IV. Appel à l’imprévisible : brûler pour attaquer le bloc du passé

Ce que l’on peut retenir aussi de la phrase « Incende quod adorasti », est la domination du passé en tant qu’entité soudée. Qu’il soit brûlé ou adoré, nous comprenons qu’il s’agit en quelque sorte de modifier quelque chose dans le passé pour qu’il soit re-présenté dans l’avenir. Or, cette tentative de modifier le passé relève précisément de l’impossible. Cette impossibilité constitue le trou creusé, la faille, qui va permettre à l’écrivain d’effectuer un changement qui aura une signification dans l’avenir. Son attaque vise le bloc figé du passé, dont l’esprit du système dépend pour expliquer l’avenir. On imagine qu’il s’interroge ainsi : “ Et si cela s’était passé autrement ? ”. Ainsi, c’est l’idée même de l’avenir qui est mise en cause. Par l’écriture, Quignard déjoue les conditions du passé, en en modifiant les figures, les idées et la structure même ; et par ce même geste il attribue une imprévisibilité à l’avenir. Il redonne plus de possibilité à une naissance de l’inattendu. Il la réclame, comme projet : « C’est le contraire de la domestication terrible de l’humanité par elle-même »8. Ainsi la naissance d’un héros chez Quignard, comme Meaume le graveur, ne peut se comprendre qu’à partir d’un trou creusé dans le passé. En d’autres termes, le sujet ne survient comme un que là où le passé, au sens plein, est affecté d’un manque autour duquel graviterait le désir. L’un des sens de la phrase de Rémi devient donc : “Brûle ce que tu as aimé… pour donner quelque chose, pour créer une nouvelle possibilité de rencontre dans l’avenir”. Ce geste de brûler, avec toute la connotation destructive qu’il comporte, a plus le sens de naissance dans l’avenir que dans le moment présent. C’est l’acte même de la création “indéfinissable” selon Quignard.

Notes
8.

“à mi-mots”, film de Jacques Malaterre.