1. La narration sensuelle dans un texte argumentatif :

Dans Terrasse à Rome, Quignard essaie de déstabiliser son lecteur en perturbant la narration de son récit. Il introduit des passages argumentatifs à l’intérieur des parties narratives pour attribuer une dimension extérieure à son roman. A partir du récit de Meaume le graveur, le lecteur se trouve parfois engagé sur une autre piste de réflexion plus vaste et qui peut n’avoir aucun lien direct avec le contenu. L’histoire d’un personnage sert de base pour explorer d’autres domaines. Le narrateur, en insérant des passages argumentatifs dans la narration romanesque, part du “particulier” - l’histoire de Meaume - vers le “général” – réflexions sur l’art.

Il nous paraît nécessaire d’examiner un essai de Quignard pour étudier, selon un processus inverse, le rôle que pourrait jouer la narration dans un texte s’affichant comme argumentatif. A l’inverse du roman, l’essai est, en effet, basé sur l’argumentation. Selon Genette, c’est un récit factuel par opposition au récit fictionnel, et Aline Geyssant et Nicole Guteville l’opposent radicalement au roman et le considèrent comme un genre « non-narratif » 108 . Or, chez Quignard, la narration fait partie de l’écriture argumentative. Le lecteur des essais se retrouve toujours confronté à des récits de tous genres : biographies 109 , contes et analyses des fresques. Comme dans le roman, Quignard, dans Le Sexe et l’effroi, fait appel à tous les genres de l’écriture littéraire, y compris à des séquences narratives. Mais la logique de leur insertion est au service d’une orientation argumentative, et elles sont, à leur tour, subdivisées en plusieurs types de discours.

Le Sexe et l’effroi offre ainsi deux catégories de séquences narratives : la première est monogérée, tandis que la deuxième est polygérée, et chacune des deux catégories représente un type différent de discours :

Notes
108.

Aline Geyssant et Nicole Guteville, L’Essai, le dialogue et l’apologue, Ellipses, 2001.

109.

D’où vient la difficulté, selon Pierre Glaudes et Jean-François Louette, de distinguer, d’un point de vue strictement narratologique, des formes proches de la fiction pseudo-autobiographique et de l’autofiction. Ainsi, ils s’interrogent : « Essai cousin de la biographie ? », L’Essai, Hachette, 1999, p. 144.