 : 28). Prenons l'exemple de la paire "Gebäude-Haus" : les deux unités lexicales ont comme traits sémantiques communs "abriter quelque chose", "être en pierre" et "être assez grand", mais le terme "Gebäude" est un terme général alors qu'une maison ("Haus") est habitée par des hommes. Ainsi, dans la phrase "Mein Haus hat 150 qm Wohnfläche", nous ne pouvons pas remplacer "Haus" par "Gebäude". En terme de développement de l'interlangue, un apprentissage des synonymes hors contexte n'a donc que peu de sens.

  • Créer des liens avec des catégories :

Les recherches en matière de catégorisation cognitive ont conduit au développement des théories qui essaient de rendre compte de la manière dont les connaissances sont entreposées dans la mémoire. Certains exercices tentent de mettre en pratique les résultats de ces recherches et d'amener les utilisateurs à mémoriser le vocabulaire grâce à des opérations de catégorisation. Ainsi, le cédérom "Reflex' Deutsch" propose une activité appelée "banque de mots" qui consiste en un classement d'unités lexicales dans les catégories d'un répertoire. Chaque leçon propose un groupement d'une quinzaine d'unités lexicales représentatives pour le thème de la leçon. Lorsque l'apprenant rencontre dans ce choix d'unités lexicales un terme qu'il souhaite retenir, il peut l'enregistrer dans le répertoire du cédérom. Le répertoire contient déjà des catégories préenregistrées comme "Alltag", "Arbeit", "Bildung", "Charakterzüge", "Einkaufen", "Erdkunde", "Essen und Trinken", "Familie und Freizeit", "Gesundheit", "Wirtschaft", "Kleidung", "Körperteile", "Land und Leute", "Politik", "Presse und Fernsehen", "Recht", "Reisen", "Religion", "Schule und Studium", "Sozialleben", "Sport", "Sprachenlernen", "Stadt", "Tage, Monate, Jahre", "Traditionen", "Umwelt", "Urlaub". L'utilisateur peut également définir et enregistrer des catégories lui-même en ajoutant des catégories au répertoire. Pour ajouter des unités lexicales à une catégorie, il convient de procéder de la façon suivante : après avoir ouvert l'outil "Wortbank", on sélectionne une unité lexicale spécifique parmi celles affichées à l'écran et on clique sur "ajouter dans le répertoire". Ensuite, le programme affiche deux fenêtres; celle de droite contient les différentes catégories possibles (celles prévues par le concepteurs et celles ajoutées par l'utilisateur), celle de gauche affiche le contenu d'une catégorie sélectionnée. Lorsque l'on clique dans la colonne "catégorie" sur une catégorie spécifique, le programme affiche le nouveau contenu de la catégorie sélectionnée. Si l'utilisateur le souhaite, il peut ensuite imprimer son classement.

Figure 62 : exercice de classement des unités lexicales par catégories (cédérom "Reflex' Deutsch")
Figure 62 : exercice de classement des unités lexicales par catégories (cédérom "Reflex' Deutsch")

Au cours de ce travail, l'apprenant peut rencontrer deux situations : soit il trouve dans le répertoire une catégorie qui correspond à l'unité lexicale qu'il souhaite enregistrer, soit le répertoire ne contient aucune catégorie adaptée, et l'apprenant doit trouver (et enregistrer) lui-même une catégorie. Le classement de l'unité lexicale "ausbilden" est un exemple du premier cas : ici, la catégorie "Schule und Studium" convient très bien. Ainsi, en cherchant la catégorie dans laquelle le terme "ausbilden" est ajouté, l'apprenant est contraint de réfléchir sur les traits sémantiques pertinents qui lui permettent de déterminer l'appartenance à une catégorie spécifique.

Pour d'autres unités lexicales, les catégories proposées par le cédérom sont possibles mais peu pertinentes : lorsque l'apprenant souhaite, par exemple, classer l'unité lexicale "Kette", les catégories "Einkaufen" ou "Alltag" pourraient convenir puisqu'il faut bien acheter la chaîne à un moment donné. Pour certaines personnes, une chaîne peut aussi faire partie du "quotidien" ("Alltag"). Néanmoins, les catégories "Einkaufen" et "Alltag" ne sont pas très représentatives pour les traits sémantiques importants de "Kette". En effet, une chaîne sert surtout pour embellir celui qui la porte et pour cette raison, l'unité lexicale "Kette" devrait être classée dans la catégorie "bijoux". Puisque cette catégorie n'a pas été prévue par les concepteurs, son ajout dans la base des données du cédérom nécessite la connaissance de ce terme en allemand. L'ajout d'une catégorie dans le répertoire du cédérom nécessite alors un effort supplémentaire pour le rappel de l'unité lexicale en quesstion.

En cherchant la catégorie correspondant le mieux aux traits sémantiques jugés importants pour le terme à classer, l'apprenant est incité à une réflexion portant sur une catégorisation personnelle. Ce processus est représenté par le modèle du "prototype" Rosch (1978) qui montre que l'appartenance à une catégorie s'effectue sur la base de similarité avec le meilleur exemplaire d'une catégorie. Les recherches ultérieures (Dubois, 1991; Kleiber, 1990) ont évoqué deux types d'influences sur la sélection d'une catégorie : l'importance de la "familiarité" pour la représentation conceptuelle qu'a un sujet par rapport à un objet, ainsi que la "typicalité" pour la différenciation des catégories. Sachant que les critères de catégorisation représentent un "caractère égocentrique" (Poitou, à paraître) et que la structuration cognitive est individuelle, il devrait être plus efficace de proposer à l'apprenant de sélectionner son propre critère de catégorisation. Ainsi, il développe sa propre structure cognitive entraînant un traitement cognitif plus profond et plus efficace en terme de mémorisation des informations lexicales. Nous pouvons en conclure que les concepteurs des cédéroms ne peuvent pas se substituer à l'apprenant.

Le classement en catégories permettra-t-il la mémorisation efficace des unités lexicales ? Lorsque l'apprenant sélectionne une catégorie prévue par le cédérom, le classement des unités lexicales reste relativement mécanique, peu individualisé et superficiel, ce qui laisse supposer un effet assez minime sur la création de traces mnésiques. Néanmoins, le travail de classement par catégories peut soulager le besoin en apprentissage par association (Sperber, 1989 : 47). Sperber évoque à ce sujet des expériences où les sujets devaient retenir une liste de 112 mots. Un groupe a reçu les mots sous forme de catégories et le groupe de contrôle a travaillé avec une liste où les mots étaient placés aléatoirement. Le groupe avec une organisation par catégorie a présenté de bien meilleurs résultats que le groupe de contrôle. Sperber (1989) rapporte également, en se basant sur les travaux de Higbee (1977 : 43), que la catégorisation a permis d'obtenir de bonnes performances de mémorisation; et cela pas seulement pour des listes de mots, mais aussi pour des informations textuelles et iconiques :

‘"Man konnte sogar feststellen, daß Versuchspersonen, die nur die Instruktion hatten, Lernmaterial zu kategorisieren, ohne es lernen zu müssen, ebenso gute Behaltungsleistungen erbrachten wie Versuchspersonen, die ausdrücklich angewiesen wurden, dasselbe Material zu lernen; und zwar gilt dies nicht nur für Wortlisten, sondern auch für Texte und Bildinformationen." (Sperber, 1989) ’

L'exercice analysé devrait être utile pour la mémorisation des unités lexicales. A notre avis, c'est cependant surtout la recherche personnelle d'une catégorie pertinente qui est donc favorable à la mémorisation des informations lexicales puisqu'elle se caractérise par trois atouts : premièrement, elle soutient le développement individuel du système lexical, deuxièmement, elle correspond au fonctionnement de la mémoire humaine et troisièmement, l'effort relativement important engendre un traitement cognitif profond.

  • Création d'un champ de mots :

La mémorisation des unités lexicales peut également intervenir lors de la construction des champs de mots en tant que mini-système. C'est le cas dans cet exercice proposé par le cédérom "Einblicke" : l'apprenant voit un groupe de cinq unités lexicales dont quatre sont positionnées autour d'une unité lexicale centrale représentant un trait sémantique commun à trois de ces quatre termes. Parmi les quatre unités lexicales, l'apprenant doit ensuite sélectionner celle qui n'appartient pas au groupe :

Figure 63 : exercice "chercher l'intrus" (cédérom "Einblicke")
Figure 63 : exercice "chercher l'intrus" (cédérom "Einblicke")

Le travail de l'apprenant consiste ici à comprendre le trait sémantique représenté par l'unité lexicale centrale. Ensuite, il doit vérifier, par une analyse componentielle, pour chacun des quatre unités lexicales positionnées autour, si ce trait fait partie de sa signification. Si tel n'est pas le cas, le terme à supprimer du groupe est trouvé. Dans l'exemple du groupe "Bierfass", Brathähnchen", "Lebkuchen", "Schweinshaxe", il convient d'éliminer alors le terme "Bierfass" puisqu'un tonneau de bière n'est pas comestible.

La compréhension du trait sémantique activé par "Zur Stärkung" n'est cependant pas facile puisqu'il s'agit d'un terme peu courant qui nécessite un enchaînement conceptuel compliqué comme "il faut manger quelque chose pour avoir des forces". L'apprenant doit se demander lequel des objets mentionnés peut être mangé pour avoir des forces. Il aurait été alors plus facile de proposer comme unité lexicale centrale "essbar" puisqu'elle représente un critère de catégorisation plus simple.

Sur le plan cognitif, cet exercice contraint l'apprenant à analyser les traits sémantiques activés par les différentes unités lexicales et à regrouper les unités lexicales présentant le trait sémantique commun. De cette manière, l'exercice contribue à la structuration du lexique par champ de mots (Schwarze et Wunderlich, 1985) et à un rangement des unités lexicales. Aussi, une bonne organisation des informations lexicales est-elle importante (Roher, 1990 : 31) :

‘"Beim Abruf von Informationen muß ein Suchmechanismus in Gang gesetzt werden. Die Suche ist erwiesenermaßen um so erfolgreicher, je ordentlicher die Information gespeichert wurde. Bewußt angewandte Ordnungsprinzipien sind dabei, wie wir wissen, von erheblicher Bedeutung." (Roher, 1990 : 31)’

Dans notre exemple, il s'agit cependant d'une organisation peu fonctionnelle par rapport à un rappel ultérieur. Le rappel des unités lexicales ne se fait certainement pas à partir de l'activation du trait sémantique "comestible", mais plutôt à partir du trait "spécialités mangées lors de la fête de la bière". Ainsi, l'exercice perd de son efficacité pour la mémorisation des unités lexicales.

Enfin, imposer une analyse des quatre unités lexicales et de l'unité lexicale centrale empêche une organisation individuelle du lexique de l'apprenant. En laissant l'apprenant libre dans la catégorisation des éléments du groupe, il pourrait cependant créer des catégorisations non prévues par le programme : un apprenant qui associe le terme "Lebkuchen" avec les fêtes de Noël classe les trois autres termes dans la catégorie "fête de la bière" et ne trouve donc pas la réponse prévue par le programme. La vérification de la solution par le programme est alors impossible.