Les tendances du nouveau programme de 2nde

Nous avons constaté, à partir de l’analyse écologique de l’évolution des programmes (chapitre B1), qu’il y a une tendance assez forte à une modification structurelle dans l’enseignement des fonctions. Plusieurs modes de représentation de la fonction sont cités explicitement par le programme. Le registre algébrique n’est plus le seul mode d’entrée, d'une part parce qu'il y a une volonté de diversifier les modes d’entrée et d'autre part, parce que les connaissances algébriques des élèves entrant en seconde ont diminué. Ainsi il y a une injonction explicite à proposer assez systématiquement des tâches utilisant des registres variés comme registre d’entrée, notamment le registre graphique. Par ailleurs, il y a une demande de l’institution à un usage plus riche à la fois des tableaux de valeurs et des tableaux de variations dans leurs interactions avec d’autres modes de représentation. Ainsi, tableaux de valeurs et de variations ne sont plus seulement considérés comme des outils transitoires entre l’expression analytique de la fonction et le tracé graphique. Il semble bien que les auteurs de ces nouveaux programmes adhèrent à l’idée que les jeux sur les registres de représentation sémiotique soient un élément essentiel de l’apprentissage.

Il a également une ouverture à d’autres domaines extra-mathématiques (physique, biologie, etc) mais aussi intra-mathématique notamment par le biais de la modélisation, ce qui justifie également l’utilisation de différents registres.

Enfin, il est fait mention dans les programmes de l’utilisation de la calculatrice graphique en seconde pour l’étude des fonctions. Ainsi nous pensons que le statut de tableau de valeurs est changé puisqu’on peut avoir facilement accès à cet objet à partir de la touche « tableau de valeurs » et que certaines contraintes dues à la machine risquent d'avoir des conséquences sur cet objet.

Toutes ces évolutions, inscrites dans le programme de la classe de seconde, laissent penser qu’elles devront s’accompagner d'une évolution des types de tâches et des pratiques des professeurs : c'est ce que nous avons cherché à savoir par l'analyse des manuels et les questionnaires professeurs et élèves.

En revanche, toutes ces tendances concernent plus particulièrement le programme de 2nde, puisqu’à partir de la classe de première, l’entrée algébrique retrouve une place centrale.

  • Mise en place des tendances du nouveau programme dans les manuels

En ce qui concerne la mise en place des tendances du nouveau programme dans les manuels nous avons montré qu’il existe un écart important entre les intentions affichées par les programmes et leur réalisation dans certains manuels qui privilégient toujours de façon massive le registre algébrique (et éventuellement graphique) au détriment des autres.

Ainsi la détermination a priori de la diversité des types de tâches qui peuvent mettre en lien le registre tableaux et les autres nous a permis de faire une comparaison avec les types de tâches proposées dans les manuels. Pour les quatre manuels étudiés (qui sont souvent ceux utilisés par les enseignants), nous avons montré une grande variabilité du nombre de ces types de tâches. Ainsi, les exercices de conversions relatifs aux tableaux de valeurs et de variations tiennent une place plus ou moins grande selon les manuels : un seul manuel aborde tous les types de conversions possibles, alors seules certaines conversions classiques sont proposées dans les autres.

Nous pouvons donc conclure qu'en ce qui concerne les tableaux de valeurs et de variations, leur utilisation est très différente suivant les manuels. Certains leur donnent un statut important alors que pour d’autres, leur rôle est très faible. De même pour certains, ils restent un outil pour tracer les courbes alors que pour d'autres ils ont un rôle dans l'acquisition des connaissances sur les fonctions.

Ainsi, on constate, dans cette première analyse, la difficulté et la diversité de mise en place de certaines nouveautés du programme.

  • Les choix didactiques effectués par les enseignants et ce qui a été appris par les élèves

L’analyse des manuels est, nous semble-t-il, confirmée par les analyses des questionnaires des professeurs et des élèves. Nous pouvons constater une grande diversité dans la prise en compte des tableaux dans la pratique de la classe : peu de travail explicite sur les codes relatifs aux tableau de variations, peu de tâches concernant les conversions de registres, seules les types de tâches classiques (tableau de valeurs/variations vers courbe) sont choisies par les enseignants et sont mieux réussies par les élèves. Notamment, les pratiques habituelles des professeurs de mathématiques actuels laissent encore peu de place à des exercices (concernant le registre tableaux et compatibles avec les nouveautés du programme) qui pourraient permettre de problématiser certaines notions et de les discuter pour faire avancer les connaissances des élèves sur les fonctions (par exemple, non unicité de la courbe à partir d'un tableau de valeurs).

Ceci peut s’expliquer, d’une part, par l’influence des divers programmes précédents qui font que les professeurs ont beaucoup de mal à se dégager de la prégnance de l’algèbre, puisqu’ils utilisent les fonctions depuis longtemps, qu'on leur a enseigné les fonctions dans un cadre très algébrique et donc, qu'ils ont du mal à intégrer d’autres facettes. D'autre part, nous pensons que les enseignants n’ont peut-être pas pris conscience que l’utilisation de différents registres est importante pour la compréhension de la notion de fonction. Ces premières explications mettent donc en jeu les connaissances mathématiques et didactiques des enseignants.

Plus précisément, la plupart des enseignants pensent que le tableau de valeurs est un objet qui ne nécessite pas d’être défini et que son utilisation va de soi. Notamment, il reste un outil qui ne sert qu’à tracer des courbes. Ainsi, l’exercice dans lequel on utilise le tableau de valeurs pour obtenir des informations sur la fonction est rejeté ou peu choisi par les enseignants. Quant aux élèves, il apparaît qu’ils ont déjà construit, sur cet objet, des connaissances en acte qui font qu’ils ont l’illusion d’unicité et d’exhaustivité de celui-ci dans la représentativité d’une fonction. En effet, de nombreux élèves font comme si toutes les informations pertinentes étaient contenues dans un tableau de valeurs et très peu d’élèves envisagent plusieurs cas de figures correspondant à un même tableau. Ainsi, ils n’ont pas pu répondre correctement à la question où on demandait de donner une autre courbe ou un autre tableau de variations à partir du même tableau de valeurs. Il semble donc que l’enseignement ne laisse que peu, voire pas, de place à un questionnement explicite sur la non-unicité de la représentation par et à partir d’un tableau de valeurs. Par ailleurs, la forme du tableau de valeurs influence très nettement les réponses des élèves et, ainsi, un tableau comportant toutes les valeurs entières de la variable sur un intervalle donné renforce l’idée d’unicité de la représentation. Notons de plus que la plupart des élèves gardent leurs connaissances privées sur cet objet jusqu’à la classe de terminale et que les erreurs persistent encore.

En ce qui concerne le tableau de variations, il est considéré comme indispensable pour l’étude des fonctions par les enseignants. Pourtant, aucun d’entre eux ne dégage de connaissance explicite ni sur sa construction, ni sur les codes et les codages utilisés. Quant aux réponses des élèves liées à cet objet, on trouve des résultats similaires au cas du tableau de valeurs : la plupart d’entre eux n’a pas pu répondre correctement à la question où on demandait de donner une autre courbe ou un autre tableau de valeurs à partir du même tableau de variations. Les mêmes difficultés que pour le tableau de valeurs semblent être en cause ici. De plus, se rajoutent visiblement, au moins en début d’apprentissage, des difficultés liées au sens du codage employé. Nous pensons donc que, comme pour le tableau de valeurs, les connaissances sur les tableaux de variations restent transparentes et ne fassent donc pas l’objet d’un enseignement explicite. Ainsi, la complexité du tableau de variations est certainement sous-estimée dans l’enseignement.

Cette partie nous a donc permis de déterminer un réseau de conditions et de contraintes qui font que certains éléments essentiels du nouveau programme n’arrivent pas à émerger dans l’enseignement. Nous avons donc élaboré une séquence d’enseignement pour faire fonctionner certains de ces points essentiels qui concernent particulièrement l’utilisation du registre tableaux. C’est ce que nous abordons dans la partie suivante.