6. Conclusion

Notre travail d'analyse des céderoms était guidé par trois objectifs principaux : éclaircir la contribution des cédéroms à l'apprentissage lexical, comprendre les influences du support numérique sur le traitement des informations lexicales dans la mémoire et évaluer le rôle de l'enseignant de langues. Un processus hautement complexe comme celui de l'apprentissage langagier ne peut évidemment pas seulement dépendre du matériel de travail utilisé. L'apprenant lui-même a un rôle important à jouer et il paraissait donc essentiel de mieux connaître son comportement. Une structuration des différentes influences intervenant lors de l'apprentissage lexical avec les cédéroms nous a amenée à distinguer les conditions générales d'apprentissage (motivation, adaptation des activités aux besoins des apprenants et interactivité) et le traitement cognitif engagé par rapport au décodage et à l'encodage des unités lexicales. Ainsi, les stratégies employées par les apprenants, le travail avec des textes "modèles", les exercices fermés et la correction automatique jouent un rôle important. Ensuite, c'est à partir des capacités d'action de l'apprenant et de l'ordinateur que se définit le rôle de l'enseignant en tant que conseiller et accompagnateur.

Les résultats de notre étude empirique nous permettent de qualifier les cédéroms de supports de travail motivants qui proposent des thèmes intéressants et variés. Leur caractère ludique plaît également aux utilisateurs, mais une proposition d'activités ludiques en trop grand nombre revient à empêcher l'utilisateur de se concentrer sur le travail lexical. En s'engageant trop dans le jeu, il a tendance à oublier le travail lexical et à détourner ainsi le but cognitif initial.

L'adaptation du matériel de travail conçu pour un public large (afin d'amortir les frais engagés pour sa création) aux besoins des apprenants est sûrement un problème difficile à résoudre. Chaque apprenant arrive avec des besoins individuels et le défi consiste à proposer des activités relativement universelles pouvant intéresser un grand nombre d'utilisateurs. En offrant aux utilisateurs la possibilité de choisir les activités eux-mêmes, l'auteur du cédérom se dégage légèrement de sa responsabilité (en tant que médiateur) qui serait de proposer une activité adaptée à un utilisateur. En même temps, ce choix permet d'augmenter les chances d'une correspondance entre les besoins et l'offre. Le choix demeure néanmoins difficile et il paraît important que l'utilisateur puisse s'orienter dans l'organisation des activités et que les concepteurs du cédérom indiquent le niveau linguistique requis pour travailler avec une leçon ainsi que les compétences lexicales visées.

Un autre facteur clef concerne la cohérence des activités. C'est en insérant les activités langagières dans un contexte global qu'elles peuvent être profitables à l'apprenant et qu'elles présentent les conditions favorables à une mémorisation des unités lexicales. Compte tenu du choix différent de chaque apprenant, une telle cohérence est difficile à réaliser et il convient de reposer la question de l'organisation des activités langagières sur le cédérom. En effet, un travail lexical par compétences risque de faire intervenir des unités lexicales faisant partie des leçons que l'apprenant ne connaît pas. Un travail par champ lexical nous paraît plus adapté puisqu'il permet de réutiliser les mêmes unités lexicales pour un entraînement à différentes compétences. Les concepteurs d'un cédérom ne sont cependant pas en mesure de prévoir toutes les configurations d'apprentissage lexical possibles et il revient à l'apprenant (avec l'aide de l'enseignant) de créer une cohérence à l'intérieur de son projet d'apprentissage.

La proposition d'aides en prévision des difficultés potentielles rencontrées par les utilisateurs permet de renforcer l'interactivité nécessaire à l'apprentissage lexical. Nous avons pu constater l'intérêt des explications de vocabulaire ou encore la possibilité de revoir une séquence d'un film. L'utilisateur les consulte à volonté, en fonction des problèmes rencontrés. Pour que ces aides puissent être efficaces, les explications doivent correspondre au contexte proposé par le cédérom; il ne suffit pas, en effet, d'intégrer la base de données d'un dictionnaire général. Consulter une aide lexicale affichée à la demande de l'utilisateur est par ailleurs un exemple typique pour la relation interactive entre l'ordinateur et l'apprenant. Du fait de la nécessaire limitation des données pré-enregistrées, la machine ne peut pas réagir face aux questions non prévues par le concepteur. Le degré d'interactivité proposé par un cédérom reste donc très faible comparé à un dialogue avec un enseignant humain.

En ce qui concerne le travail lexical proprement dit, la multicanalité (assurée grâce au support numérique) se prête à de nombreuses stratégies de décodage des unités lexicales. Elle peut être à l'origine de très bonnes conditions de référenciation vers la signification des unités lexicales inconnues à condition de prévoir des rapports d'équivalence sémantiques et un dédoublement des informations lexicales dans plusieurs canaux. Le risque de surcharge cognitive doit cependant attirer notre attention. En effet, la mémoire de travail de l'apprenant possède une capacité limitée de traitement en parallèle des informations et il convient d'éviter de proposer trop d'informations sur le même canal (sonore ou visuel). En outre, il est impératif de veiller à une cohérence des informations présentées simultanément sur deux canaux différents.

Bien que nous ayons pu faire ressortir un grand nombre de stratégies de décodage des unités lexicales qui devraient constituer une aide appréciable pour les apprenants, ces derniers ont très vite recours au dictionnaire bilingue proposé par le cédérom. Or, les traductions proposées par les dictionnaires ne peuvent pas toujours servir de référent direct vers un concept mental et leur consultation ne laisse pas de traces mnésiques profondes. Il ne s'agit donc pas d'un outil idéal pour l'apprentissage lexical et l'utilisation des stratégies de décodage devrait être plus adaptée. Or, il est apparu que les apprenants n'utilisent pas l'ensemble des stratégies de décodage possibles et qu'ils n'exploitent pas entièrement les réponses fournies par la correction automatique. Ainsi, une formation des apprenants concernant les stratégies de décodage des unités lexicales s'avère importante afin qu'ils puissent profiter au mieux des possibilités offertes par les cédéroms.

Dans l'utilisation d'un cédérom, le travail d'encodage des unités lexicales est généralement réduit à un accompagnement dans des exercices fermés. L'utilisateur est amené à remplir des champs vides en saisissant des unités lexicales correspondantes ou en déplaçant simplement un mot à l'aide de la souris. Dans de nombreux cas, il n'a pas à chercher lui-même les unités lexicales correspondantes. Ce type d'exercice n'est pas en mesure d'assurer un entraînement à l'utilisation libre des unités lexicales et il manque donc aux cédéroms un volet important pour l'apprentissage lexical. Néanmoins, avant de rejeter complètement l'utilité des exercices fermés pour un travail d'encodage lexical, nous avons étudié leurs possibilités pour un entraînement des connaissances procédurales. En effet, nous pouvons supposer un engagement des processus d'amorçage permettant le rappel des unités lexicales à partir d'un stimulus. A condition de présenter les exercices dans un contexte, les exercices fermés peuvent alors contribuer à une amélioration des connaissances procédurales. En outre, pour effectuer un travail sur la mémorisation des unités lexicales, les exercices visant une structuration cognitive des unités lexicales sont également limités par la correction automatique. En effet, une organisation cognitive des unités lexicales reste individuelle et ne peut pas être prévue d'avance par les concepteurs du cédérom. L'efficacité apparaît donc faible puisque l'intelligence de la machine est limitée par des schémas pré-programmés.

Par ailleurs, l'accessibilité des cédéroms en dehors des cours dispensés par un enseignant méritait une étude de leur utilisation en autoformation. Compte tenu des faiblesses des cédéroms mises en avant pour l'apprentissage de l'utilisation libre des unités lexicales, le seul travail avec un cédérom ne peut pas assurer un travail lexical complet. Il semble plutôt judicieux de l'insérer dans un projet d'apprentissage global qui doit être établi sous la surveillance d'un enseignant de langues. La construction d'un projet d'apprentissage commence par une réflexion sur un but à atteindre et les moyens nécessaires pour mettre en œuvre les actions. A ce stade, l'apprenant débute son travail langagier par une réflexion métacognitive qui lui permet de préparer le terrain pour une mémorisation des informations lexicales. Compte tenu des travaux sur l'interlangue et de la construction des hypothèses langagières, une étude sur le développement de la conscience métacognitive et métalinguistique nous semblait pouvoir mener à des pistes d'amélioration du travail langagier avec les cédéroms. En effet, notre expérience concernant la correction mutuelle des rédactions écrites par des camarades de classe a montré que les apprenants ont profité des réflexions sur la langue. En poursuivant sur cette voie, il devrait être possible d'approfondir le traitement cognitif des unités lexicales et d'éviter des erreurs fréquentes. Lorsque la réflexion métacognitive est cependant sollicitée par le cédérom, on risque une incapacité de répondre aux questions personnelles des apprenants. Il revient donc à l'enseignant de langues d'encadrer les apprenants à ce sujet (en proposant, par exemple, des fiches de travail). En complément, il paraît nécessaire de continuer le travail lexical entamé par le cédérom dans les productions ouvertes et pour lesquels l'enseignant est à nouveau sollicité.