II.3.2 Duval et le sémiotique

Duval s’intéresse au sémiotique dans l’activité mathématique et si son analyse s’inspire fortement de la théorie linguistique, sa motivation tient néanmoins de la psychologie cognitive. Dans ce cadre général, il cherche à caractériser le fonctionnement cognitif de la pensée humaine, en général, et celui de la pensée mathématique en particulier.

D’emblée, il souligne ce qu’il appelle le paradoxe cognitif de la pensée mathématique. Ce paradoxe tient au fait que les objets mathématiques ne sont pas directement accessibles par la perception, mais seulement à travers des représentants et que, seule la distinction entre un objet mathématique et sa représentation peut garantir son appréhension qui ne peut être que conceptuelle :

‘« D’une part, l’appréhension des objets mathématiques ne peut être qu’une appréhension conceptuelle et, d’autre part, c’est seulement par le moyen de représentations sémiotiques qu’une activité sur des objets mathématiques est possible. » (Duval, 1993, p.38)’

Ainsi, la distinction entre un objet mathématique (conceptuel) et sa représentation devient un des points stratégiques pour la compréhension des mathématiques, car « toute confusion entraîne, à plus ou moins long terme, une perte de compréhension et les connaissances acquises deviennent vite inutilisables hors de leur contexte d’apprentissage (…) » (ibid., p.37)

Duval (1993) introduit les termes de sémiosis et de noésis pour désigner respectivement l’appréhension, ou la production, d’une représentation sémiotique et l’appréhension conceptuelle d’un objet, et il affirme que « la noésis est inséparable de la sémiosis ». Il en ressort que tout enseignement mathématique doit être organisé de façon à prendre en compte cette forte liaison entre sémiosis et noésis, et en particulier, ne doit pas négliger la sémiosis, en tant qu’opération cognitive, par rapport à la noésis.

Pour qu’un système de représentation puisse être considéré comme un registre de représentation, il doit permettre, toujours selon Duval, les trois activités cognitives fondamentales liées à la sémiosis :

Duval souligne que de ces trois activités, si celle de formation est correctement prise en compte dans l’enseignement, celle de traitement ne l’est pas toujours alors qu’aucune place véritable n’est accordée à celle de conversion. Or, souligne-t-il le problème de la conversion des représentations, largement méconnu par l’enseignement, mérite une attention toute particulière.

Ainsi, pour qu’une connaissance ou un savoir mathématique puisse être mis en œuvre, il est alors nécessaire, toujours selon Duval (1996) :

D’autre part, pour favoriser un apprentissage prenant en compte le lien étroit qui existe entre la noésis et la sémiosis, Duval (1993) propose de placer les élèves dans des conditions qui permettent cette prise de conscience plus globale, et pour cela, de leur proposer des tâches spécifiques. Il propose ainsi trois types de tâches :

Cette tâche concerne l’appréhension des représentations sémiotiques. Naturellement, en faisant varier systématiquement une représentation, on en change le contenu représenté : le choix, parmi plusieurs représentations possibles dans le registre d’arrivée, de celle qui correspond à la représentation modifiée dans le registre de départ permet ainsi d’identifier les variations des unités signifiantes dans chaque registre de représentation.

Cette tâche concerne l’apprentissage des traitements propres à une certaine catégorie de registres. Duval précise que l’enseignement des mathématiques fait une grande place à l’apprentissage des traitements seulement dans le cas où les traitements sont de type calcul, mais non pour ceux où les traitements ne sont pas de type calcul.

Cette tâche concerne le mode de production des représentations complexes. Duval appelle représentation complexe toute représentation qui « expose une démarche », comme un calcul comprenant plusieurs étapes. Il est essentiel, selon toujours Duval, lorsque ces productions sont faites dans un registre où l’organisation sémiotique est linéaire, de demander préalablement une production dans un registre où l’organisation sémantique n’est pas linéaire (graphe, schéma,…) et demander ensuite la production dans le registre à organisation sémantique linéaire comme une description de la première production. Cette double production s’est révélée décisive pour l’apprentissage du raisonnement déductif.

La notion de registre introduite par Duval dans la didactique des mathématiques a des liens avec une notion plus ancienne dans le champ, celle de cadre introduite par Douady (1986). Avant de revenir à la notion de registre, nous allons brièvement présenter cette notion.