Des “livres” dans le livre : une destructuration édificatrice

Quand on parle de la diversité et de la multiplicité des genres, la question de la structure s’impose. Il faut qu’il y ait un terrain assez vaste pour englober toute cette abondance. Il est vrai que Quignard nous explique “théoriquement” sa technique de réparation des « déchirures impossibles dans le temps et l’espace », mais dans la pratique la structure du livre se révèle un peu plus compliquée à la première lecture. Il s’agit bien, ici, de la question de la longueur du texte.

Terrasse à Rome s’étale sur cent vingt pages, divisées en quarante sept chapitres. Il y a des chapitres contenant un ou deux paragraphes de cinq ou six lignes – (chapitres 9,13,20,26,39,42). Ce sont les récits de rêves de Meaume et l’analyse de quelques gravures. D’autres chapitres contiennent une seule page ; et, finalement, il y a des chapitres de trois ou quatre pages. Il n’y en a que deux, (chapitres 7 et 11), qui sont écrits en cinq à six pages. Nous constatons, alors, que le livre est construit, paradoxalement, sur une absence de plan spatial du texte et par une certaine fréquence rythmique. Nous remarquons que les chapitres d’un seul paragraphe ne se retrouvent pas tous accumulés dans la première ou la deuxième moitié du livre. Leur étalage, tout au long du roman, produit un rythme cyclique. Il y a sans doute plusieurs récurrences, mais il faut noter que leur présence ne donne pas non plus d’homogénéité structurale au reste des chapitres, d’où vient l’effet de déstructuration qu’éprouve le lecteur lors de la progression du livre.

Nous avons l’impression que le roman n’est pas tout à fait centré sur le personnage principal, Meaume, comme Quignard le fait d’ailleurs dans d’autres romans – nous pensons notamment à Sainte Colombe dans Tous les matins du monde. L’histoire du graveur n’est qu’un prétexte à d’autres histoires aussi importantes que la sienne. Cette division pluridimensionnelle nous renvoie à la question de la vitesse de l’écriture et au rapport entre la durée de l’histoire et la longueur du récit. Ainsi le lecteur va se heurter à une autre question problématique dans ce livre : de quoi parle-t-il ? si c’est un roman, comme l’écrivain le prétend et l’affiche, quelle histoire peut-elle être racontée en la divisant de la sorte en quarante sept chapitres ? et comment peut-on saisir l’équilibre entre la linéarité romanesque d’un côté, et d’un autre la multiplicité des genres et l’hétérogénéité du plan textuel ?