Expérimentation visant à tester la viabilité de certains points phares des programmes 2000

Les résultats présentés ci-dessus soulignent la détermination d’un réseau de conditions et de contraintes qui font que certains éléments essentiels du nouveau programme n’arrivent pas à émerger dans l’enseignement. Nous avons donc élaboré deux activités introductives pour essayer de mettre en œuvre certains de ces points du programme et les faire appliquer dans les classes de seconde. Ces deux activités concernent plus particulièrement l’utilisation des tableaux de valeurs et de variations. Nos analyses ont montré, d’une part, que l’idée des variations ne s’impose pas d’elle-même pour la description d’une courbe, et, d’autre part, qu’il y a des dysfonctionnements au niveau des registres. Plus précisément, les élèves travaillent dans le registre graphique comme s’ils traitaient un dessin sans référence explicite au cadre des fonctions. Enfin, un apprentissage spécifique pour le tableau de variations semble nécessaire tant sur le plan syntaxique que sur celui des conversions dans d’autres registres.

En effet, l’activité 1, qui se situe au début de l’enseignement des fonctions, a montré que les élèves ne voient pas réellement la variation comme une information importante sur la courbe et qu’ils ont en fait l’illusion que le tableau de valeurs est suffisant pour la description. Un facteur peut expliquer ce phénomène : les élèves et les professeurs (quand ils étaient élèves) ont certainement travaillé plus spécifiquement les tableaux de valeurs en lien avec le registre graphique, et ceci peut constituer un obstacle à la construction de l’idée globale de courbe. Par conséquent, le fait qu’une courbe contienne plus d’informations qu’un tableau de valeurs n’est pas encore intégré par les élèves. De plus, il est très difficile d’aller contre cette conception, puisque la stratégie « point par point » fonctionne assez bien. Nous pensons que si on veut construire l’idée de variation, il faut éviter de trop privilégier les tableaux de valeurs ou bien il faut faire travailler sur la représentativité partielle d’un tableau de valeurs pour une fonction. De plus, cette analyse a montré que l’utilisation du tableau de valeurs et les connaissances qui y sont attachées restent dans la composante privée du rapport au savoir. Ainsi, les enseignants considèrent que le tableau de valeurs n’est pas une bonne représentation de la fonction, et ils l’enferment dans le rôle de l’outil transitoire entre l’expression analytique et la courbe.

Par ailleurs, l’analyse des réponses des élèves à l’activité 2 nous a montré que leurs connaissances ont évolué et qu’ils sont donc plus capables de gérer le rapport entre tableau de valeurs et courbe. On peut considérer qu’ils ont compris qu’un tableau de valeurs ne donne qu’une information partielle sur une fonction. Néanmoins, s’ils sont capables de tracer des courbes très différentes associées à un même tableau de valeurs, ils ont beaucoup plus de difficultés à trouver des tableaux de variations différents à partir du même tableau de valeurs. Deux types de raisons peuvent être suggérés. D’une part, il semble bien que le tableau de variations ne jouisse pas d’une grande autonomie, dans le sens où il est lié à une lecture dynamique de la courbe, ainsi certains élèves ne peuvent-ils pas passer directement d’un tableau de valeurs à un tableau de variations sans passer par l’intermédiaire de la courbe. D’autre part, il se peut aussi que les deux objets soient trop proches d’un point de vue sémiotique pour que les élèves arrivent facilement à imaginer des variantes de tableaux de variations pour un même tableau de valeurs. Il faut en effet introduire dans un registre très proche, de nouvelles valeurs qui n’apparaissent pas dans le tableau de valeurs initial. De plus, se rajoute la différence entre le traitement du registre numérique et celui du registre graphique : dans le registre numérique, on associe certainement nombres et calculs (un nombre apparaît souvent comme le résultat d’un calcul) alors que dans le registre graphique la construction d’une courbe peut apparaître moins contrainte. Il ressort donc de cette analyse que le tableau de variations reste un outil avec peu d’autonomie, c’est avant tout un moyen de codage de données issues d’une lecture de la courbe. Le traitement dans ce registre de représentation reste problématique pour les élèves. D’autre part si la conversion à partir de ou vers le registre graphique ne semble pas poser de problème, la conversion à partir du registre des tableaux de valeurs reste problématique.

Tous ces résultats sont évidemment très liés aux conditions de réalisation et au choix des problèmes étudiés. Les interprétations proposées restent donc largement hypothétiques et le nombre de productions analysées est relativement faible (surtout pour l’activité 1). Il serait notamment intéressant d’étudier ces activités à plus large échelle et de rendre compte des problèmes que nous avons rencontrés lors de leur application.

Enfin, en dépassant le sujet de la thèse, cette étude nous a donné des éléments sur le travail du professeur : elle montre tout d’abord, qu’il est difficile pour un professeur, même expérimenté, de s’approprier vraiment un scénario de cours s’il est loin de sa pratique habituelle, même si un travail commun a été fait. En outre, nous avons vu que des exercices relativement ouverts, avec des réponses multiples, permettant de travailler des questions comme la non correspondance entre tableau de valeurs et courbe, sont massivement rejetés par les enseignants du fait de ces caractéristiques.