II.1.2.1.1. Les dangers du symbole

Prendre la parole, « faire entendre la voix d’un homme », comme se propose de le faire Ponge, suppose que soient remises en cause les « habitudes infectes » des paroles dans leurs usages courants ; avec l’élaboration de la poétique du parti pris se fait jour une autre ambition, qui consiste à dire l’inédit, à formuler l’inconnu. Mais ces deux ambitions ont un même préalable : sortir du « manège » des opinions communes, des « significations » figées en symboliques dogmatiques qui restreignent les perceptions et les possibilités d’expression et d’action.

Les « poses », les « masques », auxquels contraignent les usages courants de la langue ne sont pas uniquement une oppression idéologique exercée sur les individus, ils occultent également la perception de la réalité, des choses extérieures dans leur complexité. Si, dès 1923, « Règle » dénonçait les images de carte postale 158 , la critique des images stéréotypées revient au premier plan au tournant des années 1930, selon une problématique sensiblement différente. Le texte contemporain de « L’introduction au “Galet” », titré « Parti pris des choses », est à cet égard explicite : il s’ouvre sur le constat d’une quasi-complète domestication des choses par les hommes, qui se manifeste par le fait que « pas une “mauvaise” herbe ne se risque entre les pavés des rues voisines ». La suite insiste sur ce pouvoir du cliché dans notre perception des choses :

‘Quelle étonnante servilité ! Les choses sont sages comme des images. A la lettre : comme des images ! Elles n’inquiètent plus du tout les hommes. Aussi, même du coin de l’œil, ne les considèrent-ils plus.’ ‘Absolument domestiquées, elles servent à l’homme qui en tire parti pour son confort. Et leurs noms mêmes ne servent plus tant à les désigner qu’à permettre aux hommes de se parler entre eux, selon l’image grossière qu’ils ont tirée une fois pour toutes de chacune d’elles (par exemple : « un cœur de pierre »).’ ‘Sages comme des images, je l’ai dit (PE, II, 1031-1032).’

« Sages comme des images » : l’expression, répétée trois fois, recouvre très précisément la logique de formation du cliché, dans sa double acception visuelle et verbale : la chose n’est, littéralement, plus vue, à force de se confondre avec des stéréotypes verbaux, ce que souligne l’exemple final, « un cœur de pierre ». Les réflexes langagiers, qui traduisent un strict rapport de maîtrise sur les choses, informent donc les perceptions visuelles, et, créant une coïncidence factice entre le signe et le référent, finissent par occulter ce dernier : la fabrication du cliché apparaît donc comme la dynamique propre au « manège » dont il s’agit de sortir par le « parti pris des choses ». Cette illusion de coïncidence entre choses et mots aboutit à une méconnaissance du réel, instrumentalisé et, finalement, délaissé par le langage lui-même, qui finit par fonctionner en circuit fermé, ce que suggère ailleurs le terme de « manège ». L’efficience d’un tel usage des mots est avérée, - les choses sont effectivement dominées – mais c’est du point de vue de la connaissance intime que la dynamique du cliché est défaillante : on ne voit plus qu’une « image grossière » à force d’user d’un langage lui-même imagé. Le rapport des hommes aux choses est décrit par un syntagme figé - les voilà « sages comme des images » - mais c’est en tant que tel qu’il dit la césure entre l’ordre des choses et l’ordre des mots. La logique du texte consiste à le prendre « à la lettre » pour en souligner toute la force : « considérer » les choses - tout aussi bien les voir à nouveau que leur redonner dignité - suppose de sortir de la fabrique des stéréotypes en prenant acte de « l’infidélité des moyens d’expression », de prêter attention donc à ce qui, dans les choses, se refuse à faire image. On comprend mieux dès lors comment le « manège » que dénonce « L’introduction au “Galet” », définit et restreint la « réalité » de l’homme : la surdétermination des perceptions visuelles et, plus largement, sensorielles, par les représentations verbales, délimite ce qu’il est possible de percevoir comme appartenant à la réalité.

Dès 1924, dans le « Proême à Bernard Groethuysen », Ponge établit le lien entre la tendance des « paroles » - le langage dans ses usages courants - à fabriquer des stéréotypes, et la perte de lien avec la réalité, ou plutôt ce qu’il appelle la « vérité » :

‘Les paroles ne me touchent plus que par l’erreur tragique ou ridicule qu’elles manifestent, plus du tout par leur signification.’ ‘Je n’oublie à aucun moment leur défaut et ne peux donc à la vérité leur accorder de signification que pour ainsi dire seconde : au sens où l’on dit qu’une chose est « significative », « typique ».’ ‘La vérité ? Je ne comprends pas. La beauté ? Je ne comprends pas (NR, II, 309).’

On est loin encore dans ce texte de l’espoir de saisir une réalité inaperçue par la sortie hors du manège des paroles, et l’inadéquation des usages courants de la langue aux perceptions singulières est présentée sur le mode « tragique ou ridicule ». Mais c’est bien la même tendance à produire des « images grossières » qui est ici visée : le rapport second des paroles au réel, leur « erreur », prend la forme d’une réduction à des « types », à des symboles figés en des traits « significatifs », aux dépens d’une réalité singulière. Ce mouvement de typification rejoint directement ce que « Parti pris des choses » décrira du langage clos sur lui-même, hermétique à ce qui n’est pas sédimenté en image. A ce processus sont ici opposées la « vérité » et la « beauté », rendues toutes deux insaisissables par la fabrication du stéréotype. En creux se dessine donc une conception de la « vérité » comme attention au particulier, au singulier, attention qui en elle-même est source de « beauté » : si l’ambition de Ponge d’accéder à un « vrai » est d’emblée perceptible - même si elle est ici désignée comme un idéal inaccessible - la vérité dont il s’agit est déjà décrite en termes anti-idéalistes, au plus près des impressions singulières et d’une réalité concrète. Est vrai non pas tant ce qui résulte des idées générales et abstraites que ce qui est en adéquation avec une expérience singulière du réel. Dès 1924 donc, fabrication des types et vérité se trouvent placées dans un rapport d’exclusion réciproque. Notons toutefois que la « vérité », la « beauté », sont des catégories en crise, mais apparaissent encore désirables, la notion de vérité ne faisant pas encore l’objet d’une relativisation critique et radicale, comme ce sera le cas plus tard.

Les modulations autour du terme « signification » sont à cet égard emblématiques d’un rapport complexe et ambivalent au processus de symbolisation à l’œuvre dans la langue : l’absence de « signification » première des paroles est déplorée dans le premier paragraphe, tandis que l’omniprésence de la signification « seconde » est ensuite considérée comme un mal découlant de la disparition de la première sorte de signification. Deux types de signification semblent donc coexister pour Ponge : la première, comme processus vivant, est tension du langage pour désigner aussi directement que possible une expérience singulière. La signification seconde, à l’inverse, se caractérise par un arrêt de ce mouvement, par lequel la chose est figée en un trait significatif, et finalement négligée. C’est cet arrêt de la construction du sens qu’offre le spectacle des « paroles ». En ce sens, les « paroles » telles que les perçoit Ponge sont très proches de la description du mythe que propose Barthes en 1957 :

‘Le mythe est un système particulier en ceci qu’il s’édifie à partir d’une chaîne sémiologique qui existe avant lui : c’est un système sémiologique second. Ce qui est signe (c’est-à-dire total associatif d’un concept et d’une image) dans le premier système, devient simple signifiant dans le second. […] Le mythe est une seconde langue, dans laquelle on parle de la première » 159 .’

Il s’agit dans les deux cas d’une secondarité qui marque un éloignement accru à l’égard des signifiés premiers, au profit de signifiés seconds qui réduisent les premiers à quelques traits limités 160 . D’où le triomphe d’un fonctionnement spéculaire de la langue, incapable de parler d’autre chose que d’elle-même. Mais, dans le cas du mythe comme des « paroles », cette spécularité est méconnue : le mythe n’a de cesse de se présenter comme naturel, « les paroles » s’appuient sur la croyance d’une adéquation réelle des choses à leur image verbale. Sortir du manège consistera notamment pour Ponge à prendre acte de cette nécessaire réflexivité pour se donner les moyens d’approcher d’une formulation véritable, entendue à la fois comme tentative de formulation d’une vérité et comme prise de parole authentique.

Par rapport au « Proême à Bernard Groethuysen », marqué encore par « le drame de l’expression », l’élaboration de la poétique du parti pris, à la fin des années 1920, est le moment de ce renversement : l’« infidélité des moyens d’expression » n’apparaît plus comme une secondarité stérile, spécularité impensée et négligente à l’égard du réel. A l’inverse, la réflexivité, la conscience du biais que constitue le matériau langagier dans l’appréhension des choses fonde la promesse d’exprimer de l’inédit. Toutefois, la formulation inédite se conquiert toujours sur les significations trop stables, sur le symbole, envisagé comme arrêt, aboutissement final du processus de symbolisation. Toute la réflexion de Ponge concernant les rapports de la connaissance et de l’écriture s’organise ainsi autour d’un questionnement des processus de signification et de symbolisation, depuis ce proême de 1924 jusqu’à La Fabrique du pré 161 , en passant par le moment d’élaboration de la poétique du parti pris et, plus tard, la Nioque de l’avant-printemps.

Dans les écrits de la fin des années 1920, la réflexion sur la signification comme lieu de production et/ou d’occulation du réel est en effet récurrente. Deux textes de 1927 notamment, explorent cette relation : « Hors des significations » et « Les façons du regard ». Le premier donne à lire une position radicale, comme l’indique déjà son titre, et il s’agit de se défaire d’une tyrannie des idées, au profit d’un nominalisme considéré comme un « immense progrès » (PE, II, 1005). La tâche de l’écrivain n’est plus de « dire quelque chose » (ibid., 1003) mais de constituer les mots en « choses », en une réalité matériellement perceptible :

‘En effet, voilà des « choses » visibles, ouïbles mais non pas préhensibles, sans troisième dimension dans l’espace, sans poids, sans ombre. […] Est-ce déjà suffisant pour que vous puissiez concevoir déjà que voilà des « objets » possibles à distinguer, des objets offerts à nos regards, à notre oreille ? Quand nous les entendons, nous croyons les voir (ibid.).’

Face à l’incapacité à « dire quelque chose », le but ici assigné à l’écriture est de se proposer comme une réalité à part entière, en exhibant sa matérialité sensorielle. L’avantage relatif de cette posture est précisément qu’elle attaque les significations, comme l’affirme la fin du texte : « Certes, le langage et le “bon” sens se défendront, mais leurs défauts et leurs faiblesses sont si flagrants qu’ils en sortiront quand même, je suppose, quelque peu défigurés » (ibid., 1007). La conclusion apparente encore ce texte à la période du drame de l’expression - la défiguration des paroles, l’exhibition des défauts du langage, ressentis tragiquement, étant les seules perspectives possibles pour l’écrivain. Elle permet cependant de saisir le lien établi entre « significations », stéréotypes et réalité. Les significations, dont il s’agit de sortir, se confondent en effet avec le « “bon” sens », assimilé ici avec le langage lui-même. Les significations ainsi entendues constituent donc une doxa univoque, qui est aussi une délimitation du champ du réel ; d’où la nécessité affirmée pour l’écrivain de faire des mots une réalité aussi concrète que possible, puisque c’est la seule qu’il puisse viser sans erreur.

« Les façons du regard » explore également ce rapport des significations et du réel, mais selon des modalités sensiblement différentes : le « regard-de-telle-sorte-qu’on-le-parle », l’exercice préconisé pour chaque homme, interroge ainsi les significations. Si l’homme s’y livre,

‘il reconnaîtra aussitôt l’importance de chaque chose, et la muette supplication, les muettes instances qu’elles font qu’on les parle, à leur valeur, et pour elles-mêmes, - en dehors de leur valeur habituelle de signification, - sans choix et pourtant avec mesure, mais quelle mesure : la leur propre (PR, I, 173).’

Si la juste expression est cette fois l’objectif visé par la parole, elle suppose toujours la négation préalable des significations. Cette négation est cependant relativisée ici par rapport au texte précédemment évoqué : c’est la « valeur habituelle » qu’il s’agit de mettre entre parenthèses pour accéder à une parole mesurée. L’expression ménage la possibilité d’un autre type de signification, non usuel, qui ne soit pas occultation de la « mesure » des choses. Il n’en demeure pas moins que l’habitude disparaît ici dès lors qu’un regard authentique et une parole adéquate sont adoptés. La signification est donc rejetée une fois encore dans la mesure où elle cesse d’être processus vivant d’échange dynamique entre perceptions et représentations verbales pour se figer en « habitude », en « bon sens », en réflexe conditionné. La « valeur habituelle de signification » apparaît ainsi, en creux, comme ce qui recouvre le vu et le dit, étroitement liés. A cet égard, « Les façons du regard » décrit un mouvement symétrique à celui de « Parti pris des choses » : la chose authentiquement vue défait la signification figée et permet une parole libérée, tandis que, dans « Parti pris des choses », c’est l’expression stéréotypée (« un cœur de pierre ») qui empêche de « considérer » les choses, devenues « sages comme des images » 162 . Dans un cas comme dans l’autre est mise en cause la fixité d’une représentation, les stéréotypes verbaux et les clichés se renforçant - ou se défaisant - réciproquement. Connaître les choses, faire que l’écrit aille « de pair avec le progrès de la science », comme Ponge l’appelle de ses vœux dans « Parti pris des choses » (PE, II, 1032), implique que soient attaqués ces stéréotypes.

A partir de la formulation de la poétique du parti pris, l’opposition entre connaissance et significations coagulées en stéréotypes, liant de manière fixe le vu et le dit, est une constante de la démarche pongienne. Les textes qui composent La Rage de l’expression sont à cet égard exemplaires de la revendication de plus en plus explicite chez Ponge d’une connaissance par l’écriture, et de la réaffirmation simultanée que cette connaissance suppose la lutte contre les représentations stéréotypées. Le rapprochement de « La Mounine », écrit en 1941, et de « L’Œillet », rédigé pour l’essentiel cette même année, permet de saisir en quoi connaître la « réalité » impose de créer une brèche dans la cohésion des représentations visuelles et verbales. Les « images » apparaissent ainsi comme un obstacle majeur dans l’effort d’« explication » que constitue « La Mounine » :

‘A noter que j’éprouve les plus grosses difficultés du fait du nombre énorme d’images qui viennent se mettre à ma disposition (et masquer, mettre des masques, à la réalité) […]’ ‘Bien insister que tout le secret de la victoire est dans l’exactitude scrupuleuse de la description : « J’ai été impressionné par ceci et cela » : il ne faut pas en démordre, ne rien arranger, agir vraiment scientifiquement (RE, I, 425).’

Les « images » sont désignées ici explicitement comme écran faisant obstacle à une démarche qui se veut scientifique, elle-même guidée par le souci de « ne rien arranger ». La suite du texte insiste sur la fonction heuristique de l’écrit : « Oui, je me veux moins poète que “savant” » (ibid.). Les guillemets entourant le terme indiquent bien que sa légitimité, à propos d’un savoir qui n’est pas encore constitué, est problématique 163 . On est donc amené à entendre le terme dans sa proximité avec la forme verbale : Ponge revendique ici le statut de celui qui est en train de savoir, pris dans un processus d’apprentissage et non détenteur d’un savoir préconstruit. Toute la poétique de « La Mounine », poétique notulaire et inchoative, va du reste dans ce sens. Dans l’économie du passage, le savant est donc celui qui doit se défaire des images pour accéder à la réalité.

Le début de « L’Œillet » reprend la formule de « L’introduction au “Galet” » pour la rapprocher explicitement d’une démarche scientifique : il s’agit de « faire gagner à l’esprit humain [les] qualités [de la chose dégagées par le texte], dont il est capable et que seule sa routine l’empêche de s’approprier », grâce à « l’esprit scientifique » et « surtout beaucoup d’art » (RE, I, 356). Dans cette perspective, le face à face avec la chose est « à la fois garantie de la nécessité d’expression et garantie d’opposition à la langue, aux expressions communes », ce que condense la formule « évidence muette opposable » (ibid., 357). Connaître dans la parole est donc par définition aller à l’encontre des « expressions communes » à quoi pousse la logique même de la langue, et sortir de la routine : la reprise de « langue » par « expressions communes », placé en relation de quasi-synonymie, indique bien cette tendance de la langue, du fait d’usages routiniers, à fabriquer des stéréotypes. Le parallèle avec « La Mounine » éclaire bien par ailleurs le continuum entre stéréotypes verbaux et images visuelles préconstruites : c’est précisément leur association - ou plutôt leur confirmation réciproque - qui fait obstacle à une saisie directe de la chose 164 .

« Le manège » : le terme employé dans « L’introduction au “Galet” » condense ce contre quoi s’inscrit la démarche de Ponge. La clôture, la circularité auxquelles renvoie le mot désignent bien un certain usage de la langue - routinier, courant - solidaire de représentations visuelles et liées à elles par des « symboles » figés, des « significations » établies une fois pour toutes et rendant imperceptibles des réalités singulières, puisque les automatismes langagiers redoublent et renforcent les habitudes de perception. En filigrane, c’est aussi un ordre politique et moral qu’impose un tel fonctionnement : restreignant la gamme des sentiments humains, des possibilités de l’esprit, il impose du même coup des normes d’action en nombre limité. Le « manège », comme ensemble de façons de parler, de sentir et de penser, recoupe donc toute la gamme des stéréotypes, de l’expression figée à la doxa structurée en système. Si, dans un premier temps, Ponge vise essentiellement à dénoncer la « routine », par la satire notamment, il apparaît dès la fin des années 1920 que la dynamique du stéréotype a également pour conséquence d’occulter la réalité, de bloquer l’accès à des « vérités » : le désir de connaissance, la revendication de scientificité - entendue comme tension vers un savoir - s’affirment donc comme un élément essentiel de sa poétique, que rend possible, mais qui toujours nécessite, la remise en cause des représentations stéréotypées. L’inédit - « ce qui ne rentre pas dans les symboles » (NAP, II, 968) - est donc l’objet premier de l’écriture, et ce qui définit la connaissance qu’elle peut produire.

Traitant des liens - nécessairement conflictuels selon Ponge 165 - entre le travail d’écriture et le manège des stéréotypes, nous avons ainsi rencontré alternativement les termes de « vérité » et de « réalité », qui semblent toucher à des enjeux proches mais qu’il convient à présent de confronter plus précisément.

Notes
158.

« C’est trop de la neige / à cause que chère / aux cartes postales » (L, I, 449). Dans l’édition préoriginale de 1923, dans Le Mouton blanc, ce texte précédait « Le Jour et la nuit » (ibid.), alors titré « Autre chromo ». C’est donc bien une tendance globale au figement des usages en images qui est ici visée.

159.

R. Barthes, « Le mythe, aujourd’hui », in Mythologies (1957), Paris, Seuil, « Points », 1970,p. 199-200.

160.

Notons d’ailleurs que, dans une note de 1952, Ponge fait entrer une certaine forme, un certain usage de la mythologie dans la série des représentations qu’il est nécessaire de déstabiliser : « Ce qui est nouveau/moderne, c’est de reconnaître le côté dangereux des vérités (ou symboles) établis, définitifs, formels, trop formels (mythologie établie, dogmes, classicisme, accord des consciences). Donc nous ne nous arrêterons pas là. » (PE, II, 1009).

161.

La préparation de la « page où puisse aujourd’hui naître / Une vérité qui soit verte » (FP, II, 507) nécessite que soient « [quittés] tout portique et toute colonnade » (ibid., 511) : dans ces notes de 1964, la vérité sensible qu’il s’agit de rencontrer en s’allongeant sur le pré nécessite une nouvelle fois de s’éloigner des savoirs philosophiques constitués - la pensée stoïcienne en l’espèce -, de la verticalité des colonnes.

162.

« Parti pris des choses » reprend d’ailleurs l’exemple même de déconstruction du stéréotype à l’œuvre dans « Le Galet » : c’est dans ce texte que l’observation attentive permet de renverser « l’opinion commune qui fait [de la pierre] aux yeux des hommes un symbole de la durée et de l’impassibilité ». L’observation du galet lui-même est par ailleurs favorisée parce qu’il est saisi au moment où il est pour « encore quelques jours sans signification dans aucun ordre pratique du monde » (PPC, I, p. 53 et 54).

163.

Ponge ajoute en effet qu’il s’agit de fonder une « science des impressions esthétiques » (ibid.).

164.

Bien que « La Mounine » convoque un univers très visuel, pictural même, les « images » qui font écran sont à entendre aussi dans leur sens rhétorique. Nioque de l’avant-printemps, écrit en 1950, est à cet égard plus explicite encore : « A qui ne se satisfait pas des images, des métaphores, des symboles, il est naturel que ne viennent que des idées incomplètes » (NAP, II, 970).

165.

Voir à ce sujet, supra. Chapitre I : « Paroles en situation », la critique adressée par Ponge à Aragon qui selon lui se contente de « quelques clichés qui n’imposent aucun effort à l’esprit ».