4.2.2. Reformulations

En tant qu'énonciateur, les partenaires tandem ont recours à différents types de reformulations par lesquelles ils essaient de mieux faire comprendre des messages textuels ainsi que le sens des unités lexicales utilisées leur paraissant être difficilement compréhensibles. En se projetant à la place de l'autre, ils expliquent des concepts abstraits par un ajout d'informations complémentaires et en utilisant des termes plus concrets. Ils essayent de préciser les concepts généraux par des sous-catégories, ils jouent sur la police des caractères graphiques et ils proposent des traductions vers la langue maternelle de l'apprenant. Parfois, l'énonciateur se rend compte, au cours de sa rédaction, d'une non-coïncidence entre la signification de son "écrit" et l'idée qu'il voudrait exprimer. Il va alors s'auto-corriger par une reformulation. Pour créer un lien entre deux messages électroniques, il existe en outre des formulations qui se basent sur une reprise du sujet et qui peuvent servir ainsi d'indicateurs pour le décodage des unités lexicales inconnues. Nous analysons par la suite pour ces différents types de reformulations les conditions de décodage des unités lexicales inconnues. Pour le choix des unités lexicales "inconnues", nous nous basons d'une part sur les fiches "Les unités lexicales nouvelles" que les étudiants ont joint dans leur "dossier tandem" (où ils ont indiqué comme "inconnus" les termes apparaissant dans nos exemples) et d'autre part, sur nos expériences en tant qu'enseignante d'allemand.

Beaucoup de concepts abstraits deviennent plus clairs par un rajout d'informations pouvant comprendre plusieurs lignes, comme dans le cas du terme "Eiertrudeln" :

‘(1) "Eine beliebte Tradition ist das "Eiertrudeln". Dabei stellt man sich mit seinem Osterei auf einen Hügel und lässt es den Hügel herunter rollen. Ich wohne im Flachland und hab' so etwas also noch nicht gemacht und kann dir deshalb leider nicht sagen, ob derjenige gewonnen hat, dessen Ei am wenigsten kaputt ist, oder derjenige, dessen Ei als Rührei 15 unten ankommt." (IE, 2003, p. 9) ’

Comme il s'agit ici d'une tradition régionale, nous pouvons supposer que l'unité lexicale "Eiertrudeln" est inconnue aux apprenants français. En imaginant les actions décrites dans l'explication du partenaire tandem (des gens laissent rouler un œuf du haut d'une colline), il est possible de décoder partiellement l'unité lexicale "Eiertrudeln" en construisant un nouveau concept mental. Pour un décodage plus complet, on aurait cependant souhaité une explication plus détaillée, exprimée avec des termes compréhensibles et rendant plus clair le concept de cette coutume. L'explication pour l'unité lexicale "Erasmus-Programm" est plus complète :

‘(2) Ich bin mit dem ERASMUS-PROGRAMM nach Sheffield gegangen. Das ist ein Programm, was sich auf Länder der EU erstreckt und ist im Prinzip ein Austauschabkommen unter europäischen Universitäten. Für jeden Studenten, der beispielsweise von meiner Heimatuni hier nach Sheffield geht, kommt ein Student aus Sheffield für ein Jahr nach Hamburg. (AL, 2003, p. 24)’

Cette explication présente des termes que l'apprenant pourrait avoir du mal à comprendre comme "erstreckt", "Austauschabkommen", "Heimatuni" et qui peuvent compliquer la tâche de déduction de la signification de "Erasmus-Programm". Le problème de compréhension des unités lexicales dans les explications en langue cible n'est pas nouveau et montre la nécessité d'avoir des connaissances de base en langue cible. Par rapport aux paraphrases utilisées dans les dictionnaires bilingues, les explications des partenaires tandem ont par contre l'avantage d'être formulées par des personnes du même âge que les apprenants. Elles contiennent des exemples concrets qui sont pour eux plus facilement imaginables parce qu'ils connaissent en règle générale des situations analogues.

En l'occurrence de l'unité lexicale "Erasmus-Programm", il convient de tenir compte du fait que ce message fait partie d'un échange entre deux étudiantes qui se connaissent au travers de leurs présentations. L'étudiante française sait que sa partenaire tandem est allemande et qu'elle fait des études à Sheffield en Angleterre. Elle sait également, grâce à son expérience en tant qu'étudiante, qu'il peut y avoir des échanges entre les universités. Elle peut donc mobiliser des connaissances qui peuvent l'aider pour la compréhension du contexte et de l'explication. Ainsi, le décodage de l'unité lexicale "Erasmus-Programm" avec la signification "programme d'échange inter-universitaire" devient possible.

Dans le but de fournir une aide au décodage, les partenaires tandem utilisent également les reformulations descriptives et relativement courtes. L'exemple suivant permet l'étude du processus de décodage pour le terme "Hochwasser" :

‘(3) Heute Nacht hatten wir einen ziemlich schlimmen Sturm und Hochwasser. Überall sind die Keller vollgelaufen und haben die Wohnungen in einen See verwandelt. (TR, 2003, p. 4)’

Cette explication comprend des termes difficilement compréhensibles pour un apprenant francophone comme "vollgelaufen" et "verwandelt". On note de plus que la reformulation montre plutôt les conséquences de la montée de l'eau sans expliquer exactement la signification de l'unité lexicale inconnue "Hochwasser" (qui signifie que l'eau a atteint un niveau très élevé). Enfin, les apprenants ne peuvent pas forcément activer beaucoup de connaissances du monde par rapport à ce sujet puisque cet événement ne constitue pas un événement très courant. Dû à la difficulté du décodage des unités lexicales présentes dans la reformulation, le manque de reprise de traits sémantiques de l'unité lexicale à décoder et des connaissances du monde facilement à activer, cette reformulation ne constitue donc qu'une aide indirecte au décodage du terme "Hochwasser".

Dans d'autres cas, l'énonciateur cherche manifestement à clarifier son dire et à aider l'apprenant à mieux comprendre un terme mentionné en proposant entre parenthèses une reformulation :

‘(4) "In Deutschland gibt es den Rosenmontag, Karneval. Die Leute verkleiden sich (ziehen Kostüme an) und sind fröhlich und lustig. […] Am 3. Oktober feiern wir den Tag der deutschen Einheit. Die "Wiedervereinigung von Ost-und Westdeutschland" (der Fall der Mauer 1990)." (BP, 2003, p. 6)’

Les deux explications "ziehen Kostüme an" et "der Fall der Mauer 1990" montrent que les reformulations fournies par le partenaire allemand n'aident pas toujours à proportion égale au décodage d'une unité lexicale présente dans un texte. Ainsi, la première reformulation n'apporte pas beaucoup d'informations supplémentaires puisque l'apprenant peut reconnaître dans l'unité lexicale "verkleiden" le terme "Kleid" (robe) ou "Kleider" qui lui permet de deviner, dans le contexte du carnaval, que les gens vont mettre des robes ou vêtements spécifiques. Avec le verbe "anziehen" (mettre quelque chose), l'explication "ziehen Kostüme an" peut confirmer cette hypothèse, mais elle risque de compliquer le processus de déduction du sens par la présence d'un "faux ami". En effet, l'unité lexicale "Kostüme" ressemble dans sa forme phonétique et graphique à "costume" qui signifie "tailleur" et pas "déguisement". En ce qui concerne le terme "Wiedervereinigung von Ost-und Westdeutschland", le décodage du terme "Wiedervereinigung" pourrait nécessiter une explication, même si l'apprenant peut décomposer ce terme en "wieder" (re) et "Vereinigung" (unification). Les unités lexicales utilisées dans l'explication "der Fall der Mauer 1990" devraient être faciles à comprendre et on note la présence du chiffre "1990" qui favorise le rappel de l'événement historique. L'explication du partenaire allemand soutient donc la compréhension de l'unité lexicale.

Certaines reformulations se basent sur des processus de catégorisation en précisant entre parenthèses des sous-catégories. En remontant le chemin de catégorisation, le lecteur peut construire des hypothèses de signification pour le terme général tout en utilisant ses connaissances du monde :

‘(5) "Was Ostern angeht, so glauben die Kinder daran, dass ihnen der Osterhase am Ostersonntag Süssigkeiten (meistens Schokoladeneier und Schokoosterhasen) bringt." (AL, 2003, p.44)’ ‘(6) Dazu bin ich sehr sportlich : ich spiele Badminton, Tennis, Tischtennis, ich fahre Ski und besonders Snowbord . (AL, 2003, p. 11)’

Pour l'exemple (5), le terme "Süssigkeiten" représente d'une part, un terme général et d'autre part, le nom d'une catégorie dont les traits sémantiques sont précisés par les sous-catégories, c'est-à-dire par les termes "Schokoladeneier" et "Schokoosterhasen". Pour le décodage du terme "Süssigkeiten", il convient ensuite de remonter une catégorie à partir de "Schokoladeneier" et "Schokoosterhasen" et de trouver une catégorie qui peut comprendre ces deux catégories. Hors contexte, on pourrait imaginer la catégorie des "chocolats". Dans le contexte de Pâques et du cadeaux du "lapin de Pâques" (qui cache les friandises pour les enfants), il convient d'élargir cependant la catégorie générale puisque le "lapin de Pâques" n'apporte pas seulement des chocolats, mais aussi d'autres friandises. La connaissance des coutumes de Pâques en Allemagne, ainsi que la compréhension de l'unité lexicale "Osterhase", permettent un décodage contextuel et donc un décodage plus précis. Lorsque ces deux éléments ne sont pas assurés, ce qui est tout à fait possible pour un apprenant français qui n'a pas été en contact avec les coutumes du "lapin de Pâques", le décodage du terme "Süssigkeiten" reste cependant imprécis.

L'exemple (6) montre le chemin inverse de décodage : au lieu d'aider au décodage du terme général, il est possible d'effectuer un transfert des traits sémantiques du terme représentant la catégorie générale "sportlich" vers les termes représentant des sous-catégories. L'unité lexicale "sportlich" étant transparente pour un apprenant français, elle permet de déduire que les termes "Badminton", "Tennis", "Tischtennis", "Ski" et "Snowbord" réfèrent à différents types de sport. Un décodage plus précis des unités lexicales mentionnées peut se faire ensuite par une reconnaissance des termes transparents comme que "Badminton", "Tennis", "Ski" et "Snowbord". La reformulation permet alors un renforcement de l'hypothèse établie par la reconnaissance des termes transparents. Lorsque les sous-catégories ne sont pas transparentes, le résultat du décodage reste néanmoins très général et peu précis.

Il se peut également que le partenaire tandem essaie de clarifier le sens d'une unité lexicale, qu'il suppose être difficile à comprendre, en proposant une traduction en langue maternelle de l'autre partenaire :

‘(7) "Gestern habe ich von meinen Eltern ein Paket mit lauter Weihnachtsplätzchen, Stollen (quelque chose comme votre Buche de Noël, je crois), Käse, Schwarzbrot usw. bekommen." (AL, 2003, p. 10)’ ‘(8) "Morgen werde ich in die Part-Dieu gehen (grand centre commercial)." (CG, 2003, p. 3)’

Une traduction en langue maternelle est bien sûr facile à comprendre pour l'apprenant, mais l'exemple (7) montre qu'il n'est pas toujours aisé de trouver une traduction "juste" correspondant exactement à la signification actualisée dans l'unité lexicale traduite. En effet, il est impossible de traduire exactement un terme si la langue cible ne connaît pas le concept auquel il renvoie. C'est le cas du "Stollen" qui est une spécialité allemande consommée pour les fêtes de Noël et qui n'est pas fabriquée en France. La traduction fournie par le partenaire fait seulement référence à un gâteau traditionnel pour Noël mais dans leurs ingrédients les deux gâteaux sont très différents : le "Stollen" est fabriqué avec des raisins et des amandes, sans addition de chocolat, alors que la bûche de Noël contient de la crème et en général, du chocolat. Dans l'exemple (8), la traduction est plus générale et aide en effet à comprendre le terme "Part Dieu" qui est uniquement connu d'une population très restreinte.

Une particularité des courriers électroniques consiste en l'utilisation des signes iconographiques " : ) " ou " : ( " servant à transmettre des sentiments, mais aussi à donner une orientation d'interprétation pour un énoncé.

‘(8) "Ich wünsche Dir gute Besserung für deine Blessuren vom Judo ! Erhol' Dich erst einmal bevor Du wieder Sport treibst ! :) " (TR, 2003, p. 8)’

Dans l'exemple (9), le signe iconographique " : ) " ne vise pas une unité lexicale spécifique qu'un apprenant sera éventuellement amené à décoder, mais plutôt une aide indiquant une nuance humoristique de la phrase et permettant d'éviter une mauvaise compréhension et interprétation de la phrase. Ainsi, la forme impérative "Erhol' Dich …" pourrait être interprétée comme un ordre qu'un maître donne à son élève et le partenaire tandem pourrait être vexé par le rapport de supériorité que l'utilisation de l'impératif implique. A l'oral, l'énonciateur peut utiliser le ton et la prosodie pour faire comprendre à l'interlocuteur qu'il ne souhaite pas exprimer un rapport de supériorité. A l'écrit, le ton ne peut pas être transmis et le signe iconographique le remplace en indiquant qu'il convient d'interpréter la forme impérative d'une manière humoristique.

L'autocorrection apporte des précisions sémantiques supplémentaires par rapport au terme reformulé et le lecteur peut utiliser ses connaissances sur l'enchaînement des informations et en remontant vers l'amont de l'énoncé :

‘(9) "Wo ich wohne, gibt es nicht so viele Berge, man kann eher sagen, dass es hügelig ist. Aber nicht weit weg von uns gibt es ein paar Berge, die aber nicht so hoch sind wie die Alpen oder der Schwarzwald, aber dort könnte man auch Skifahren." (ECH, 2003, p. 8)’ ‘(10) Auch in Deutschland glauben die Kinder daran, dass der Weihnachtsmann ihnen die Geschenke bringt, und häufig werden Briefe bzw. Wunschzettel, …. (AL, 2003, p. 11)’

Les deux exemples présentent plusieurs difficultés pour l'apprenant. Dans le cas de l'exemple (10) "hügelig", il faut revenir en arrière dans l'énoncé pour trouver des précisions sémantiques et en même temps, la formulation "es gibt nicht so viele Berge" reste floue.

Dans le cas de l'exemple (11), "Wunschzettel", l'autocorrection est annoncée par "bzw." (beziehungsweise = c'est-à-dire) et l'apprenant peut supposer qu'il est possible de transférer la signification du terme "Brief" vers l'unité lexicale inconnue "Wunschzettel". On note cependant une différence sémantique importante entre les deux termes, réduisant leur efficacité d'aide au décodage.

La reformulation d'une expression maladroite de l'apprenant par le partenaire tandem est souvent utilisée comme moyen de créer un lien entre deux messages. De plus, ce lien fournit des indications par rapport à la signification des termes qui reprennent cette expression:

‘(11) Etud. 16 : Bezüglich des Tankerunglück möchte ich wissen, was du über der ökoligischer ’ ‘(12) Katastrophe denkst und, welche Lösungen du vorschlagen werder. Persönlich scheint es mich, dass es ein Symbol des Kapitalismus ist, der versenken hat. Ich denke, dass die französische Macht nicht genug Anordnungen genommen hat, um der Umwelt zu schützen." (AL, 2003, p. 37)’ ‘(13) Part.: "Was das Tankerunglück angeht, so weiss ich nicht, ob man das als Symbol für’ ‘den Untergang des Kapitalsmus sehen kann. " (AL, 2003, p. 39) ’

Dans l'exemple (15), l'unité lexicale " Untergang " constitue une reformulation pour l'unité lexicale "der versenken hat" que l'étudiante a utilisée pour exprimer que le capitalisme a coulé avec le pétrolier. Sachant que le partenaire tandem reprend un sens exprimé (d'une manière maladroite) dans le mail précédant, il suffit de reconnaître la reformulation et de se reporter au premier mail (et le sens exprimé par "l'expression maladroite") pour effectuer un transfert de sa signification vers le terme inconnu "Untergang" dans la reformulation.

Notes
15.

Pour cuisiner du "Rührei", on bat les jaunes et les blancs des œufs dans un récipient et on fait cuire ensuite ce mélange dans une poêle.

16.

Les abréviations utilisées signifient pour "Etud." : étudiante française, et pour "Part." : partenaire tandem