Les conceptions des élèves sur la représentation graphique d’une fonction

Un autre but principal de cette activité était de savoir comment les élèves décrivent une courbe et, en particulier, d’évaluer la pertinence de leur argumentation par rapport à la représentation d’une fonction. Pour décrire la courbe, les élèves utilisent en général la stratégie « point par point » avec les points du quadrillage et les points caractéristiques qui sont donnés, sont essentiellement par rapport à la facilité de lecture des coordonnées, mais pas par rapport à la forme de la courbe. Il apparaît donc que les élèves se situent avant tout dans le registre graphique, sans faire référence à la représentation d’une fonction : Ils travaillent sur la courbe comme si c’était un dessin dans un quadrillage indépendamment de tout le reste. Ce qui est absent chez les élèves c’est la contrainte qu’une courbe se trace à partir de la relation dépendance entre l’abscisse et l’ordonnée. En effet, pour tracer une courbe il y a des contraintes qui font que l’on se déplace dans le sens de l’abscisse croissante et donc, on s’intéresse du coup aux changements de variations dans les valeurs de l’ordonnée. Les points d’une courbe apparaissent ainsi comme des points où les valeurs de l’ordonnée change de la variation quand l’abscisse continue à croître. Alors que les élèves ne raisonnent pas comme ça, ils n’ont pas une notion de dépendance d’une variable sur l’autre. Ils voient la courbe comme un objet du plan délimité par certains points ayant des particularités topologiques, ce que nous avons appelés plus haut les points limites, qui se trouvent correspondre aux extrema, mais qui ne sont pas vus par les élèves en tant que tels.

En effet, le registre graphique est connu des élèves, mais ceux-ci n’ont quasiment aucune expertise sur ce registre dans le cadre des fonctions. Pour eux, une courbe n’est rien d’autre qu’un dessin et ils le prennent pour tel sans pouvoir relier les propriétés de ce dessin avec des propriétés de la fonction qu’il représente. Ainsi, cette conception de la courbe cache complètement l’idée de dépendance entre deux variables. Ceci nous permet donc de voir les limites de ce qu’on peut faire en partant de la représentation graphique d’une fonction. Même s’il apparaît comme un registre plus familier (plus intuitif) que le registre algébrique notamment, il offre des limites dans la possibilité d’introduire des notions sur les fonctions, voire même peut s’ériger en obstacle. Comme ici, où on pourrait dire dans une certaine mesure que le registre graphique est un obstacle à l’introduction de l’idée de variation et d’extrema d’une fonction, puisque les points de la courbe qui correspondent aux extrema correspondent aussi à des points topologiquement particuliers dont les propriétés de ce point de vue sont plus parlantes aux élèves.

Ceci rejoint d’ailleurs les résultats d’autres études sur les fonctionnalités du graphique dans l’étude des fonctions. Plus particulièrement, Chauvat (1999) distingue dans une courbe huit objets discernables, dont cinq mathématiques (deux relevant de la théorie des ensembles, et trois de la géométrie) et trois objets concrets, relevant du dessin. A ce propos, Bloch (2000) précise ainsi :

‘« L'utilisation du registre graphique dans le contrat classique ne prend pas en compte ces différents objets, pourtant sources de confusions et d'implicites ; les recherches 15 montrent que l'enseignement traditionnel utilise surtout les graphiques sur le mode idéogrammatique 16 , ce qui conduit à des phénomènes de dédoublement didactique, l'enseignant croyant que les élèves voient dans le graphique la même chose que lui (une fonction) alors que les élèves n'y voient qu'un idéogramme ou une icône ». (op. cité, p. 198)’

Et elle précise également,

‘« Le graphique est vu dans le contrat classique comme une « photographie » de la fonction ou comme un idéogramme, ce qui peut amener à accorder à la fonction des propriétés qui sont en fait celles du dessin » (Bloch 2002, p. 41).’

Notes
15.

Lacasta 1995, Trouche 1996 (cités par Bloch, 2000)

16.

Ce mode correspond au fonctionnement du graphique comme idéogramme, c'est-à-dire comme signe graphique qui renvoie à une idée : dessin d’une parabole pour représenter des variations quadratiques, d’une sinusoïde pour des variations périodiques avec alternance de maximum et minimum… Le graphique est construit de façon à montrer les courbes sous la forme standard définie par l’institution dans laquelle il est utilisé (Chauvat, 1999).