4.2.4. Enquêtes

Afin de connaître les stratégies de décodage effectivement utilisées par les étudiants ainsi que l'intérêt de ces stratégies pour le décodage des unités lexicales, nous avons organisé deux types d'enquêtes auprès des étudiants ayant participé au "projet tandem" : une enquête quantitative et une enquête qualitative (annexe 4). Nous avons demandé aux étudiants de noter sur une fiche "travail lexical" leur manière de procéder pour décoder les unités lexicales inconnues ainsi que leur hypothèse de signification.

Pour l'étude quantitative, nous avons compté les stratégies utilisées dans un échantillon de 100 messages tandem en provenance de 10 étudiants différents. Le graphique suivant montre le poids relatif (exprimé en pourcentage) de chacune des neuf stratégies de décodage :

Figure 5 : stratégies de décodage utilisées par les étudiants
Figure 5 : stratégies de décodage utilisées par les étudiants

On remarque une forte dominance des stratégies d'utilisation du contexte, du dictionnaire et la faible part des stratégies prenant en compte la cohésion textuelle et les connaissances du monde. Les étudiants n'ont pas non plus fréquemment utilisé les informations sémantiques qu'ils auraient pu déduire des reformulations textuelles, les ressemblances entre les deux langues, ou encore les indications d'emplacement des informations. Les sujets sont donc restés en général très près du texte, sans exploiter complètement les possibilités offertes par la microstructure et sans utiliser beaucoup la macrostructure du texte. Notre hypothèse initiale (5) se trouve néanmoins confirmée.

Pour l'étude qualitative, nous avons noté les indications données par les étudiants par rapport à leur moyen de décodage et leur hypothèse de signification. Les étudiants ont exprimé leurs hypothèses par un terme en langue maternelle, ce qui peut, pour certaines unités lexicales, paraître peu précis. La traduction en langue maternelle est pour eux un moyen simple et habituel ne posant pas de problèmes liés à la manipulation de la langue cible. A titre d'expérience, nous avons demandé à trois étudiants d'exprimer la signification des unités lexicales "Lebensweisen", "katholisch" et "Praktikum" en langue cible, il est apparu qu'ils étaient dans 6/9 des cas capables d'expliquer la signification des unités lexicales à l'aide d'une paraphrase. Une comparaison des réponses sur les "fiches de travail" avec nos analyses des possibilités de décodage nous permet maintenant d'étudier quelles stratégies ont été employées avec succès :

Figure 6 : exemple d'utilisation de stratégies de décodage des unités lexicales
Stratégies utilisées Mot nouveau rencontré dans un message tandem: Moyen pour décoder l’unité lexicale nouvelle: Signification de l'unité lexicale nouvelle:
(1) Décomposer une unité lexicale Ich weiß, dass Deutsch keine leichte Sprache ist. Ich bin aber gerade deshalb jedes Mal begeistert, wie gut und verständlich du schreiben kannst !! Es gibt viele sprachliche Kleinigkeiten, auf die man achten muß, aber das klappt schon alles ! (CH, 2003, p.5) Découpage du mot : „Klein“ se trouve dans le mot, et le contexte de la phrase parle de mes fautes en allemand, qu’elle dit trouver rares. (CH, 2003, p. 13) Chose insignifiante. (CH, 2003, p. 13)
(2) Reconnaître une structure familière Zunächst muß ich dir sagen, dass ich weder katholisch noch evangelisch bin und deshalb wenig über Ostern im religiösen Sinn in Deutschland sagen. (IE, 2003, p..9) Contexte : "Weder katholisch noch evangelisch" : ni … ni
Connaissances : principales religions en Allemagne : catholique et protestant (IE, 2003, p.3)
Protestant (IE, 2003, p..3)
(3) Ressemblance avec une autre langue "Für diesen Sommer plane ich mit meinem Freund für 3-4 Wochen nach Griechenland zu fahren und von Insel zu Insel zu reisen." (CCS, 2003, p.9) Par ressemblance avec le français Grêce
(4) Se servir des informations fournies par la cohésion textuelle Für die kommende Woche wünsche ich dir viel Spaß und viel Sonne (und viel Zeit zum klettern!!) (CCS, 2003, p. 9) Par rapport au reste de la phrase (CCS, 2003, p. 2) Prochain (CCS,2003,p..2)
(5) Utiliser des connaissances du monde Ich reise wirklich gerne (vor allem mit dem Rucksack) … ich finde es so interessant, andere Länder, Kulturen und Lebensweisen kennenzulernen." (CCS, 2003, p.9) Par rapport au thème abordé (CCS, 2003, p.2) Traditions (CCS, 2003, p.2)
(6) Contexte "Ich habe am Anfang der Woche immer sehr viel zu tun, so daß ich dir in Zukunft erst so gegen Wochenende schreiben kann. Ich hoffe, dass du damit einverstanden bist. Aber vielleicht passt dir diese Regelung auch ganz gut. (CH, 2003, p. 10) Déduction par rapport au contexte de la phrase "aber vielleicht paßt dir diese Regelung auch ganz gut. (CH, 2003, p. 13) Règle (CH, 2003, p. 13)
(7) Reformulation inter-messages "Was das Tankerunglück angeht, so weiß ich nicht, ob man das als Symbol für den Untergang des Kapitalsmus sehen kann. " (AL, 2003, p. 39) Référence à mon mail précédent. Reformulation par rapport à mon mail. (AL, 2003, p. 50) Déclin (AL, 2003, p..50)
(8) Emplacement dans le message Ich habe den korrigierten Teil unten drangehängt." (CCS, 2003, p. 9) J'ai cherché dans le dictionnaire, mais je n'y ai pas trouvé ce mot ! (CCS, 2003, p. 2) ?
(9) Utilisation d'un dictionnaire bilingue Ansonsten ist man in Münster immer sehr viel mit dem Fahrrade unterwegs. Ursprünglich komme ich aus der Nähe von Hamburg und bin erst vor einem halben Jahr, als mein Studium begann, nach Münster umgezogen." (CH, 2003, p. 3) Je n’ai pas pu trouver la signification exacte de ce mot sans le dictionnaire, car le contexte n’était pas très clair pour le comprendre ("Ursprünglich komme ich aus der Nähe von Hamburg."). J’ai compris qu’il s’agissait d’un adverbe, mais je n’ai pas pu déduire la signification exacte. (CH, 2003, p. 13) A l’origine. (CH, 2003, p. 13)

Les stratégies de transfert d'éléments connus ont été employées avec succès et il en est de même pour l'utilisation des informations en provenance du contexte et de la cohésion textuelle (y compris la reformulation inter-messages). Notre analyse fait cependant apparaître que les étudiants oublient de vérifier leur hypothèse de signification par rapport au contexte de la phrase. Dans l'exemple (1), l'étudiante a correctement décomposé le terme "Kleinigkeiten", mais elle ne s'est pas rendue compte qu'il n'est pas très logique de faire attention aux "choses insignifiantes". De plus, les étudiants ne combinent pas toujours deux ou plusieurs stratégies de décodage. Bien que l'hypothèse "tradition" (dans l'exemple (5)) aurait été possible, il aurait fallu également décomposer le terme à décoder. Le terme "Leben" (vie) fait plutôt allusion au quotidien et pas au passé, ce qui rend l'hypothèse de l'étudiant peu plausible. Les étudiants connaissent donc des difficultés de choix d'une bonne stratégie de déduction ce qui confirme notre hypothèse (6). Cette difficulté de choix des stratégies se reflète aussi dans la fréquence de consultation des dictionnaires que les étudiants emploient régulièrement quand ils ne trouvent pas la signification à l'aide d'une autre stratégie. Dans le cas de l'exemple (8), l'utilisation d'un dictionnaire n'aurait pas été nécessaire mais l'étudiante n'a probablement pas vu d'autre solution.

En ce qui concerne nos hypothèses initiales (7) et (8), notre analyse des conditions de décodage dans les reformulations textuelles et les explications données à l'initiative de l'apprenant a fait apparaître que le travail en tandem présente effectivement des occasions favorables pour le décodage des unités lexicales inconnues. Les reformulations textuelles sont surtout utiles pour les explications des concepts abstraits, les reformulations entre parenthèses lorsqu'elles sont simples et non ambiguës et si elles permettent une activation des concepts proches de l'unité lexicale à décoder. L'utilisation des processus de catégorisation apporte des renseignements sémantiques dans la mesure où le lecteur sait identifier les traits sémantiques d'une catégorie générique ou descendre vers une sous-catégorie. La traduction en langue maternelle est évidemment un autre moyen de décodage lorsqu'un équivalent existe en langue maternelle du lecteur. Les autocorrections sont le signe d'un problème d'expression de l'énonciateur et elles compliquent dans de nombreux cas le décodage des unités lexicales inconnues. Enfin, les signes iconographiques ne semblent pas avoir aidé les étudiants pour le décodage d'une unité lexicale.