Conclusion générale

Les technologies numériques constituent un outil de travail ouvrant de nombreuses perspectives pour l'apprentissage lexical. Pour autant, nous ne pouvons pas leur attribuer des fonctions miraculeuses qui dorénavant permettraient de résoudre l'ensemble des préoccupations d'un enseignant de langues. Un jugement plus nuancé s'impose afin de pouvoir mettre en valeur les points forts ainsi que les failles de chaque produit multimédia. Mettre en avant les avantages et les inconvénients des produits multimédia pour l'apprentissage lexical suppose cependant de bien cerner l'influence des interactions mutuelles entre les informations provenant du support numérique et de la méthode de travail de l'apprenant. Du fait de la complexité du processus de l'apprentissage lexical, notre travail d'analyse devait prendre en compte plusieurs domaines relevant aussi bien des facteurs externes que des facteurs internes de l'apprentissage. Ainsi, notre but était de vérifier :

A cette fin, les résultats des recherches en provenance de la linguistique, de la psycholinguistique et de la didactique se sont avérés indispensables pour nos réflexions. En les réunissant, nous avons tenté d'une part, de comprendre les conséquences des différentes activités langagières proposées par les cédéroms, les sites Internet et le travail en tandem et d'autre part, d'évaluer leur efficacité pour l'apprentissage lexical.

Tout d'abord, il était incontournable de mieux comprendre les mécanismes déterminant le fonctionnement de la mémoire. En effet, cet organe est chargé de sélectionner les informations perçues par le sujet, de les traiter, de les réorganiser, de les rappeler et de les stocker pour des durées variables. L'accomplissement de ces tâches devient possible grâce à deux types de connaissances : les connaissances déclaratives et les connaissances procédurales. Les premières représentent les informations formelles et sémantiques et elles peuvent être rappelées en cas de besoin. La limite de la capacité de la mémoire de travail nécessite un transfert des informations perçues dans une mémoire qui les retient plus longtemps. Compte tenu des compétences langagières généralement requises pour les apprenants, la situation optimale serait leur enregistrement dans la mémoire à long terme avec une disponibilité immédiate des informations lexicales. Or, la mémoire à long terme ne peut enregistrer des données sémantiques, ce qui nécessite une transformation de "l'input" langagier en "intake". Cette transformation ne serait pas possible sans la participation des connaissances procédurales intervenant en tant que processus dans le traitement cognitif des données lexicales. Ces connaissances peuvent s'améliorer par des exercices d'entraînement qui constituent ainsi un facteur important pour la vitesse de rappel des unités lexicales. En outre, la durée de rétention des données langagières semble être influencée par la profondeur du traitement cognitif engagé (Craik et Lockhard, 1972), par la complexité du réseau des relations lexicales et la fréquence du rappel des unités lexicales (Roher, 1990). Sur le plan didactique, il est donc recommandé de favoriser, par une activité langagière adaptée, un traitement cognitif profond et un rappel fréquent dans différentes situations contextuelles afin d'assurer la création de multiples traces mnésiques pour une même unité lexicale.

Les résultats des expériences menées, entre autres, par l'école "Gestalt" ont mis en avant l'importance de la perception des informations pour chaque activité d'analyse et de catégorisation. Les mécanismes régissant la perception des informations sont à ce titre un maillon essentiel à aborder. La mémoire est semblable à un filtre : elle détermine les informations qui sont réellement traitées et celles qui sont simplement ignorées. De cette façon, elle se protège d'une surcharge d'informations qui risqueraient de la bloquer de manière néfaste. L'activation de la mémoire dépend a priori de la motivation des apprenants à percevoir les informations lexicales. D'un point de vue didactique, il convient donc de proposer des activités langagières dans des conditions favorables à une perception active des éléments lexicaux. A cet effet, une présentationmotivante des activités langagières, des sujets intéressant les apprenants ainsi que des conditions favorables de travail sont des facteurs de succès. Ils permettent de mobiliser chez l'apprenant l'énergie nécessaire pour faire un effort cognitif. Les résultats de nos observations confirment que les trois produits multimédia assurent des conditions de travail motivantes permettant un démarrage prometteur de l'apprentissage lexical. En ce qui concerne le travail en tandem, nous avons constaté que la tendance des partenaires tandem à s'encourager mutuellement renforçait leur motivation en matière d'acquisition lexicale. Par ailleurs, cette méthode permet de générer des textes en langue cible destinés à des personnes qui sont contentes de les recevoir. Nos enquêtes confirment aussi que la rédaction des messages en tandem est plus satisfaisante (et donc plus motivante) pour les apprenants que de rendre un devoir écrit dans le cadre d'un travail institutionnalisé. Enfin, le caractère ludique d'un grand nombre d'activités proposées par les cédéroms plaît aux utilisateurs. Néanmoins, en proposant des activités trop ludiques, on risque aussi de détourner le but cognitif visé et d'empêcher un traitement cognitif lexical efficace.

Evidemment, la bonne disposition à percevoir les informations lexicales n'est pas la seule condition pour une acquisition lexicale conséquente. Un traitement efficace suppose également une perception véritable. Celle-ci a lieu lorsque le sujet arrive à attribuer une signification aux stimuli reçus. La nature de l'input joue donc un rôle essentiel. Aussi il est important, par exemple, que la difficulté et la nature de l'activité langagière respectent le niveau langagier et les intérêts des apprenants. Lorsque le didacticien tient compte de la diversité des apprenants et du fait que chaque apprenant aborde une activité langagière avec des dispositions cognitives différentes, la chance d'une véritable perception augmente.

En travaillant avec les pages authentiques des sites Internet ou avec les textes envoyés par les partenaires tandem, les apprenants sont en contact avec des textes réels qui se démarquent d'une manière positive des textes plutôt artificiels proposés par les cédéroms. Les documents authentiques préparent aussi plus efficacement l'apprenant à une situation qu'il pourra rencontrer dans le pays de la langue cible et de ce fait, ils présentent un intérêt fonctionnel. Néanmoins, les documents authentiques comportent une grande variété d'unités lexicales dont un bon nombre peut être inconnu des apprenants. Au lieu de motiver et d'intéresser les apprenants, ils risquent alors de les décourager. Avoir à gérer à la fois la recherche des informations et la compréhension du message textuel peut en effet entraîner une surcharge de la mémoire qui bloque le traitement cognitif nécessaire. Résoudre ce problème d'incompréhension des unités lexicales sur les supports numériques constitue alors un défi pour la didactique des langues.

Le développement du système lexical se base sur des processus deconceptualisation et, heureusement, un apprenant d'une langue étrangère ne démarre pas "de zéro". Par les expériences qu'il a vécues, chaque locuteur a développé des concepts mentaux. Pour accéder à la signification d'une unité lexicale, il suffit alors de créer un lien entre la forme de l'unité lexicale et un concept mental. Ce lien peut s'établir de plusieurs façons. La plus courante est actuellement encore la consultation d'un dictionnaire bilingue. Ainsi, pour la compréhension de la signification d'une unité lexicale, la langue maternelle sert d'aiguilleur vers le concept mental en question. Les cédéroms étudiés en profitent largement en proposant un accès à des dictionnaires bilingues ou à des glossaires. L'accès à la signification se fait dans ce cas sans effort particulier. En revanche, la trace mnésique développée par la consultation du dictionnaire est faible et dans le cadre de la mémorisation d'une unité lexicale, ce procédé ne semble pas très efficace. En effet, d'après la théorie de Craik et Lockhard (1972), l'intégration des informations lexicales est favorisée par un traitement cognitif profond qui n'est pas assuré par une simple traduction. Il s'agit là d'un effet de compréhension à court terme et lorsque l'apprenant rencontre la même unité lexicale peu de temps après, il risque de ne plus la comprendre. Par ailleurs, lors de la navigation sur un site Internet ou la réception d'un message électronique, les apprenants n'ont pas systématiquement un dictionnaire à leur disposition.

De ce constat a découlé un autre but de notre recherche : développer une méthodologiequi faciliterait l'accès à la signification lexicale en évitant le recours constant au dictionnaire bilingue. En rassemblant des informations par rapport à la lecture des textes et aux stratégies cognitives, nous avons ouvert des pistes de réflexion pour un emploi de trois sortes de stratégies de décodage des unités lexicales : certaines ont un caractère purement lexical, d'autres relèvent de la compréhension textuelle et les dernières sont des stratégies spécifiques au support numérique ou à la méthode de travail. Nos observations ont montré que le travail aussi bien avec les cédéroms, les sites Internet qu'avec les messages en tandem permet une utilisation des stratégies lexicales faisant intervenir la décomposition et le transfert d'informations sémantiques à partir des cognats. L'emploi des stratégies textuelles qui se basent sur une influence mutuelle entre la macrostructure et la microstructure est possible à chaque fois que les unités lexicales sont insérées dans un contexte. Cela est le cas pour les sites Internet et les messages en tandem, mais pas toujours pour les activités proposées par les cédéroms. En outre, nous avons pu détecter des potentialités de développement de stratégies de décodage des unités lexicales qui sont liées au support numérique ou à la méthode de travail : ainsi, la multicanalité (présentant parallèlement sur un même support des images, des textes et du son) peut faciliter la compréhension des unités lexicales inconnues. Ce phénomène s'explique par le traitement cognitif séparé des textes et des images dans la mémoire. Lorsque l'apprenant rencontre simultanément les mêmes informations sémantiques, il peut établir une équivalence sémantique qui lui permet de transférer, par exemple, des informations déduites d'une image vers une unité lexicale à décoder. De la même façon, l'effort cognitif engagé diminue lorsque le sujet peut activer un concept mental plus facilement à partir d'un canal spécifique présent sur le support de travail (par exemple, en écoutant la transcription d'un texte). En outre, la correction automatique des exercices fermés apporte une possibilité de décodage des unités lexicales à partir de la solution et un transfert d'informations sémantiques vers l'unité lexicale à décoder. Une autre stratégie spécifique au support numérique concerne les sites Internet. Ils se caractérisent par une organisation hiérarchique des informations lexicales qui ressemble à la structure hiérarchique du système lexical. Cela permet un transfert d'informations lexicales entre les hyponymes et les hypéronymes. Une dernière stratégie spécifique à la méthode de travail s'offre aux apprenants dans le cadre du travail en tandem. En effet, les messages en tandem se caractérisent généralement par la volonté de se faire comprendre par l'autre afin de transmettre une idée. Au cours de la rédaction, à certaines occasions, les partenaires natifs estiment de ne pas avoir été suffisamment clairs et ils tentent de réparer une situation de non compréhension par le biais d'une reformulation. Celle-ci est observable dans les messages en tandem et elle sert d'aide pour l'apprenant en vue d'une compréhension des unités lexicales inconnues. Aussi, au cours du travail en tandem, l'apprenant peut utiliser la relation personnelle avec un natif de la langue allemande et poser des questions visant la compréhension des unités lexicales inconnues.

Enfin, nous reconnaissons l'influence de la didactisation des documents sur la facilité de compréhension des unités lexicales inconnues. Dans cette optique, les explications de vocabulaire proposées par l'auteur du site "LernNetz Deutsch" apportent une aide appréciable. Ces explications sont d'autant plus utiles qu'elles correspondent aux unités lexicales difficilement compréhensibles par des stratégies lexicales ou textuelles. De plus, il convient de tenir compte des connaissances du monde existantes chez les apprenants potentiels. Néanmoins, le succès de l'utilisation des connaissances du monde dépend de la proximité des cultures mises en jeu. Lorsque le concept mental nécessaire à la compréhension d'un phénomène est inexistant, l'explication de vocabulaire devient inefficace. Pour les unités lexicales concrètes, des images peuvent aussi être très parlantes. Pour les unités lexicales abstraites, une explication en langue cible paraît plus raisonnable, à condition d'éviter l'emploi d'unités lexicales qui sont à nouveau inconnues pour les apprenants.

Les résultats de nos investigations empiriques semblent donc confirmer que les produits multimédia permettent l'utilisation de nombreuses stratégies de décodage. Or, une hypothèse restant par définition incertaine, il convient de vérifier si la signification déduite des différents indices correspond effectivement à celle qui est actualisée par le contexte. Les unités lexicales et les métaphores sont ici des exemples par excellence : du fait de l'influence des co-occurrrents des unités lexicales dans un texte, leur signification se construit d'une manière circulaire (Mahmoudian, 1997). Les apprenants sont obligés de replacer dans le contexte la signification déduite à partir des indices présents sur le support textuel. Malgré les possibilités de déduction lexicale offertes par les produits multimédia, nos observations montrent que les apprenants ne profitent cependant pas pleinement de ces opportunités. Une raison pourrait être la prédominance de l'enseignement des connaissances déclaratives qui semble encore régner dans les cours institutionnalisés. En effet, les apprenants sont habitués à privilégier la mémorisation des informations lexicales au lieu de mettre en œuvre leur connaissances procédurales visant une inférence des éléments langagiers manquants. Sur le plan didactique, il nous semble alors avantageux de développer le recours aux connaissances procédurales en procédant tout d'abord à une prise de connaissance des stratégies possibles et ensuite à un entraînement spécifique.

L'apprentissage de l'encodage des unités lexicales constitue le deuxième volet important de l'acquisition lexicale. C'est en étudiant le signe linguistique, les règles de construction des mots ainsi que les rapports syntaxiques et contextuels que nous avons pu éclaircir le besoin d'information de l'apprenant pour maîtriser leur emploi dans des situations de compréhension et de productions écrites. L'apprenant doit d'une part, prendre connaissance du fonctionnement syntaxique et contextuel des unités lexicales et d'autre part, intégrer et mémoriser les informations lexicales dans sa base de connaissances. En vérifiant si les produits multimédia visés par notre étude peuvent assumer la transmission des connaissances pour un encodage correct des unités lexicales, des imperfections sont apparues. En effet, les règles par rapport à la construction et à l'utilisation des formes lexicales ne sont pas évoquées. Dans une pédagogie exploratoire, on pourrait éventuellement demander aux apprenants de déduire les informations lexicales des "modèles textuels " proposés par les produits multimédia. Néanmoins, il n'est pas possible d'en déduire l'ensemble des informations lexicales. Ainsi, les produits multimédia ne peuvent fournir l'enseignement complet des informations lexicales pour un emploi correct des unités lexicales. Dans une approche constructiviste du développement de l'interlangue, il revient à l'apprenant d'expérimenter lui-même ses hypothèses langagières dans des exercices corrigés pour combler cette lacune. Afin d'assurer une construction d'hypothèses langagières, une utilisation libre des unités lexicales paraît cependant indispensable. En outre, il convient de donner à l'apprenant les moyens d'ajuster les hypothèses erronées par des corrections adaptées. Or, les exercices fermés proposés essentiellement par les cédéroms ne correspondent pas à cette revendication parce qu'ils sont liés aux schémas pré-établis. Néanmoins, certains exercices peuvent servir de préparation à une utilisation libre des unités lexicales à condition qu'ils soient très ciblés pour permettre un entraînement des co-occurrents utilisés.

Les résultats de notre analyse confirment également que l'efficacité du travail lexical dépend de la tâche de production langagière demandée à l'apprenant. A cet effet, nous avons pu examiner plusieurs types de tâches intervenant sur le site "LernNetz Deutsch" et dans le cadre du travail en tandem. La liberté laissée à l'apprenant de sélectionner lui-même, lors d'une production écrite, les unités lexicales ainsi que les co-occurrents dans la phrase est une condition essentielle à remplir. Ainsi, il est insuffisant de se contenter de reproduire dans un résumé des phrases apparaissant dans un texte, puisque l'apprenant n'a pas à chercher lui-même les co-occurrents. Evidemment, on pourrait argumenter que les structures langagières sont ainsi acquises d'une manière implicite. En contrepartie, la théorie de la profondeur de traitement laisse supposer que les traces mnésiques engagées demeurent relativement fragiles et qu'elles seront effacées rapidement. C'est pourquoi la tâche doit viser un travail cognitif plus profond. Cela est le cas, par exemple, lorsqu'elle nécessite l'insertion des unités lexicales dans une idée personnelle de l'apprenant. Cette revendication peut cependant poser un problème pour l'enseignant : il doit trouver une tâche de production qui assure un réemploi des unités lexicales nouvellement apprises, tout en amenant l'apprenant à changer de point de vue par rapport au texte initial. Dans cette optique, le travail lexical engagé pendant le travail en tandem peut être pénalisé lorsque les partenaires changent de sujet pour chaque message sans pouvoir réutiliser les unités lexicales nouvelles. Pour lutter contre ce risque, nous avons demandé aux apprenants de réemployer consciemment les unités lexicales nouvelles et de rédiger une présentation finale du partenaire et de son opinion face aux thèmes traités pendant la correspondance.

Pour le traitement cognitif des informations lexicales, la mémoire met en œuvre divers processus qui agissent sur l'intégration des unités lexicales dans la base des connaissances langagières, mais aussi sur un statut plus ou moins actif des unités lexicales. Les théories récentes en matière de développement lexical postulent une construction des connaissances de l'apprenant grâce aux processus de catégorisation cognitive et d'association d'éléments lexicaux. Les tâches répétitives revendiquées à l'époque du béhaviorisme sont aujourd'hui souvent mises à l'écart puisque les bases de leur approche sont considérées comme étant quelque part obsolètes. Néanmoins, les différents niveaux d'activation des unités lexicales qui jouent sur la facilité de rappel des unités lexicales sont influencés par des répétitions. Des tâches visant un entraînement de ces compétences procédurales ne devraient donc pas manquer dans un programme de travail lexical. Les exercices fermés proposés par les supports numériques le permettent, mais encore faudrait-il que les apprenants en profitent. D'après nos observations, ceci n'est pas le cas et c'est à l'enseignant de les exiger.

Quant à l'ajustement des hypothèses langagières, il suppose pour être mis en œuvre, une attitude positive face à l'erreur. En effet, dans une approche constructiviste, l'erreur est un moteur indispensable à l'expérimentation des hypothèses langagières. Elle relève des connaissances non maîtrisées et constitue pour le didacticien un point d'ancrage en vue d'une action formatrice. Pour que l'erreur puisse cependant engager une correction des hypothèses erronées, elle ne doit pas constituer une marque punissante pour l'apprenant. Il vaudrait mieux associer l'erreur à un potentiel d'amélioration permettant d'engager une réflexion sur une modification des croyances concernant le fonctionnement des unités lexicales dans leur production langagière. L'ajustement efficace des hypothèses langagières est ensuite lié à la nature de la correction. Or, notre analyse des produits multimédia a fait apparaître deux types de corrections tout à fait différents : la correction automatique des exercices fermés par la machine et la correction des productions libres par un correcteur humain.

La correction automatique des exercices est très appréciée par les apprenants parce qu'elle leur procure un feedback immédiat et une évaluation de leurs compétences. Or, la machine ne peut corriger que les réponses pour lesquelles il existe une solution-type et les exercices prennent alors un caractère très fermé. Ceci a des conséquences peu favorables pour le travail lexical : premièrement, un travail de l'encodage libre des unités lexicales devient impossible, deuxièmement, le travail lexical se réduit aux unités lexicales choisies par les concepteurs et troisièmement, une mémorisation par l'intégration personnalisée des unités lexicales dans le système d'interlangue devient impossible. La seule possibilité pour sortir de ce cercle vicieux et pour assurer un entraînement à l'encodage libre des unités lexicales, semble alors être de renoncer à la volonté de faire corriger tous les exercices par l'ordinateur.

La correction des productions ouvertes revient à la responsabilité d'un correcteur humain qui peut être soit l'enseignant de langues (site "LernNetz Deutsch"), soit un natif de la langue cible (travail en tandem). Alors que l'enseignant fournit généralement une correction complète pour un nombre limité de productions écrites, le partenaire tandem apporte ces corrections pour un grand nombre de productions écrites sans parfois pouvoir corriger l'ensemble des erreurs lorsque l'objectif communicatif prime. Néanmoins, la correction par le partenaire tandem assure un feedback fréquent qui est dépourvu d'une évaluation plus "contraignante" de l'enseignant.

La possibilité d'enregistrer, sur le support numérique, à la fois des consignes de travail et l'input langagier, fait des produits multimédia un outil intéressant pour le travail en autonomie. Les apprenants gagnent en flexibilité pour le choix de l'horaire de travail et des thèmes traités et un enseignant peut dégager du temps pour s'occuper d'une manière plus individualisée de chaque apprenant. Cependant, l'accessibilité à distance des documents de travail ne permet pas encore l'autoformation. Un travail en autonomie réussi nécessite la conception de produits spécialisés. Ils doivent offrir un choix d'activités en fonction de buts d'apprentissage bien définis. Leur préparation nécessite alors l'indication pour chaque activité, du niveau de difficulté, du contenu précis et des compétences lexicales visées. Le produit multimédia le mieux conçu ne peut cependant pas garantir une acquisition lexicale efficace si les mécanismes d'apprentissage nécessaires ne sont pas engagés par l'apprenant. Ainsi, un travail en autonomie lui demande une certaine réflexion sur son processus d'apprentissage et une exploitation des connaissances procédurales qui assurent la capacité d'inférence des éléments lexicaux pendant le décodage des unités lexicales. Un autre facteur concerne la réflexion sur le fonctionnement de la langue et sur la méthode de travail. En effet, tout apprentissage semble commencer par des processus contrôlés (Bogaards, 1988 : 29) qui se transforment avec l'entraînement en processus automatisés. Il semble donc prometteur de solliciter chez les apprenants des activités métacognitives et métalinguistiques.

D'après nos expériences avec les trois produits multimédia (cédérom, sites Internet, travail en tandem), une telle attitude autonome ne peut être supposée pour la majorité des apprenants. Afin d'amener les apprenants à construire progressivement un savoir et un savoir-faire métacognitif, nous avons expérimenté avec succès des exercices à ce sujet. Même si notre corpus restreint ne peut qu'inciter à quelque réserve quant aux possibilités de généralisation des données obtenues, nous avons ouvert des pistes de réflexion. Celles-ci pourraient être approfondies par des recherches concernant la capacité des apprenants à prendre la responsabilité de leur processus d'apprentissage. Or, la complexité des phénomènes intervenant pendant l'apprentissage lexical sur le plan de la mémoire, du système langagier et des potentialités de travail langagier offertes par les produits multimédia nous amènent à penser que l'apprenant ne peut pas assumer tout seul la charge de la gestion de l'ensemble de ces facteurs. Afin d'optimiser le travail lexical, les connaissances professionnelles d'un enseignant de langues possédant une formation spécifique doivent être jointes aux compétences cognitives de l'apprenant. Il est clair que la machine peut faire figure d'assistant de l'enseignant, en mettant à la disposition des hommes sa capacité à afficher des consignes de travail et des documents pré-enregistrés ainsi que la possibilité d'exécuter des fonctions de recherche et de vérification. Nous sommes cependant persuadée que, même après une formation concernant les produits multimédia, l'apprenant a besoin d'un enseignant conseiller qui l'accompagne et l'encadre dans son travail afin que les activités sélectionnées puissent être insérées dans un projet de travail cohérent. Ainsi, il semble important de fixer des projets personnalisés incluant des objectifs précis, de créer des scénarios d'apprentissage individualisés et de proposer des documents de travail incitant les apprenants à une prise de note, une réflexion métacognitive et une analyse de l'erreur. Pour résoudre les problèmes lexicaux et ceux liés à la gestion du processus d'apprentissage, l'enseignant doit aussi rester à l'écoute de l'apprenant.

Par rapport à un enseignement classique en classe de langues, le travail individuel des apprenants en autonomie guidée comporte des avantages et des inconvénients. Les bons apprenants sont libérés de la contrainte de devoir attendre les autres. Les plus faibles n'éprouvent plus le sentiment d'échec par rapport à la performance des bons apprenants. En contrepartie, le travail individuel pousse l'apprenant dans une position singulière où il risque de ne plus être "poussé" à l'effort pour suivre le groupe et de manquer d'une motivation "intrinsèque". De plus, cette constellation d'apprentissage est privée d'une dynamique de groupe où les différents apprenants profitent de l'échange avec les autres. Les regroupements réguliers avec d'autres apprenants pourraient en partie compenser ce manque d'échange avec les pairs, à condition que tous les participants aient préparé un thème commun. Par ailleurs, les forums de discussion pourraient combler la lacune des échanges en permettant la lecture des contributions d'autres apprenants. Dans ce cadre de travail, la réaction en différé laisse du temps pour une recherche d'arguments et une réflexion personnelle. Néanmoins, une participation active des apprenants au forum de discussion demande une préparation qui peut inclure, en amont, le travail avec les cédéroms et les sites Internet. Ces deux outils peuvent évidemment être encore plus développés. Compte tenu de l'évolution rapide des technologies numériques, nous avons analysé des exemples qui sont déjà datés. D'autres produits, plus modernes, pourraient viser directement la préparation d'une discussion "on-line" et tenir compte des remarques citées dans notre étude. Le travail en tandem pourrait faciliter une première familiarisation (parce que plus intime que les forums de discussion) des apprenants avec une communication par courrier électronique. Il peut également servir pour mieux connaître les autres participants du forum.

Tout compte fait, le progrès individuel demande un investissement croissant de la part de l'apprenant et de l'enseignant. Pour l'apprenant, il est important de développer une attitude qui lui permette de participer activement à l'élargissement de son interlangue. Cela suppose une réflexion personnelle sur ses besoins d'apprentissage, les moyens pour y parvenir et une prise de distance positive face à ses productions langagières.

Le travail de l'enseignant de langues change dans la mesure où il ne va plus travailler avec un seul groupe qui progresse ensemble, mais avec des individus dont chacun poursuit un objectif légèrement différent. Ainsi, il doit adapter les produits et les tâches en fonction de chaque apprenant et développer un feedback individuel. Si le travail d'accompagnement de l'enseignant est effectivement pris en compte, on peut supposer une augmentation du temps de travail puisqu'il convient d'élaborer avec chaque apprenant un projet d'apprentissage au lieu de prévoir un seul projet global pour toute la classe. En même temps, il doit gérer un flux d'informations considérable qui peut nécessiter le développement d'outils informatiques nouveaux. La crainte exprimée par certains collègues que la machine pourrait les remplacer n'est donc pas justifiée. Néanmoins, la nécessité d'analyser les besoins spécifiques d'apprentissage d'une multitude d'apprenants, de sélectionner des produits multimédia adaptés, d'adopter un rôle de conseiller et d'animer des dyades ou des groupes de discussion devrait nécessiter de nouvelles qualifications de l'enseignant dans le domaine didactique, de la psychologie et de la sociologie.