4.3.2. Apprendre par la correction du partenaire tandem

Au cours du travail en tandem, les apprenants reçoivent des corrections de leurs textes écrits en langue cible. Comment les partenaires tandem (allemands) corrigent-ils les messages reçus par les apprenants francophones ? S'agit-il ici effectivement d'un feedback intéressant sur le plan du développement de l'encodage des unités lexicales et permettant de vérifier leurs hypothèses concernant le fonctionnement syntaxique et situationnel des unités lexicales ?

Au niveau pratique, les corrections, qui se font directement dans le texte par la fonction "répondre" de la messagerie électronique, se traduisent soit par la proposition d'une unité lexicale correcte, éventuellement complétée par une explication de la part du partenaire, soit par une simple indication de l'endroit de l'erreur. Certains binômes utilisent aussi des couleurs pour faire ressortir les formes correctes.

Afin de connaître si les corrections des partenaires sont suffisantes pour une progression lexicale de l'apprenant, nous étudierons des exemples en provenance des échanges en tandem effectués par nos étudiants au centre de langues. Le corpus des corrections comprend différents types d'erreurs que l'on peut classer en quatre groupes : premièrement, l'emploi situationnel des unités lexicales, deuxièmement, les erreurs dues à une influence importante de la langue maternelle et un transfert interlingual (pour lesquelles une analyse contrastive semble être efficace pour se rappeler les règles déjà apprises), troisièmement, les erreurs nécessitant une analyse de l'erreur et un entraînement à cette compétence et quatrièmement, les erreurs provenant d'une méconnaissance de la construction des formes graphiques et de leur fonctionnement syntaxique et situationnel (nécessitant des informations complémentaires). Nous présentons ci-dessous pour chacune des quatre groupes différents extraits de la correspondance de nos étudiants. Les formes erronées sont marquées "en gras" et la correction du partenaire tandem "entre parenthèses".

Le premier groupe comprend les unités lexicales dont l'emploi dépend de la situation d'énonciation. Beaucoup d'erreurs proviennent d'un transfert de la langue maternelle, comme le montrent les exemples suivants :

‘(1) ich habe meinen examen gepasst (bestanden)(ML, 2003, p. 7)’ ‘(2) zum Beispiel, nachher waren (kosteten)die „tickeks de bus“ (LD, 2003, p. 21)’ ‘(3) […], ob wir uns auf die Prüfungen noch einmal vorstellen konnten (die Prüfungen noch einmal schreiben können)(VCHO, 2003, p. 13)’ ‘(4) Es tut mir leid, aber mein Computer hatte Probleme und ich hatte keinen Losung (keine Möglichkeit) um dich zu schreiben (AL, 2003, p. 6)’ ‘(5) denn die Universität mir viel kümmert (die Universität kostet mich viel Zeit) (IE, 2003, p. 8)’ ‘(6) ich habe gut Schule wiedergenehmt (die Schule hat wieder begonnen)(ML, 2003, p. 8)’

Pour ce type d'erreurs, il n'existe pas de règles précises que l'apprenant pourrait chercher dans une grammaire. Soit, on apprend les co-occurrents en travaillant avec des modèles, soit en corrigeant des hypothèses erronées à l'aide des corrections. Le travail en tandem présente donc un moyen idéal pour apprendre l'emploi situationnel des unités lexicales, puisque les partenaires tandem peuvent, soit proposer une unité lexicale plus adaptée (exemples 1-4), soit réécrire la phrase (exemples 5-6).

Les erreurs du deuxième groupe, comprenant des erreurs de majuscules, d'orthographe et de conjugaison, peuvent normalement être corrigées en comparant la forme erronée avec la forme corrigée :

‘(1) "es ist meine erste jahre (Jahre)"(ML, 2003, p. 3)’ ‘(2) "ich vorschlage, dass wir ein bisschen in fremdsprache (Fremdsprache) und ein partie in muttersprache (Muttersprache)schreiben." (AL, 2003, p. 5)’ ‘(3) "ich denke, dass amerika (Amerika) uns zeigt […]" (LD, 2003, p. 17)’ ‘(4) "viele chokolade (Schokolade)."(MD, 2003, p. 4)’ ‘(5) " nächstes Jach (Jahr)."(MA, 2003, p. 2)’ ‘(6) "habe ich mich entscheidet (entschieden)." (MA, 2003, p. 2)’ ‘(7) "gab es Ereignisse, die haben dich überraschen (überrascht) ?" (MA, 2003, p. 4)’

Dans le cas des exemples (1), (2) et (3), l'apprenant se rappelle probablement de la règle concernant l'emploi des majuscules en allemand et la différence avec la langue française. Les erreurs d'orthographe (exemples (4) et (5)) proviennent souvent d'une construction des formes graphiques d'après les formes phonétiques tout en transférant les règles apprises pour la langue maternelle. Comme le son "sch" s'écrit "ch" en français, les apprenants on tendance à écrire "chocolade" et à écrire un "c" au lieu du "k". Dans l'exemple (5), une attitude d'hypercorrection pour former un mot "typiquement allemand" a amené l'étudiante a construire la forme graphique "Jach". Pour la construction de la forme du participe passé (exemple (6) et (7)), la correction du partenaire peut suffire parce qu'il n'existe pour un verbe qu'une forme acceptable. Une analyse contrastive devrait permettre de constater les différences entre les deux langues, de prendre conscience de leur fonctionnement, et de corriger les hypothèses erronées dans le système d'interlangue.

Les co-occurrents, qui font partie du troisième groupe, se situent à mi-chemin entre les deux groupes mentionnés puisque les corrections des partenaires tandem permettent un ajustement des hypothèses langagières si l'apprenant engage une analyse de l'erreur.

‘(1) "ich möchte wissen was machst du für (zu) Ostern." (MD, 2003, p. 4)’ ‘(2) " ich studiere Geschichte in (an) der Universität." (SP, 2003, p. 13)’ ‘(3) "ich bin froh von (über)meinen Noten." (SP, 2003, p. 23)’ ‘(4) " interessiere ich mich um (für) deine Meinung." (IE, 2003, p. 10)’ ‘(5) "ich wollte dir (dich)fragen." (LD, 2003, p. 21)’ ‘(6) "es würde einfacher in (auf) französisch." (LD, 2003, p. 18)’

Dans de nombreux cas, les prépositions doivent être apprises avec l'unité lexicale car elles n'obéissent pas à des règles généralisables. Il faut par contre déterminer quels sont les co-occurrents "inséparables" pour pouvoir ensuite les réemployer correctement. Cet exercice peut paraître difficile pour les apprenants peu habitués et il appartient à l'enseignant de langues de proposer, à travers des exercices spécifiques, un entraînement dans cette compétence.

Pour les erreurs du quatrième groupe, la prise de conscience d'une erreur à l'aide d'une analyse contrastive ne suffit pas pour comprendre et apprendre les règles déterminant le fonctionnement syntaxique et les différentes formes graphiques des adjectifs et des prépositions à valeur directionnelle. C'est le cas des exemples suivants :

‘(1) "das ist ein Lernen vollständig (das ist ein vollständiges Lernen)." (AL, 2003, p. 13)’ ‘(2) "ich würde lieber mit taubstummeren (taubstummen)Kinder arbeiten." (IE, 2003, p. 8)’ ‘(3) "das ist mehr interessant (interessanter)." (AL, 2003, p. 22)’ ‘(4) "war sie auch in (nach) Lyon gefahren." (SP, 2003, p. 18)’

Dans les exemples (1), (2) et (3), les erreurs laissent supposer qu'une seule comparaison entre la forme erronée et la forme corrigée peut encore permettre de se rappeler la place ou la forme de l'adjectif, mais qu'il peut être nécessaire de consulter une grammaire (tableau de déclinaison) pour construire correctement les formes lexicales et pour réviser les règles du comparatif. Pour la préposition dans l'exemple (4), l'apprenant a besoin de chercher la règle d'emploi des prépositions "in" et "nach" (elle est à Lyon, elle va à Lyon) pour les employer correctement et il ne pourra pas la déduire d'une analyse contrastive parce que la langue française ne connaît qu'une préposition pour les deux cas.

Les corrections des partenaires tandem sont utiles pour apprendre l'emploi situationnel des unités lexicales, pour connaître la forme graphique correspondant à un seul énoncé présent dans le message tandem, ou pour se rappeler des règles simples (par exemple, emploi des majuscules) apprises auparavant. Pour les cas spécifiques n'acceptant qu'une possibilité de construction grammaticale (par exemple, le participe 2 des verbes forts), il suffit d'apprendre la forme graphique suggérée par le partenaire tandem. Une utilisation libre des unités lexicales suppose cependant la connaissance d'informations lexicales pouvant servir à une variété de situations d'énonciation. En tant que correcteur, le partenaire tandem ne peut pas donner toutes les informations lexicales nécessaires pour un apprentissage correct de l'emploi des unités lexicales : d'une part, il n'est pas forcément conscient de toutes les règles sous-jacentes et d'autre part, le nombre d'erreurs à corriger dans un mail le contraint de limiter l'ampleur de sa correction. L'apprenant doit alors essayer de trouver des règles en cherchant des informations complémentaires soit, dans un manuel, soit en demandant à l'enseignant de langues.