I.2.1.2. « Créer le langage » ?

On sait que la première possibilité trouve son expression paroxystique dans les années 1929-1930, lors du bref rapprochement de Ponge avec le surréalisme 77 . Certaines pièces de Proêmes gardent la trace de ce rapprochement, tout en prolongeant sous une autre forme la veine satirique : « Les écuries d’Augias » (PR, I, 191-192) est à cet égard emblématique. Le début du texte s’inscrit clairement dans la continuité des satires, insistant sur « l’ordre de choses honteux » qui s’impose « physiquement » par le bruit, les contraintes quotidiennes. Mais l’accent se déplace ensuite sur le relais qu’une telle « tyrannie » (« A chat perché », PR, I, 194) trouve dans la langue, vecteur de l’idéologie jusqu’au cœur des consciences :

‘Hélas, pour comble d’horreur, à l’intérieur de nous-mêmes, le même ordre sordide parle, parce que nous n’avons pas à notre disposition d’autres mots ni d’autres grands mots (ou phrases, c’est-à-dire d’autres idées) (« Les écuries d’Augias », PR, I, 192).’

La langue, comme institution, comme matériau que les usages antérieurs et « sordides » ont abîmé, est bien ici mise en cause ; mais aucune sortie hors de ce cadre des « paroles » n’est envisagée, et le texte propose finalement une autre disposition de cette matière excrémentielle avec laquelle il faut bien faire :

‘Il ne reste plus qu’à se crever d’imitations, de fards, de rubriques, de procédés, à arranger des fautes selon les principes du mauvais goût, enfin à tenter de faire apparaître l’idée en filigrane par des ruses d’éclairage au milieu de ce jeu épuisant d’abus mutuels. Il ne s’agit pas de nettoyer les écuries d’Augias, mais de les peindre à fresque au moyen de leur propre purin (ibid.).’

L’agencement du matériau, capable d’instaurer une contre-communication, comme « en filigrane », est ce qui permet d’utiliser le langage à d’autres fins que celles qui servent l’idéologie dont il est habituellement porteur. Ce ne sont donc jamais que des paroles qui sont ainsi produites, mais qui agissent « contre les paroles », et selon d’autres moyens : l’image du filigrane suggère déjà que l’écrit est une solution possible, même si la peinture est en l’occurrence le modèle artistique convoqué. « [Ridiculiser] les paroles par la catastrophe, - l’abus simple des paroles », comme y invite la « Justification nihiliste de l’art » (PR, I, 175), suppose donc de pouvoir transmettre ces mots de contrebande selon les codes et les canaux de communication existants, à l’image des « prospectus distribués par un fantôme » : comme les « poésies », les horoscopes vendus à la sauvette risquent souvent de ne pas être lus, mais circulent tout de même (ibid., 191).

Une telle posture présente l’avantage de ne pas se résigner au silence. Elle suppose également qu’il est possible d’agir dans l’ordre des choses - qui est aussi bien ordre des paroles - par le maniement de la langue : c’est alors que « la pose du révolutionnaire » coïncide avec celle du « poète » (« A chat perché », ibid., 194). Elle n’est cependant qu’un pis-aller, comme l’indiquent les textes consacrés à Aragon en 1924, et qui ont visiblement servi d’avant-textes aux « Ecuries d’Augias ». « Aragon, grand poète « décadent » » commence ainsi par des phrases que l’on retrouvera quasiment telles quelles dans Proêmes :

‘C’est comme les peintres s’il n’y avait depuis le début des arts qu’un grand pot de rouge un de bleu un de chaque couleur et que tous les célèbres et les autres se soient servis dans ces pots et que tous les publics aient un peu craché dedans, […] c’est comme eux que nous sommes écrivains (PE, II, 1048-1049).’

A partir de cette condition « décadente » commune à tous les écrivains de cette génération, Aragon 78 parvient selon Ponge à faire « quelque chose de plus neuf et de plus moderne que tous les révoltés » (ibid., 1049). Mais la suite des commentaires est moins flatteuse, et souligne bien quelles réticences Ponge ressent à l’égard d’une telle stratégie d’approbation à la langue reçue : « Je crois qu’il ne résistera pas au temps. [§] Mais c’est fort ingénieux, plein de grâce : un vrai charme ». A l’aune du « Mémorandum » de 1935, qui ouvre les Proêmes (PR, I, 167), et où Ponge affirme avoir « pour but non les charmes, mais la conviction », on mesure quelles réserves peut contenir une telle appréciation en apparence favorable 79 . Une autre note critique de la même époque est plus explicite quant aux limites du travail d’Aragon selon Ponge :

‘Il choisit le ton, quelques clichés qui n’imposent aucun effort à l’esprit et il les fait se suivre d’une façon également aisée, coulante.’ ‘Art d’accommoder les clichés suivant leur ton.’ ‘C’est, si l’on veut, la poésie comme on est accoutumé de la considérer, mais à l’envers. Au lieu de créer le langage, il obéit, il flatte par l’usage de termes coutumiers. Il use de la faiblesse de la langue, le mieux du monde (« Poèmes d’Aragon », PE, II, 1051).’

Si l’habileté est à nouveau reconnue à Aragon, l’attitude qui consiste à tremper son pinceau dans le pot utilisé par tous est cette fois décrite en termes très dépréciatifs : l’obéissance au langage est précisément ce contre quoi s’élève Ponge, y compris dans les moments où il préconise à son tour d’utiliser le purin des paroles. Pourtant, malgré ces formulations sévères, des parentés sont perceptibles entre la façon dont Ponge perçoit ici la poétique d’Aragon et « Les écuries d’Augias » : « user de la faiblesse de la langue », tout en lui obéissant semble annoncer les « abus mutuels » recommandés dans le texte de Proêmes (PR, I, 192). Mais ce texte sur Aragon laisse entrevoir une autre alternative, qui irait à l’encontre du choix opéré par l’auteur du Libertinage, et qui consiste à « créer le langage ».

La formule est ambitieuse, et suggère une rupture radicale avec toutes les conventions linguistiques existantes. Si un tel projet n’affleure que ponctuellement sous la plume de Ponge, « créer le langage » indique un désir d’édification par l’écrit - dans tous les sens de ce terme : construction d’un monument verbal susceptible de s’inscrire contre les paroles, et entreprise didactique. « Rhétorique », contemporain dans l’écriture des « Ecuries d’Augias », et voisin dans la publication 80 , est traversé des mêmes préoccupations, mais propose des réponses sensiblement différentes. Le constat initial est le même : l’omniprésence « des paroles », à l’intérieur de « ceux qui se suicident par dégoût », par impossibilité de s’exprimer, et à qui s’adresse explicitement le texte (PR, I, 192-193). Mais si « Rhétorique » est comme « Les écuries d’Augias » un texte programmatique, ce programme est autre. Le but n’est pas d’agencer différemment les paroles telles qu’elles sont reçues, mais d’« enseigner l’art de résister aux paroles », pour que « la parole » puisse être donnée aux voix minoritaires (ibid., 193) : « somme toute fonder sa propre rhétorique, ou plutôt apprendre à chacun l’art de fonder sa propre rhétorique, est une œuvre de salut public » (ibid.).

On sait la dette de Ponge à l’égard de Paulhan dans l’intérêt qu’il porte à la rhétorique et au rôle qu’elle peut jouer dans l’écrit littéraire, lui qui suit de près le projet l’élaboration des Fleurs de Tarbes 81 . Cette inscription de la rhétorique dans le programme esthétique de Ponge entre cependant en tension avec le projet de « [ridiculiser] les paroles par la catastrophe, - l’abus simple des paroles » (« Justification nihiliste de l’art », PR, I, 175). Déjà le premier texte des Douze petits écrits proposait de retourner le « style » pour « défigurer » un peu le beau langage. « Des raisons d’écrire » reprend ce motif, mais en le reliant cette fois au projet de résistance « aux paroles » :

‘Une seule issue : parler contre les paroles. Les entraîner avec soi dans la honte où elles nous conduisent de telle sorte qu’elles s’y défigurent. Il n’y a point d’autre raison d’écrire. (ibid.,197)’

Toutefois, ce travail de sape s’effectue simultanément à la revendication d’un désir d’édification. Deux mouvements contraires coexistent donc : l’un, de défiguration, est à visée essentiellement négative. Le second, rhétorique, affiche son ambition didactique et édificatrice. Mais Ponge entend faire un usage particulier de la rhétorique. En effet, « Apprendre à chacun l’art de fonder sa propre rhétorique », ce n’est pas reprendre à son compte les valeurs de persuasion déjà éprouvées ni se réfugier dans un langage absolutisé et coupé de tout lien avec le réel, mais poser d’autres fondations. Si « chacun » apprend l’art de fonder sa propre rhétorique, c’est dire que les règles à énoncer sont relatives à chaque individu, et partant aux conditions dans lesquelles il s’exprime. La rhétorique, comme art de convaincre, ne consiste pas à s’abstraire des conditions d’énonciation, mais à parier qu’un certain usage du langage peut instaurer un autre « ordre des choses », par l’effet concret du discours tenu sur les interlocuteurs. Par une inversion du rapport de force, l’ambition est donc de créer de nouvelles conditions d’énonciation, de provoquer une modification du contexte par le texte, plutôt que de subir les « poses » auxquelles contraignent « les paroles ».

Mais est-il possible de mener à bien un tel programme dans la langue française telle quelle, avec ce matériau que plusieurs textes décrivent comme irrémédiablement corrompu ? La question traverse plusieurs textes contemporains de la période d’élaboration de la poétique du parti pris, et interroge le sens et la portée à donner à l’expression « créer le langage ». « Plus-que-raisons » est celui qui affiche l’attitude de rupture la plus nette : « Que les critiques se rassurent : ils n’ont pas à lire mon livre. Je ne l’ai pas écrit en français » (NR, II, 314). Ce texte, d’abord paru dans Le Surréalisme au service de la révolution, par son premier contexte éditorial comme par la posture défendue, ne se rattache pas en première approche à l’ambition rhétorique. Mais il donne à lire, dans sa discontinuité même et dans ses contradictions internes, les choix problématiques auxquels est à cette époque confronté Ponge dans l’élaboration d’une poétique : le « déluge (contre Marx, Hegel et Cie) » (ibid., 313) semble ainsi situer ce texte dans la continuité de la « Justification nihiliste de l’art » et de la « catastrophe » de paroles qu’elle recommande 82 . Mais ce nihilisme est dans le texte de 1930 fortement nuancé par l’ambition positive qui s’y exprime :

‘Point de compromis possible entre le parti pris des idées ou des choses à décrire, et le parti pris des mots. ’ ‘Etant donné le pouvoir singulier des mots, le pouvoir absolu de l’ordre établi, une seule attitude est possible : prendre jusqu’au bout le parti pris des choses » (ibid.).’

L’affirmation d’un parti pris traduit un désir de construction, auquel fait écho une phrase de la fin du texte : « Si le manque de temps ou de forces m’oblige à choisir, je choisis les pensées habituellement interdites » (ibid., 314). Rupture avec l’ordre des idées (même marxistes), de la langue, l’écriture est simultanément promesse de porter au jour ce qui est censuré.

Dans cette perspective, « ne pas [écrire] en français » est comme un moyen de faire émerger ce que la langue, comme institution, repousse, de donner lieu donc aux pensées interdites ou inédites. « Plus-que-raisons » pose donc la question de la compatibilité de la langue française avec l’ambition révolutionnaire et/ou rhétorique que Ponge affirme au même moment. Des textes de la même époque reformulent cette question : « Raisons de vivre heureux » (1928-1929) comme la note titrée « Idée du texte… » (1929) interrogent ainsi la place d’intériorité/extériorité des écrits par rapport à l’institution de la langue héritée :

‘Idée du texte comme faisant partie des monuments de la langue néo-française. Qu’il soit d’un bon secours à un savant plus tard pour déchiffrer la langue néo-française. […] Les idées exprimées, c’est tout autre chose (NNR I, II, 1065). ’

Plus que sur la rupture avec la langue existante, l’accent est mis ici sur la fondation d’une langue rénovée, dont la qualification de « française » n’est pas récusée. L’instauration d’un medium rendant possible une communication différente et l’exposition des règles de son utilisation coïncident : le « texte » atteste l’existence de la langue néo-française, et permet d’en comprendre le fonctionnement, de le « déchiffrer ». L’utopie d’une inversion du rapport texte/langue qui s’exprime ici n’est donc pas rêve d’un langage coupé de toute attache circonstancielle. Il s’agit plutôt d’instaurer les conditions de l’échange - prévoir les diverses circonstances - en même temps que le medium. L’immanentisme qui se donne à lire dans ce bref texte est donc en même temps un anti-idéalisme, qui se traduit par le refus de considérer les idées en dehors de leurs conditions d’énonciation 83 .

Cette même question problématique de la possibilité d’écrire dans la langue française se retrouve dans les « Raisons de vivre heureux », où elle est reliée explicitement à l’élaboration de la poétique du parti pris des choses, et au choix de la rhétorique 84 . L’écriture se voit dans un premier temps fixer comme but de

‘garder la jouissance présomptive d’une raison à l’état vif ou cru, quand elle vient d’être découverte, au milieu des circonstances uniques qui l’entourent à la même seconde. Voilà le mobile qui me fait saisir mon crayon. (Etant entendu que l’on ne désire sans doute conserver une raison que parce qu’elle est pratique, comme un nouvel outil sur notre établi.) » (PR, I, 198) ’

Le choix de l’écriture, qui s’opère contre les paroles, n’est donc pas renoncement aux circonstances, mais vise au contraire à en assurer la reviviscence. Il n’est pas non plus retrait hors de la sphère de l’action, et la proximité du crayon et de l’outil rappelle la complémentarité du stylo et du couteau rencontrée dans les satires. C’est dans une telle perspective que se formule dans ce texte le parti pris des choses, comme « [retour] de l’esprit aux choses », « mémoire des objets de sensations », qu’il s’agirait de « [décrire] de leur propre point de vue » (ibid.). Le caractère utopique d’un tel programme est immédiatement souligné, et cette impossibilité même conduit à la question de la langue :

‘Du moins, par un pétrissage, un primordial irrespect des mots, etc., devra-t-on donner l’impression d’un nouvel idiome qui produira l’effet de surprise et de nouveauté des objets de sensations eux-mêmes.’ ‘C’est ainsi que l’œuvre complète d’un auteur plus tard pourra à son tour être considérée comme une chose. Mais si l’on pensait rigoureusement selon l’idée précédente, il faudrait non point même une rhétorique par auteur mais une rhétorique par poème. […]’ ‘Le sujet, le poème de chacune de ces périodes correspondant évidemment à l’essentiel de l’homme à chacun de ses âges : comme les successives écorces d’un arbre, se détachant par l’effort naturel de l’arbre à chaque époque (ibid., 198-199).’

Un « nouvel idiome » : l’expression ne se juxtapose qu’imparfaitement à la « langue néo-française » qu’appelait de ses vœux l’« Idée du texte ». Par son étymologie, le terme désigne implicitement la capacité à dire le particulier, et, dans le texte de Ponge, ce qui est propre à des circonstances singulières 85 . A cet égard, « Raisons de vivre heureux » fait un pas de plus : il s’agit autant de réinventer à chaque nouvelle occasion un mode d’échange que d’élaborer une langue rénovée. La fin du texte rappelle l’attache indéfectible de ce « nouvel idiome » aux circonstances de son invention, dont il se doit d’être la trace, éphémère et dépassée, comme le suggère la comparaison avec les écorces de l’arbre.

Notes
77.

A la suite du tract Un cadavre, dirigé contre Breton, Ponge écrit, en janvier 1930, une « Lettre aux surréalistes » (Breton, Eluard, Aragon), où il demande à les rencontrer. Le 20 février, cette entrevue avec les trois écrivains surréalistes a lieu, et, en juillet, « Plus-que-raisons » (NR, II, 312-314) paraît dans le numéro 1 du Surréalisme au service de la révolution. Ponge s’y trouve aux côtés de Louis Aragon, René Char, Paul Eluard, Benjamin Péret, Tristan Tzara. C’est la seule contribution de Ponge à la revue. Ce bref rapprochement correspond à un moment de brouille avec Paulhan, et à un affaiblissement du mouvement surréaliste, ce que Ponge rappelle du reste dans la lettre qu’il envoie : « Aujourd’hui qu’on prétend un peu partout que vous êtes morts et qu’il paraît que tout le monde vous laisse tomber, je n’y tiens plus : je ne vois plus aucune raison de ne pas vous dire que je vous préfère, et de beaucoup, à tout ce monde » (« Lettre aux surréalistes », PAT, 107).

78.

Aragon vient de publier des poèmes dans La Revue européenne (vol. II, n° 14) que Ponge recopie dans ses notes (PE, II, 1048) et qui furent ensuite repris dans Le Mouvement perpétuel en 1926. Les notes critiques de Ponge portent également sur Le Libertinage, paru en 1924 chez Gallimard.

79.

Il est vrai que cette phrase vise plus explicitement Valéry. Mais les « charmes » ici refusés sont à double entente : ils renvoient au pouvoir fascinant du carmen, à la limite du silence, que Valéry entend recréer, aussi bien qu’à la grâce légère, « charmante », que Ponge a discernée chez Aragon onze ans auparavant.

80.

Les deux textes se suivent en effet dans Proêmes.

81.

Dans Les Fleurs de Tarbes ou la Terreur dans les Lettres, Paulhan déplore en effet que la crise du langage, le « mythe du pouvoir des mots » et la hantise du cliché aient détourné les écrivains de préoccupations stylistiques et rhétoriques (Les Fleurs de Tarbes ou la Terreur dans les Lettres (1941), Paris, Gallimard, « Idées », 1973).

82.

Se situer « contre Marx, Hegel et Cie » est sans doute une manière de déplacer le terrain du combat des « idées » aux mots, selon une conception que Ponge adopte précocement, et qu’il ne cessera de réaffirmer, notamment au vu de la première réception du Parti pris des choses, en grande partie philosophique. En outre, comme le note Jean-Marie Gleize, cette remarque est, dans le contexte surréaliste où le texte paraît, plutôt provocatrice : « L’appel (rimbaldien) au déluge [est] suivi d’une parenthèse assez bizarre dans le numéro un d’une revue qui s’ouvre sur une réponse clairement “communiste” au Bureau international de Littérature révolutionnaire (Boîte postale 650, Moscou), et curieuse sous la plume de quelqu’un qui est censé avoir lu le Second Manifeste » (Francis Ponge, op.cit., p. 53).

83.

Cette conception a des implications très concrètes pour Ponge, et lui permet notamment de résister au pouvoir d’intimidation des « idées », comme l’atteste la note préparatoire au « Comité NRF », datée de 1926 : « ne pas oublier de me placer quelques fois à ce point de vue d’où la “philosophie” apparaît comme un “mode-d’expression-comme-un-autre”. […] La philosophie comme soumise aux règles d’art littéraire. » (« CNRF (Memorandum) », PE, II, 1020-1021). C’est le même argument que Ponge opposera à Camus dans les « Pages bis » des Proêmes.

84.

« Raisons de vivre heureux » est situé vers la fin de « Natare piscem doces », la première section de Proêmes, et apparaît donc comme unjalon important dans le parcours de Ponge. Ce texte n’a donc pas le même statut éditorial que « Plus-que-raisons », qui ne sera repris qu’en 1967 dans Nouveau Recueil, et qu’« Idée du texte », publié de façon posthume dans Nouveau nouveau recueil.

85.

Les différents sens que propose Littré pour « idiome » font néanmoins le lien entre le particulier et ce qui est commun à un groupe donné : « 1. Caractère propre ; sens étymologique qui n’est conservé qu’en termes de théologie : ce qui est propre à une des natures de Jésus-Christ. 2. Ce qui est particulier à une langue, sens du latin idioma, et qui est tombé en désuétude. 3. Langue d’un peuple considéré dans ses caractères spéciaux. L’idiome français. »