Conclusion générale

« Celui que j’aime est celui qui me limite.
La représentation la plus importante que j’ai, sans le savoir, de mon aimé, c’est la représentation de mes limites. Oui, l’aimé représente ma limite. Ainsi, non seulement l’aimé me donne mon image, assure la consistance de ma réalité et rend tolérable mon insatisfaction, mais encore il représente le frein à la démesure d’une satisfaction absolue que de toutes façons je ne saurais supporter. En un mot, l’élu - que nous qualifions d’aimé, mais qui peut être tout autant haï, craint ou désiré – représente ma barrière protectrice contre une jouissance que je tiens pour dangereuse, bien que je la sache inaccessible. Par sa présence réelle, imaginaire et symbolique, il est, au-dehors, ce que le refoulement est au-dedans. Cette barrière vivante qui m’évite les jouissances extrêmes et m’assure une insatisfaction intolérable, ne m’empêche pas pour autant de rêver à la jouissance absolue. Au contraire, mon élu nourrit mes illusions m’incite à rêver et m’interdit de réaliser mon rêve. »
J.-D. Nasio, La Douleur d’aimer.

« L’amour n’est pas racontable, sa souffrance n’est pas racontable, son bonheur n’est pas racontable. Sa lumière n’est pas racontable : elle est prodigieuse, elle n’éclaire rien, et l’on ne sait pas au bout du compte si ce sentiment, ce halo de vérité, d’intensité, de confidence, de nudité, d’authenticité n’est pas le mensonge en personne qui a pris les traits d’un corps humain devenu brasier, devenu soleil – ces images mêmes étant les plus douteuses. Ce n’est pas racontable. »
Pascal Quignard, Le salon du Wurtemberg.