Conclusion

Nous avons essayé de faire un état des lieux de l’enseignement actuel de la notion de fonction en classe de seconde en dégageant des éléments des rapports institutionnel et personnels à l’objet fonction.

Nos analyses du rapport institutionnel nous ont montré que les différents registres devraient théoriquement être présents dans l’enseignement de la notion de fonction, mais qu’en pratique seuls quelques liens sont habituellement privilégiés et que, plus particulièrement, il n’y a pas de travail propre sur les connaissances relevant du registre tableaux dans les classes, conformément à notre analyse des réponses des enseignants (chapitre B3). Nous avons ainsi interrogé les élèves pour voir s’ils construisent eux-mêmes des connaissances en actes sur ces objets et dans quelle mesure cela influe et participe à la conceptualisation de la notion de fonction.

Avant de passer à la conclusion globale du chapitre B, nous donnons ci-dessous une synthèse des principaux résultats obtenus au questionnaire pour les élèves.

Nous avons d’abord examiné le cas de la conversion à partir du registre tableau de valeurs vers le registre graphique ou vers le registre tableau de variations (question 1). Nous avons constaté que les élèves arrivent facilement à tracer une courbe alors qu’un nombre important ont des difficultés pour donner un tableau de variations. Il apparaît donc que le registre de sortie dans la conversion joue un rôle important et que dans ce sens le tableau de variations est nettement plus compliqué que la courbe. Ceci peut s’expliquer par le fait que, comme nous l’avons montré dans l’analyse des manuels et l’analyse des réponses des enseignants, la conversion entre deux tableaux n’est pas mise en avant dans les pratiques et que c’est donc une tâche inhabituelle pour les élèves. Mais il semble que cette difficulté soit aussi liée au fait qu’aucun des deux registres en cause ne détermine entièrement la fonction en jeu. Ainsi, pour réaliser cette conversion, l’élève doit-il, au moins implicitement, sélectionner les informations pertinentes pour l’un et l’autre registres et réaliser la part d’arbitraire qu’il reste dans chacun des deux.

Dans les deux cas, la plupart des élèves n’arrivent pas à donner une autre courbe ou un autre tableau de variations correspondant à un même tableau de valeurs. Il semble que, d’une part l’enseignement ne laisse que peu, voire pas, de place à un questionnement explicite sur la non unicité de la représentation par et à partir d’un tableau de valeurs et que d’autre part, de façon générale, les élèves aient beaucoup de mal à donner deux réponses à une même question ou à admettre l’arbitraire d’une réponse (ce que confirme les difficultés prévues par les enseignants dans notre questionnaire).

Ceci nous montre également que la plupart des élèves font automatiquement certaines conversions (par exemple d’un tableau de valeurs à une représentation graphique), mais se trouvent déstabilisés par des questions inhabituelles sur ces conversions. Comme nous l’avons constaté dans l’analyse des manuels et du questionnaire aux enseignants, le tableau de valeurs apparaît plutôt comme un outil pour aider à tracer la représentation graphique d’une fonction. Dans ce contexte, la tendance naturelle (entretenue par la plupart des tâches proposées à l’élève) est de compléter entre les valeurs données par le comportement le plus lisse. Ces tâches répétitives, qui de plus portent sur des fonctions peut variées, semblent renforcer chez l’élève, l’idée qu’une seule courbe peut correspondre à un tableau de valeurs. Une conséquence est que l’élève est enfermé dans une technique algorithmique, qui se substitue à un questionnement plus conceptuel sur ces objets.

Nous avons également testé la capacité des élèves à utiliser le registre tableau de valeurs pour obtenir des informations sur la fonction (questions 2 et 3). Dans ce contexte, il apparaît clairement que de nombreux élèves font comme si toutes les informations pertinentes étaient contenues dans le tableau. Comme précédemment, rares sont ceux qui peuvent envisager plusieurs cas de figures correspondant à un même tableau. Par ailleurs, nous avons pu constater de façon claire que la forme du tableau de valeurs influence très nettement les réponses des élèves, conformément à notre analyse a priori. Il est évident qu’un tableau comportant toutes les valeurs entières de la variable sur un intervalle donné renforce l’idée d’unicité de la représentation. En revanche, nous n’avons pas observé de différence significative selon que la tâche est donnée en référence à des contextes intra ou extra mathématiques.

Concernant les conversions à partir d’un tableau de variations (question 4), on trouve des résultats similaire au cas du tableau de valeurs : les élèves réussissent plutôt mieux à tracer une courbe qu’à donner un tableau de valeurs et la plupart n’arrivent pas à tracer une autre courbe ou un autre tableau de valeurs à partir du même tableau de variations. Les mêmes difficultés que pour le tableau de valeurs semblent être en cause ici. De plus, se rajoutent visiblement, au moins en début d’apprentissage, des difficultés liées au sens du codage employé. Nous pensons ainsi la complexité du tableau de variations est sous-estimée dans l’enseignement.

L’expérimentation que nous avons faite dans les classes de Terminale montre que, même s’il y a une légère amélioration par rapport aux classes de seconde dans les classes de Terminale S, celle-ci est très peu visible dans les classes de ES. Il semble donc que la plupart des élèves gardent leurs connaissances privées sur ces objets depuis la classe de 2nde et que les erreurs persistent encore. En outre, il apparaît que l’illusion d’unicité et de d’exhaustivité de la représentation quand le tableau de valeurs est « complet » est renforcée. Il semble donc que la représentation par un tableau de valeurs soit de plus en plus normative au fur et mesure qu’on avance dans les classes de Lycée. De plus, cet effet de contrat est certainement renforcé par l’utilisation des calculatrices. De même, la référence au registre algébrique dans une tâche où celui n’est pas a priori pertinent est plus forte chez les élèves de Terminale. Ceci s’explique naturellement par l’accroissement du travail algébrique fait dans les classes de Première et de Terminale. Par contre, on note une plus grande aisance dans l’utilisation des tableaux de variations, outils fortement utilisés après la seconde.