II.1. Lire, écrire, connaître

La représentation de ce que produit une « prise de parole » est, nous l’avons vu, une préoccupation centrale des écrits de Ponge et de Sarraute, dès leurs premiers textes. Cette attention à la langue et à ses usages s’articule cependant très tôt chez les deux écrivains à un souci de connaissance dans l’écriture : la « fermeté » des énoncés à laquelle aspire Ponge se soutient d’un rapport objectif et « vrai » à la réalité ; « l’absence de contours » qui caractérise les êtres dans les œuvres de Sarraute, correspond pour elle à une « vérité » qu’il s’agit de mettre au jour. L’exploration du logos et le désir de connaissance se mêlent ainsi étroitement : l’opposition entre une surface des paroles et leur soubassement qui les détermine et que met au jour l’écriture - opposition désignée ensuite par les termes de conversation et sous-conversation - indique bien la solidarité chez Sarraute de ces deux entreprises que sont l’investigation du langage et la connaissance d’une « réalité mystérieuse qui sans cesse se dérobe » (PV, 1535). De même, pour Ponge, la poétique du parti pris postule que les « ressources infinies de l’épaisseur des choses » puissent être « rendues par les ressources infinies de l’épaisseur sémantique des mots » (« Introduction au “Galet” », PR, I, 203). La réflexivité qui caractérise leurs écrits ne saurait donc se confondre avec un repli autotélique 109 , mais constitue un moyen d’attention renouvelée à la réalité. Toutefois, cette réalité, entendue comme construction textuelle, ne peut être appréhendée selon un modèle mimétique, et n’acquiert d’existence que dans l’écriture : la réalité suppose d’être décryptée, écrite et lue, pour qu’une vérité jusqu’alors inaperçue puisse émerger.

C’est ce lien consubstantiel entre exploration de la parole et connaissance, et la nature de la « vérité » que Ponge et Sarraute entendent formuler, qu’il s’agit à présent d’interroger.

Notes
109.

Repli qu’ils discernent tous deux chez Valéry, « disciple [de Mallarmé] soufflé de verre » (PR, I, 182) selon Ponge, perdant de vue un « appel venu du cœur des choses » au profit de « minauderies de vieille coquette » (PV, 1535 et 1530) pour Sarraute : oublieux de ce qui n’est pas son écriture, l’écrivain ne peut sombrer selon eux que dans un narcissisme esthétisant.