II. Répétition : brûler pour re-chercher l’objet perdu

La répétition se manifeste plus concrètement lorsque l’auteur met en application cette phrase. Quignard écrit cette expérience. Raconter le perdu est l’axe central de l’écriture quignardienne. Dans le fait de raconter, il y a quelque chose de l’ordre du renouvellement, du remplacement ; mais dans ce renouvellement on verra réapparaître quelque chose d’identique, quelque chose qui appelle ce que l’on a brûlé : « On répète en fonction de plaisir auparavant obtenu ou à obtenir »5 . Cette répétition maintient l’identité de l’objet perdu, mais elle risque aussi de l’abolir. Répéter un mot devient une forme de jouissance dans le langage qui se détache de la réalité de l’objet perdu : aimer un nom, le répéter, c’est aimer dans un langage qui cesse de symboliser et de faire de lien. C’est là où la répétition devient suspendue, elle se fixe dans le langage.

Dans l’écriture de la perte chez Quignard, il y a aussi une certaine fluidité, une mobilité qui maintient le désir dans chaque répétition. Le nom sur le bout de la langue est un titre révélateur de cette procédure de renouvellement. Quignard souligne : « Tout mot retrouvé est une merveille »6.Ici, la répétition est vitale. L’auteur l’explique en tant qu’« esprit d’escalier » qui consiste à revisiter les époques d’avant, les vestiges, les ascendants généalogiques, mais aussi les lieux : « C’est une espèce de répétition sans laquelle je tombe » 7 , confie-t-il à Malaterre. Il s’agit souvent de répéter cette tentative de retrouver le perdu.

Notes
5.

Gilles Deleuze, Présentation de Sacher-Masoch, édition de Minuit, 1967, p. 90.

6.

Quignard, Le nom sur le bout de la langue, Gallimard, 1993, p. 56.

7.

Film de Jacques Malaterre : “à mi-mots”.