II.3.3 Notion de cadre et statut outil / objet des concepts mathématiques

L’introduction en didactique des mathématiques de ces notions est due à Douady (1986) qui s’interroge sur l’activité du mathématicien dans un souci didactique. De son analyse épistémologique, il ressort que « une part importante de l’activité du mathématicien consiste à poser des questions et à résoudre des problèmes » et, de cette activité, elle retient deux points en particulier :

Le mathématicien résout les problèmes à l’aide d’outils mathématiques. Ces outils sont généralement implicites au départ, c'est-à-dire qu’ils correspondent à une procédure qui se justifie par un concept en cours d’élaboration, ils deviennent ensuite explicites. Ils correspondent alors à la mise en œuvre intentionnelle d’un concept pour résoudre le problème. Peu à peu, et pour les besoins de la transmission à la communauté scientifique, les outils mathématiques ainsi créés sont décontextualisés, formulés de la façon la plus générale possible. Le concept acquiert alors le statut d’objet et va pouvoir s’intégrer au corps des connaissances déjà constituées. Le terme objet se réfère à « l’objet culturel ayant sa place dans un édifice plus large qui est le savoir savant à un moment donné, reconnu socialement. » (Douady, 1986, p.9)

Le cadre est « constitué des objets d’une branche mathématique, des relations entre les objets, de leurs formulations éventuellement diverses et des images mentales associées à ces objets et ces relations. » (ibid., p.11)

Un même concept mathématique est amené à fonctionner dans différents cadres. Chacun de ces cadres détermine un environnement conceptuel et technique spécifique qui y caractérise le fonctionnement du concept. Le mathématicien, dans son activité de résolution de problèmes, a recours à des changements de cadres. Il effectue un changement de cadres pour un problème donné, à chaque fois qu’il le transporte d’un cadre à un autre. La traduction du problème d’un cadre dans un autre permet de le poser autrement :

‘« Le changement de cadres est un moyen d’obtenir des formulations différentes d’un problème qui, sans être nécessairement équivalentes, permettent un nouvel accès aux difficultés rencontrées et la mise en œuvre d’outils et de technique qui ne s’imposaient pas dans la première formulation. […] Quoi qu’il en soit, les traductions d’un cadre dans un autre aboutissent souvent à des résultats non connus, à des techniques nouvelles, à la création d’objets mathématiques nouveaux, en somme à l’enrichissement du cadre origine et des cadres auxiliaires de travail. » (ibid., p.11).’

Nous retiendrons principalement de cette théorie la notion de cadre, qu’il apparaît important de coordonner ave celle de registre de représentation sémiotique au sens de Duval. Par rapport à la notion de registre qui concerne plus particulièrement la façon de travailler les différentes représentations symboliques associées à un concept, celle de cadre concerne globalement le fonctionnement d’un concept dans ses relations avec d’autres concepts du même cadre ou de cadres différents.

Nous pensons que l’analyse en termes de cadres nous permettra de pointer les interactions entre des domaines mathématiques différents qui sont pris en compte dans l’enseignement, notamment dans les problèmes proposés aux élèves. La notion de registre, le plus souvent relativisée à un cadre, nous permettra d’analyser les différentes représentations des objets mathématiques concernés et de voir comment le passage de l’une à l’autre (conversion) est pris en compte dans l’enseignement. Un même registre sémiotique peut cependant intervenir dans des cadres différents, comme le dit Duval :

‘« Un registre se détermine par rapport à un système sémiotique permettant de remplir les trois fonctions cognitives fondamentales. Un cadre se détermine par rapport à des objets théoriques, en l’occurrence des objets mathématiques. Il peut y avoir changement de cadre sans changement de registre et changement de registre sans changement de cadre, car un cadre peut exiger la mobilisation de plusieurs registres. » (Duval, 1996, p.357)’

Mais nous serons également attentif au statut outil ou objet selon lequel les notions mathématiques sont impliquées dans un enseignement donné dans la mesure où cela nous apparaît constituer un indicatif des méthodes pédagogiques adoptées. Ainsi, un enseignement où les nouvelles notions sont souvent introduites selon leur statut outil est significatif d’un enseignement qui se soucie de la construction du sens des notions mathématiques chez les élèves, alors qu’un enseignement qui insiste davantage sur le statut objet de ces notions est un enseignement plus classique qui ne prend pas à sa charge la construction du sens chez les élèves.

Dans notre travail, nous envisageons d’utiliser plusieurs registres en interaction les uns avec les autres et nous prévoyons des tâches relatives à la coordination entre registres. C’est ce que nous allons étudier à présent.