II.1.2.1. « Entre les pavés de la Sorbonne »

Les « appareils végétatifs » qu’étudie « Végétation », texte écrit en 1932, poussent « entre les pavés de la Sorbonne ». L’expression dit une partie du rapport à la connaissance tel qu’il se fait jour dans la poétique du parti pris : la végétation, assimilée dans le cours du texte à un « immense laboratoire », se caractérise en définitive par sa façon originale de produire de la matière, et par sa présence quotidienne qui mérite attention, comme l’indique la fin du texte :

‘Mais j’ai voulu d’abord insister sur ce point : bien que la faculté de réaliser leur propre synthèse et de se produire sans qu’on les en prie (voire entre les pavés de la Sorbonne), apparente les appareils végétatifs aux animaux, c’est-à-dire à toutes sortes de vagabonds, néanmoins en beaucoup d’endroits à demeure ils forment un tissu, et ce tissu appartient au monde comme l’une de ses assises (PPC, I, 49).’

« Tissu » immobile sur lequel, entre autres, repose le monde, la végétation peut donc être en retour source d’un savoir fondamental sur notre façon d’être au monde, à condition d’être décryptée, observée, ce que vient précisément de proposer le texte 157 . Ce qui résulte de cette observation est à l’image de la façon dont les plantes insèrent leur propre matière « entre les pavés de la Sorbonne », dans les espaces laissés vacants par les savoirs constitués et les représentations autorisées : retenant la leçon du « laboratoire végétatif », Ponge s’appuie ainsi sur la description de la végétation pour prendre ses distances avec un certain nombre d’habitudes de langage, et de symboliques établies. La pluie, associée généralement à la tristesse, se voit ainsi présentée joyeusement :

‘A eux seuls [les appareils de la végétation] appartient le pouvoir de faire briller au soleil les formes de la pluie, autrement dit d’exposer sous le point de vue de la joie les raisons aussi religieusement admises, qu’elles furent par la tristesse précipitamment formulées. Curieuse occupation, énigmatiques caractères (ibid.).’

L’attention portée à ce tissu rencontré quotidiennement permet d’en saisir le caractère énigmatique, et de contrer les formulations hâtives, « précipitées », reçues pour vraies sans être pensées, par simple crédulité docile, et que désignent les « raisons […] religieusement admises » : de même que les végétaux sont susceptibles de proliférer entre les pavés de la Sorbonne, le texte se déploie aussi dans les interstices du savoir.

Notes
157.

Au moment de la rédaction de ce texte, la parenté étymologique entre « texte » et « tissu » n’est pas encore un lieu commun, comme elle le deviendra à la suite de Barthes. Toutefois, le travail lexical auquel Ponge se livre systématiquement, et la valeur de justification du poème que prend ici le terme « tissu », nous incitent fortement à faire ce rapprochement.