II.3.1 Chevallard : ostensifs et sémiotique

Chevallard étudie ces notions dans le cadre global de l’approche anthropologique. Son souci étant toujours, quand il analyse l’activité mathématique, de la réinsérer dans l’ensemble des activités humaines. Il présente d’ailleurs très clairement sa théorisation du sémiotique comme étant le dernier niveau de développement de son approche anthropologique [Bosch, Chevallard, 1999].

Chevallard introduit les termes d’ostensifs et de non ostensifs, selon le point de vue sémiotique, pour analyser l’activité mathématique :

‘« D’un côté, il y a les objets que je nomme ostensifs, tels un nom, une notation, un graphe, ou encore un schéma gestuel, qui peuvent être réellement présents et que l’on peut effectivement manipuler dans leur matérialité. D’un autre côté, il y a les objets non ostensifs, que je nomme aussi émergents, et que l’on peut effectivement évoquer à l’aide d’objets ostensifs. Lorsque le mathématicien dit qu’il manipule la fonction logarithme, c’est en vérité certains des objets ostensifs associés qu’il manipule. » (Chevallard, 1995-1996). ’

Bosch et Chevallard affirment que la co-activation d’ostensifs et de non ostensifs est toujours présente dans l’activité mathématique. Elle se retrouve à tous les niveaux d’activité (niveau technique mais aussi technologico-théorique). Il ne faudrait pas penser par conséquent que la manipulation d’ostensifs relève seulement du niveau technique alors que le recours à des objets non ostensifs tiendrait uniquement du niveau de la justification (technologico/théorique).

Par ailleurs, comme pour affirmer davantage l’importance à accorder aux ostensifs dans l’activité mathématique, Bosch et Chevallard distinguent, pour les objets ostensifs, une valence instrumentale et une valence sémiotique. C’est dans ce sens que les ostensifs doivent être considérés comme de véritables instruments sémiotiques, la valence instrumentale d’un instrument sémiotique permettant de faire et la valence sémiotique permettant de voir ce qui est fait. Les valences instrumentale et sémiotique de l’ostensif lui confèrent donc une double fonction, celle d’instrument et celle de signe.

Dans notre travail, nous utiliserons le terme d’ostensif pour désigner : un symbole, une écriture, une notation, un tracé ou une figure, reconnus par les deux institutions qui les manipulent (institution enseignante et institution enseignée), ou seulement (provisoirement) par l’une des deux, comme ostensif d’un concept mathématique, avec sa fonction sémiotique et sa fonction instrumentale. Il est clair que les ostensifs s'organisent en registres ; ce sont ces registres qui permettent de parler des objets mathématiques, de les traiter, de les mettre en relation avec d'autres.

La prise en compte de la valeur du sémiotique selon Chevallard dans l’étude des organisations praxéologiques impliquerait que soient repérés les ostensifs et les non ostensifs présents aux différents niveaux de ces organisations, que soit prise en compte la dialectique entre ces ostensifs et non ostensifs, et également, que l’accent soit mis sur les différentes valences des ostensifs utilisés. Il s’agit là d’une analyse très fine du travail sémiotique car se préoccupant spécifiquement du rôle du signe.

Ainsi, les registres dont parle Chevallard apparaissent comme des registres sensoriels : ce sont les différents aspects sensoriels qu’il faut coordonner pour produire une représentation ou pour l’interpréter. Cependant, dans l’étude que nous envisageons, nous nous plaçons à un niveau plus global qui ne nécessite pas d’analyser les modes sensoriels de production ou d’utilisation de la représentation.

En revanche, l’existence de plusieurs représentations pour un même objet est un point essentiel à considérer pour notre problématique. Nous pensons que la notion de registre de représentation sémiotique telle que Duval (1993) la définit serait plus adaptée à ce niveau de notre analyse dans la mesure où il lie la notion de registre à l’existence de règles de formation des représentations indépendamment des modes sensoriels de production. Il convient donc, à ce stade, de présenter les registres de représentation sémiotique selon Duval.