Pour un Malherbe se conclut sur les effets de lecture 426 que son auteur voudrait voir produire par son livre :
‘Pourquoi achète-t-on un livre ? […] Pourquoi (comme on ouvre sa radio) l’ouvre-t-on ? Pourquoi commence-t-on à écouter ou à lire ? Sinon pour se procurer une sorte d’enlèvement de l’âme hors du monde familier, usuel, automatique, changer de vitesse, vivre selon une autre cadence, et rejoindre un autre temps, un autre environnement, entourage, une autre société, un autre niveau, une autre lumière. […]’ ‘Le grand art est de prendre le lecteur de plain-pied (sans qu’il s’en aperçoive ou s’effraye), et de l’enlever aussitôt.’ ‘L’attaque a donc une grande importance. Le saisissement doit être immédiat et l’enlèvement réel : il ne faut pas que le lecteur bute, bronche, s’effraye, hésite, ait l’impression non peut-être de ne pas comprendre, mais de n’être pas compris.’ ‘*’ ‘Pour un enlèvement, un concernement réels.’ ‘FIN’ ‘(PM, II, 288-289)’L’idée d’une lecture comme « enlèvement », pouvant même prendre les allures d’une évasion (« autre temps », « autre environnement »), lecture à la limite oublieuse d’elle-même (« prendre le lecteur […] sans qu’il s’en aperçoive ») est en première approche étonnante : elle semble davantage renvoyer au type de consommation dévoratrice que peuvent encourager certaines œuvres misant sur une intrigue « captivante », un exotisme dépaysant, qu’à la lecture réflexive suscitée par les « écrits très écrits » de Ponge. Mais ce serait aller trop vite (et, précisément, méconnaître foncièrement l’œuvre de Ponge) que de faire d’« enlèvement » un strict synonyme d’évasion. Quitter le « monde familier, usuel, automatique », être introduit à « un autre temps, un autre environnement, une autre société », c’est précisément selon Ponge s’initier à une autre réalité que celle que nos automatismes (inculqués par un environnement, une société) nous amènent à reconnaître. Si la lecture fait changer de lieu, elle ne s’apparente pas au voyage touristique, mais plutôt à une expérience de défamiliarisation. L’« enlèvement » ne peut donc se comprendre qu’en relation avec les mots qui lui sont finalement adjoints : « Pour un enlèvement, un concernement réels ». En tant qu’il touche à une expérience effective (qui concerne le lecteur), l’enlèvement devient « réel », au sens où « un autre temps, autre environnement, […] une autre société » sont réellement éprouvés, et peuvent se traduire effectivement en une autre appréhension de la réalité, ainsi modifiée par la lecture. « Réels » qualifie ainsi les processus de lecture, mais aussi ce qui résulte de la lecture, productrice à son tour de réel, entendu cette fois comme substantif.
Cette lecture idéale, qui dessine les effets que devrait provoquer le livre sur quelqu’un qui le « lira vraiment » 427 , correspond bien au second mode de la connaissance dans l’écriture selon Ponge : s’attachant (s’attaquant) essentiellement à ce qui se refuse à la nomination, à ce qui dans la réalité résiste à la verbalisation, cette connaissance se reconnaît comme un effort d’objectivation plus que comme un savoir objectif. Ce processus d’objectivation suppose que ce qui ne parvient pas complètement à se formuler soit éprouvé, confirmé par une expérience reconnue comme réelle par des lecteurs. En ce qui concerne le modèle de la formule précédemment évoqué, le proverbe tire son autorité de lui-même, et son incidence « réelle », sur la réalité, dépend de l’aptitude du lecteur à le répéter adéquatement : cette repragmatisation suppose que le lecteur ait perçu qu’il recevait dans l’écrit une véritable leçon. A cet égard, la position d’intériorité/extériorité qu’adopte Ponge à l’égard de la poésie, et qui vise notamment à réhabiliter l’écrit didactique, permet de provoquer cette attention à un savoir qu’il s’agit de recevoir. La relativisation de la formule en formulation, qui nous retient à présent 428 , implique que « l’évidence muette opposable » soit aussi éprouvée (affectivement, presque d’un point de vue sensoriel) par les lecteurs, puisqu’elle ne saurait se ramasser en une formule qui restituerait à elle seule la connaissance intime de la chose. L’acte nécessaire à la construction de cette connaissance suppose donc un investissement du lecteur qui excède la prise de connaissance d’une leçon. On peut comprendre ainsi l’ambiguïté que ménage la fin du Pour un Malherbe, où « l’enlèvement » peut s’interpréter dans un premier temps comme une évasion : cet enlèvement, pour être réel, suppose une part d’abandon, d’inconscience, dans la lecture.
Le modèle de lecture que figure en 1957 la fin du Malherbe, nécessitant notamment la mise en jeu d’une certaine irrationalité de la part du lecteur, semble à même de rendre compte de l’effort pour « libérer » les « impressions sensorielles », dont « nous sommes […] gorgés dès l’enfance », qui forment en « chaque personne » une « idée profonde, à la fois naïve et complexe », effort déjà formulé en 1946 dans « Braque le réconcilateur » (PAE, I, 131) : cette libération des impressions sensibles, infantiles, nécessaire pour la connaissance d’un singulier irréductible à toute nomination, est déjà à l’œuvre dans l’entreprise d’explication de « La Mounine » (1941), d’une certaine manière aussi dans l’appréhension du « Cageot », « à mi-chemin de la cage au cachot ». Pour qu’il y ait élaboration collective de la notion, objectivée par une multiplicité d’expériences subjectives concordantes, pour que le « concernement » soit réel (c’est-à-dire qu’il persuade le lecteur de la réalité de ce qu’il lit), il faut donc que soient levées « sans vergogne » (ibid.) un certain nombre de censures. Cette « mise en veille de la secondarité », qui caractérise l’instance du lu telle que la définit Michel Picard 429 , et que nous avons déjà rencontrée à propos de la manière dont Nathalie Sarraute amène son lecteur à reconnaître l’existence du tropisme, est donc également en jeu dans la lecture que cherche à susciter Ponge.
Ce qui, dans Le Parti pris des choses déjà, contribue à défamiliariser le répertoire, et à marquer la césure entre monde du texte et monde perçu comme réel, participe également de la levée des censures imposées par la rationalité. L’incipit du « Cageot », que nous venons de citer, s’appuie ainsi sur une confusion entre représentation de chose et représentation de mots. La définition de l’objet-cageot qui suit immédiatement cette entrée en matière garde la trace de ce premier moment de confusion. « Simple caissette à claire-voie vouée au transport de ces fruits qui de la moindre suffocation font à coup sûr une maladie » (PPC, I, 18) rappelle la proximité de cageot avec cage et cachot, puisqu’il s’agit bien de contenir les fruits, mais signale aussi la différence (la proximité n’étant pas identité) - le cageot se doit de ne pas enfermer les fruits, contrairement à ce que font ses quasi-homophones. La confusion initiale, proprement puérile en ce qu’elle reproduit une appréhension infantile des mots, est donc incorporée à la notion du cageot telle que le texte la propose finalement. La surdétermination de l’objet par le signifiant qui le désigne est récurrente dans Le Parti pris des choses 430 , comme si, le temps du poème, le « défaut des langues » était oublié et le langage refondé en nécessité. Ainsi, dans « L’Orange » :
‘Il faut mettre l’accent sur la coloration glorieuse du liquide qui en résulte, et qui, mieux que le jus de citron, oblige le larynx à s’ouvrir largement pour la prononciation du mot comme pour l’ingestion du liquide, sans aucune moue appréhensive de l’avant-bouche dont il ne fait pas se hérisser les papilles (ibid., 30).’La consommation de l’objet, ou plutôt de son « expression » sous forme de jus, et l’articulation du mot qui le désigne, sont réunies dans un même geste : la forme de la bouche prononçant le mot - qui, pour le [o], est à l’image du signe typographique correspondant - et l’objet désigné semblent coïncider magiquement. Le texte nous convie à renouer avec un rapport indiciel au langage, antérieur à un clivage marqué entre le je et le monde 431 et à une élaboration des significations symboliques. Réhabiliter dans le texte cette relation indicielle au langage dans l’appréhension des choses, en montrant qu’elle permet effectivement de percevoir des qualités de la chose considérée, est donc aussi un moyen de lutter contre ce que nous avons appelé le « danger des symboles », tout en encourageant le lecteur à tenir compte de cette approche habituellement inhibée (car irrationnelle) des choses et des mots. Le traitement « au pied de la lettre » de syntagmes figés éveille également cette activité herméneutique archaïque chez le lecteur. « L’Huître » en offre quelques exemples frappants : « Tout un monde » 432 reprend son sens plein a posteriori, au contact des termes « firmament » et « cieux » 433 . De même, « à boire et à manger » est ici fortement resémantisé, et il se produit une sorte de justification réciproque entre l’expression et l’objet-huître.
Tous ces éléments, qui s’appuient sur un rapport indiciel au langage, et participent d’une « libération » des idées dont nous sommes « gorgés dès l’enfance », participent également d’une défamiliarisation, qui mettait en cause les automatismes de référenciation « réaliste », et contribuent donc aussi à la « leçon de lecture » (critique et réflexive 434 ), que Ponge cherche à dispenser : des postures de lecture variées sont donc simultanément sollicitées dans le texte. L’exploitation de ces impressions sensibles, irrationnelles, dans la construction des « choses » textuelles, annonce déjà l’idéal de « co-naissance » formulé dans le « Carnet du bois de pins », puisqu’elle joue sur un estompement des frontières entre le je et les signes, les signes et leur référent, en un moment d’indistinction. L’anthropomorphisme, présent dans de nombreux textes du Parti pris des choses, encore à l’œuvre dans le moment d’exploration du « plaisir du bois de pins » (où la forêt est assimilée à une « brosserie », plus loin à une « société »), est à rattacher également à cet effort de confusion sympathique avec la chose.
Ces jeux sur la motivation des signes, sur la matérialité de la langue, semblent particulièrement convenir au poème, dont la brièveté rend perceptible cette surdétermination des signes. Mettant en jeu ce que Jakobson définit comme la « fonction poétique » du langage, ils apparaissent même comme des marqueurs de poéticité 435 . La sortie du poème passe d’ailleurs par la critique, ou du moins la relativisation, des résultats que permet cette démarche : dans le « Carnet du bois de pins » toujours, le « tableau » anthropomorphique contribue bien à « [rendre] compte » d’un plaisir, mais il est jugé insuffisant, et doit être complété par une « co-naissance plus sérieuse » (RE, I, 387). La reconnaissance de cette insuffisance ne signifie pas cependant un renoncement à toute implication du lu dans le texte. Comme on l’a vu plus haut 436 , la « science des impressions esthétiques » dont rêve Ponge dans « La Mounine » (ibid., 425), suppose pour être fondée qu’une communauté d’impressions s’éprouve dans le texte, pour pouvoir en tirer un savoir. De même, Nioque de l’avant-printemps dit bien que la connaissance dont il s’agit s’appréhende de tout le corps, « vieux tronc d’arbre noueux de grosses viandes », et pose « la sympathie et la communication » dans une relation étroite (NAP, II, respectivement 961 et 969). Le « théorème » de « La Mounine », coïncidant avec le lieu singulier de son émotion, la connaissance sans nom (d’où la nécessité du néologisme) de la Nioque, supposent, pour être élaborés et transmis, que soient effectivement libérées des impressions sensibles et une expérience pour partie inconsciente.
« La Mounine » est à cet égard exemplaire : le sanglot qui surgit à la vue des statues, dans l’autobus, au lieu dit La Mounine, sous l’« autorité terrible des ciels », se doit d’être expliqué, mais résiste à la formule, à la mise en poème, dont seul le début est écrit et finalement présenté 437 . Les « raisons » de l’émotion (ibid., 424) se doivent donc d’être transmises selon des modalités qui ne passent pas que par des explications formulables rationnellement : la forme du journal d’écriture que prend le texte résulte à la fois de cette tension vers la formule justifiée, et la reconnaissance que l’expérience 438 de La Mounine (le lieu) ne peut fonder une connaissance que si « La Mounine » (le texte) offre une expérience de lecture homologue, transmettant aussi ce qui ne peut s’élucider verbalement. Le choix du journal pour cause d’inaptitude du poème à dire le tout du réel éprouvé ne s’exprime pas ici de façon aussi spectaculaire que dans « Le Mimosa », où l’expérience du lecteur vient explicitement pallier la déficience de l’expression 439 , mais la similitude de la démarche est néanmoins perceptible.
‘Je n’arriverais pas à conquérir ce paysage, ce ciel de Provence ? Ce serait trop fort ! Que de mal il me donne ! […]’ ‘Pourtant, il s’agit de quelque chose de simple ! Au lieu dit « La Mounine », entre Marseille et Aix, un matin d’avril vers huit heures, à travers les vitres de l’autobus… eh bien qu’ai-je ? Je ne parviens pas à continuer… (ibid., 417).’Ce qui ne parvient pas à se formuler est reproduit, mis en acte dans le texte, comme surgissant dans le moment de la lecture, Ponge mettant en scène l’interruption de son propos par un retour du sanglot. La recherche, au cours de l’écriture, d’expériences antérieures auxquelles comparer l’émotion suscitée par le paysage de La Mounine, suggère bien que la lecture est un lieu privilégié où peut émerger une émotion proche de celle qu’il s’agit d’élucider :
‘Indispensable aussi de rapprocher cela de mon émotion à Biot et de celle à Craponne-sur-Arzon (sanglots). (Peut-être de celle au Vieux-Colombier (ou à la lecture) quand le staretz Zossima s’agenouille devant Dimitri Karamazov ; et encore dans Les Misérables quand Mgr Machin s’agenouille devant le vieux conventionnel (peut-être mais pas sûr). - Ces deux derniers sanglots-là, ce fut devant le coup de théâtre noble de la justice rendue, réparation donnée.) - Les autres, ce fut devant le tragique des paysages, la fatalité naturelle (météorologique) (à noter que toujours les ciels) (et aussi toujours la cinématique ; à Biot l’express : changement de décor tout à coup ; à Craponne ce fut en me retournant à moto) (ibid., 420).’Parmi les expériences de sanglots sont énumérées dans la même phrase, et quasiment sur le même plan, les rencontres avec des paysages et des émotions suscitées par la lecture. Certes, le texte de Ponge ne vise pas à faire pleurer son lecteur comme les romans de Hugo ou de Dostoïevski ont pu provoquer chez lui un sanglot ; il n’est cependant pas anodin que les souvenirs de lecture 440 occupent ici une place comparable aux autres souvenirs. La lecture est ainsi à ranger parmi les expériences réelles, qui s’éprouvent physiquement 441 . Le même passage souligne l’importance de la « cinématique », des transports, parmi les conditions matérielles susceptibles de provoquer un sanglot. Or cette capacité à provoquer un « [changement] de décor » est bien l’un des effets souhaités par le texte. L’« enlèvement » qu’évoque la fin du Malherbe se trouve déjà en germe dans « La Mounine », qui fait un lien implicite entre émotion, mouvement et lecture : le 19 juillet 1941, Ponge fait ainsi le point sur sa méthode, et ses intentions en termes de transmission de connaissance, sous le titre « Note (motion) d’ordre à propos du ciel de Provence » (ibid., 424, nous soulignons).
Pour que les notes de « La Mounine » transportent leur lecteur au lieu dit, il convient de l’amener d’abord à projeter dans le texte un matériau personnel, afin qu’il puisse s’approprier l’émotion singulière dont il question. Les points de jonction entre le paysage, et un certain nombre d’archétypes culturels, s’ils ne permettent pas d’appréhender la spécificité du sanglot, jouent à ce titre un rôle important. « L’autorité terrible des ciels », le paysage vibrant d’un gong vengeur comme après qu’un événement terrible eut lieu, alors que l’homme, qui « expose ces statues au soleil » comme une offrande, ressent chaque chose « comme au bord d’un précipice » (ibid., 422), mobilisent des scenarii intertextuels bien connus. Le « tragique » du paysage se manifeste à travers des objets culturellement surdéterminés, supports où tout lecteur peut à loisir projeter ces expériences singulières, puisqu’il y est question de culpabilité humaine, de punition d’un soleil qui « tient toute la nature sous le charme (la terreur) / de son autorité » (ibid., 416), et où il est aisé de reconnaître (ou de construire dans la lecture) une figure paternelle 442 . Le tragique de « La Mounine » est laïcisé, et d’emblée l’« autorité » est celle des « ciels », due à un assemblage de couleurs, à un support matériel, et non à une instance divine. La particularité de l’émotion suscitée, de la « congestion » ressentie, tient sans doute à ce sentiment de destin en l’absence de toute divinité. L’équation ciel = Dieu est d’ailleurs violemment démentie dans le cours du texte 443 . Mais la singularité de ce tragique sans dieu s’éprouve d’autant mieux dans la lecture que des scénarii archaïques, ensuite reconnus partiellement inadéquats, ont été mobilisés, y compris de façon inconsciente. La nécessité affirmée du combat des « lumières » contre l’obscurantisme, qui redouble la persistance de la nuit en plein jour dans le ciel de Provence, est d’autant plus convaincante que chacun est amené à reconnaître en lui la prégnance d’images et d’affects emprunts d’une religiosité certaine.
Le « concernement réel » par la mobilisation de l’instance du lu s’opère également dans « La Mounine » par le traitement de la temporalité (des temporalités serait plus juste). Ce texte est en cela exemplaire de la poétique des textes « ouverts » de Ponge, qui, par la datation, historicisent les formulations et les replacent dans un temps donné, dans leur déroulement chronologique, tout en jouant d’une illusion de coïncidence temporelle entre appréhension de l’objet, moment de l’écriture et temps de la lecture. On a vu déjà comment, au moment où la formulation du « ciel de Provence » lui échappe, Ponge mettait en scène l’interruption de l’écriture par le retour inopiné du sanglot, comme si le « motif », l’écrivain et son lecteur se trouvaient co-présents, dans le moment de l’énonciation et de la rencontre avec le paysage. Dès le début du texte est perceptible cette juxtaposition entre le temps rétrospectif de cette note écrite « après-coup », comme l’indique son titre, et l’immédiateté de remarques sans ancrage temporel fixe. Le premier paragraphe, au passé simple, relate ainsi le voyage en autobus, tandis que le deuxième opère un glissement temporel vers le présent :
‘Vers neuf heures du matin dans la campagne d’Aix, autorité terrible des ciels. Valeurs très foncées. Moins d’azur que de pétales de violettes bleues. Azur cendré. Impression tragique, quasi funèbre. Des urnes, des statues de bambins dans certains jardins ; des fontaines à masques et volutes à certains carrefours aggravent cette impression, la rendent plus pathétique encore. […] C’est magnifique (ibid., 412).’Si l’heure est mentionnée au début de ce passage, rappelant la circonstance passée, les phrases nominales qui suivent, puis les verbes au présent, instaurent une achronie où l’« après-coup » s’efface au profit d’un présent sans bords, englobant le paysage, l’écrivain et son lecteur 444 . Les phrases nominales semblent dans un premier temps faire surgir, dans l’immédiateté de la nomination, les éléments du paysage de Provence, soudain détachés des circonstances particulières de leur perception. Le présent s’impose par la suite comme le temps dominant du texte, même si des formes verbales au passé reviennent ponctuellement. Le reste du texte joue sur l’intrication de ces différents types de durée : au déroulement linéaire des tentatives successives de mise en mots de l’émotion se juxtapose une temporalité plus incertaine, faite de répétitions (la reprise incessante des expressions), et d’évolutions imperceptibles dans les différents états du texte. Le processus de la lecture s’apparente ainsi au déplacement du bus, où s’aperçoit malgré tout l’effroi que provoque l’immobilité du paysage. Comme effacement de l’écart temporel au profit d’une perception de fait, presque hallucinatoire, du « transport », le procédé relève certes d’une illusion ; mais comme moyen d’accomplir un acte de perception, il contribue bien à créer un « concernement réel », où s’éprouve réellement un équivalent du paysage de Provence 445 .
La mobilisation d’un matériau pulsionnel, d’affects archaïques irrationnels contribuent à produire un investissement réel, en acte 446 , du lecteur dans le processus de lecture, et à le transporter au lieu du texte (« La Mounine », en l’occurrence), de sorte que l’émotion d’un seul cesse d’être personnelle pour devenir une chose appréhendable par plusieurs, où le lecteur se trouve « compris » 447 : « il y eut sanglot » (ibid., 420) décrit bien ce désir de dépasser un sentiment subjectif pour faire de l’émotion un objet de connaissance partageable. Pour ce faire, il est nécessaire que la vibration ressentie au contact du paysage se communique dans la lecture - y compris par des voies inconscientes - mais aussi qu’elle fasse l’objet d’une reprise critique, qui puisse constituer cette émotion en chose, reconnue comme réelle. La formule du « théorème » que cherche à produire Ponge à propos de « La Mounine » lui résiste : ce qui peut justifier d’ériger le sanglot en connaissance est donc la transmission de l’émotion ressentie, et la reconnaissance par des lecteurs de la particularité de ce qui s’est produit, pour en construire une notion. La « raison », telle que l’entend Ponge, ne se réduit donc pas à l’acception classique d’une rationalité toute-puissante, et comprend aussi la « réson », comme il sera plus tard affirmé dans Pour un Malherbe. La vibration du ciel de Provence, qu’il s’agit aussi de communiquer, offre déjà un paradigme de cette « raison à plus haut prix ». Mais, réciproquement, l’« enlèvement » du lecteur ne peut être reconnu comme réel que dans la mesure où il est conjoint à une conscience critique, mettant en jeu cette fois une secondarité plus consciente qui permet que s’élabore une « com-préhension » (RE, I, 413) de la chose.
L’abandon de la forme poème au profit du journal contribue à solliciter simultanément la pluralité des instances lectoriales : elle permet à la fois d’inscrire le processus d’écriture dans un présent perpétuel actualisable à loisir dans la lecture, et de manifester la relativité des formulations en fonction d’un déroulement chronologique plus conforme à une représentation admise et rationalisée du temps. Le renoncement au poème bref permet que l’éternel présent du texte dure plus longtemps à la lecture 448 , et que le temps chronologique apparaisse comme un acteur central dans l’effort de formulation, donc que soit explicitement présente à la conscience du lecteur la portée critique à l’égard de l’« infaillibilité un peu courte » 449 du poème que constitue la publication d’un journal au lieu d’un poème. Cette double posture, d’abandon et de réflexivité critique, est nécessaire pour que s’élabore une com-préhension commune de la chose, communicable et partageable. Dans « La Mounine », la communauté de perception, et, partant, l’accord sur les formulations, se manifeste exemplairement vers la fin du texte par la récurrence des on, des nous, qui participent d’un effort pour « comprendre » le lecteur dans la tentative d’élucidation :
‘Un pas nouveau. […]’ ‘L’on peut dire que dans le Midi le soleil triomphe moins que dans le Nord : certes il triomphe davantage des nuages, brouillards, etc., mais il triomphe moins de son adversaire principal : la nuit interstellaire.’ ‘Pourquoi ? parce qu’il sèche la vapeur d’eau, laquelle constituait dans l’atmosphère le meilleur paravent de triomphe pour lui. Ecran dont le défaut va se faire sentir : il en résulte une plus grande transparence et faculté d’imprégnation par l’éther intersidéral.’ ‘C’est la nuit intersidérale que, les beaux jours, l’on voit par transparence, et qui rend si foncé l’azur des cieux méridionaux.’ ‘Expliquer cela par analogie avec le milieu marin (ou plutôt aquatique) (ibid., 428).’Le « pas nouveau » annoncé au début de ce fragment signale l’effort pour aboutir à une connaissance de portée générale, où les phénomènes ne sont plus rapportés à des figurations imagées - le statut de l’image est ramené à celui d’une « analogie » didactique -, mais font l’objet d’une tentative d’élucidation plus scientifique. Les impressions, sensations, sont présentées sur un mode impersonnel (« le défaut va se faire sentir », « il en résulte »), ou sur celui du on. Comme souvent chez Ponge, le pronom est précédé d’un article, ce qui contribue à faire entendre l’homme d’où vient le on, et donc à accentuer la portée universelle du propos alors tenu. Même si l’effort d’abstraction pour échafauder un « théorème » est ici plus sensible, ce mouvement s’appuie sur une communauté de perception et de parole s’étayant sur les tentatives de figuration antérieures : les deux occurrences de « l’on » sont à cet égard emblématiques. « L’on voit » s’appuie sur une expérience visuelle que chacun peut vérifier, notamment après que le texte l’a rendu sensible à cette présence de la nuit dans le jour, à cette qualité « bleu de cendre », « pétales de violettes bleues » du ciel de Provence. « L’on peut dire » est à entendre dans toutes les valeurs de « pouvoir ». L’expression peut ainsi se gloser par « on est autorisé à dire, (après ce qui vient d’être écrit), que… » : la connaissance de La Mounine n’ayant pu se construire selon les critères de l’objectivité classique (une parole en rendant compte totalement, indépendamment des sujets observants), il faut qu’il y ait un accord intersubjectif, comprenant le lecteur, pour que le savoir soit légitimé. Mais « l’on peut dire » renvoie aussi à « ce qu’il est possible de dire » après lecture, aux actes de parole nouveaux rendus possibles par la perception de la « réalité » renouvelée qu’a permis le parcours de « La Mounine ». « L’on peut dire » est ainsi l’expression de ce qui autorise le texte, et de ce qu’il autorise 450 . « L’on voit » et « l’on peut dire » marquent bien la nécessité d’une approbation externe, pour que le référent ultime du texte, la connaissance du « sanglot » de « La Mounine » (ou, ailleurs, du mimosa, de la nioque, de la Seine, etc.) accède à l’existence ; il s’agit dans le même temps de « requalifier » le lecteur, apte à percevoir une autre « réalité », à prolonger le travail de nomination par de nouveaux actes de parole. Que le lecteur empirique accepte ou non de s’inclure dans ce on que cherche à produire l’œuvre, c’est malgré tout sur ce terrain d’une perception et d’une prise de parole réelles qu’il est amené à se situer. La fin du texte qui nous sert de fil rouge pour cette démonstration explicite davantage encore cette inclusion nécessaire du lecteur pour que le texte se réalise :
‘Mais il importe à présent de laisser reposer notre esprit, qu’il oublie cela, s’occupe d’autres choses, et cependant se nourrisse longuement, à petites bouchées - dans l’épaisseur muqueuse, dans la pulpe - de cette vérité dont nous venons à peine d’entailler l’écorce.’ ‘Un jour, dans quelques mois ou quelques années, cette vérité aux profondeurs de notre esprit étant devenue habituelle, évidente - peut-être, à l’occasion de la relecture des pages malhabiles et efforcées qui précèdent ou bien à l’occasion d’une nouvelle contemplation d’un ciel de Provence - écrirai-je d’un trait simple et aisé ce Poème après coup sur un ciel de Provence que promettait le titre de ce cahier, mais que - passion trop vive, infirmité, scrupules, - nous n’avons pu encore nous offrir (ibid., 431-432).’L’alternance du nous et du je, qui ne semblent pas dans un rapport de synonymie, rend problématique l’interprétation du nous comme « collection des phases et positions successives du je », selon l’expression du « Soleil placé en abîme » (P, I, 776). Ici, l’écriture du poème à venir semble revenir au seul je, mais l’élaboration d’une « vérité » plus complète, nourrie au contact de la concrétude des choses et de la relecture, relève bien d’un nous, d’un collectif qui dépasse le simple je écrivain pour inclure l’ensemble de ses lecteurs. L’inachèvement du texte, et par conséquent l’incomplétude de la vérité qu’il souhaitait mettre au jour, est d’ailleurs successivement attribué à des insuffisances personnelles (« passion trop vive, infirmité, scrupules ») et à un défaut attribué à l’ensemble de la communauté des lecteurs, dès lors directement impliquée dans la réalisation du texte autant que dans sa réception, le nous étant en position de sujet et de destinataire du procès (« nous n’avons pu encore nous offrir »). La recherche d’un « concernement réel » du lecteur aboutit ainsi à le placer face au texte dans une position homologue à celle de l’écrivain face à la chose : les voilà tous deux impliqués dans un même effort de nomination.
Cet appel à une implication réelle du lecteur, à ce qu’il produise des actes psychiques, perceptifs ou verbaux, est rendu plus explicite dans les textes anti-poétiques, qui nécessitent que s’instaure un pacte de lecture singulier à chaque texte, puisque sont révoqués les contrats génériques préexistants. C’est d’ailleurs bien l’un des enjeux majeurs de la contestation générique, comme le souligne Vincent Kaufmann : « Ce qui doit manquer, c’est le genre en tant que pacte discursif préalable, assignant par avance leur place respective aux interlocuteurs (on imagine mal un pacte générique sans mémoire de ses enjeux) » 451 . L’absence de contrat générique stable rend nécessaire un fléchage de la lecture interne à chaque texte, ce que confirment d’ailleurs les marques d’adresse de plus en plus voyantes chez Ponge 452 , et place d’emblée les lecteurs dans une position plus active à l’égard des textes, puisque ne pouvant se reposer sur des habitudes de lecture instituées : refusant à son lecteur le confort d’une place « [assignée] par avance », Ponge l’amène à adopter une diversité de points de vue et d’attitudes de lecture, ce qui est un moyen de l’interpeller et de le mettre en mouvement 453 .
Mais, outre la déstabilisation générique et les procédures d’adresse, le lecteur est incité à reconnaître que ce qui se joue dans l’œuvre est réel, et qu’il est donc possible d’en faire un usage pratique, dans la mesure où il y est question d’agir sur le langage. Or, ce langage, s’il se manifeste dans un contexte littéraire écrit perceptible et revendiqué comme tel, est commun au « monde du texte » et au « monde réel ». Le recours au Littré, dont des articles sont recopiés dans les textes dossiers, témoigne de cette situation de plain-pied des textes dans la langue, permettant l’aller-retour de l’un à l’autre, une repragmatisation possible des formulations. Dès les textes du Parti pris des choses est perceptible l’insistance sur l’usage d’une langue commune au monde du texte et à la collectivité des lecteurs 454 . La récurrence de la formule « ce qu’on appelle »souligne par exemple la façon dont Ponge entend se situer par rapport à un usage courant de la langue, usage dont la formule de mise à distance souligne le plus souvent le caractère approximatif. Mais par là même, le travail sur la langue qui s’effectue dans les textes est perçu comme directement relié à une pratique courante, elle-même susceptible d’être réformée. Si l’expression permet de redéfinir plus proprement les termes qu’elle introduit, elle recrée aussi une coïncidence entre le monde du texte et le hors-texte, en rattachant in fine la prose serrée des pièces du Parti pris à du connu, ainsi re-connu (mais modifié) dans la lecture. C’est par exemple le cas dans « Faune et flore », où le mot « fleurs » éclaire la longue périphrase qui désigne son référent en amont, tandis que les connotations « romantiques » habituellement associées au terme sont juste après corrigées : Ponge écrit ainsi que les végétaux « n’ont à leur disposition pour attirer l’attention sur eux que leurs poses, […] et parfois un signal exceptionnel, un extraordinaire appel aux yeux et à l’odorat sous forme d’ampoules ou de bombes lumineuses et parfumées, qu’on appelle leurs fleurs, et qui sont sans doute des plaies » (PPC, I, 43) 455 .
Les actes de langage, les opérations effectuées sur la langue, ont d’autant plus de chance d’être considérés comme « sérieux » qu’ils n’interviennent pas en contexte fictionnel. Les procédés d’inclusion du lecteur utilisés par Sarraute dans ses fictions, les développements gnomiques des narrateurs, nécessitent, pour être reconnus comme « vrais » par le lecteur au-delà de leur contexte fictionnel, qu’il opère une sorte de « saut ontologique » de l’univers fictionnel vers le monde « réel », ainsi modifié. Les textes de Ponge n’exigent pas un tel saut. Si Douze petits écrits et Le Parti pris des choses, on l’a vu, s’attachent à rendre discrète la première personne, et à la laisser dans une indétermination certaine, aucune ambiguïté quant au caractère non fictionnel de ces textes n’est ménagée. Avec la pratique des carnets, journaux d’écriture, textes dossiers, etc., la présence du je se renforce et se précise : les circonstances de l’écriture (lieux, dates), quelques éléments biographiques, les affects provoqués par l’écriture (les tentatives, « échecs relatifs », provoquant rage, découragement, etc.) incitent à référer ce je à une personne réelle, et par là même à faire de l’énonciation du texte une énonciation elle aussi réelle, même si elle comprend une part de distance 456 . Pour reprendre la question dans les termes posés par Käte Hamburger, de nombreux indices textuels nous incitent à qualifier de « réel » le « Je-Origine », et de prendre ainsi au « sérieux » sa prise de parole. Une telle affirmation n’est pas sans appeler des nuances : si le « Francis Ponge » qui se manifeste dans les textes est avant tout un « sujet d’énonciation » 457 , il ne s’y réduit pas complètement, pour deux raisons en quelque sorte opposées. D’une part, le fait que le je pongien puisse se rapporter à la personne de l’auteur ne permet pas de l’identifier complètement au je lyrique tel que le définit Käte Hamburger : selon elle, l’énonciation lyrique produit certes des énoncés de réalité, mais en dehors de toute intention de communication 458 , ce qui ne permet pas de rendre compte d’un élément essentiel de la poétique pongienne, qui consiste précisément en un effort de construction et de transmission de connaissances. D’autre part, le présupposé qui permet à Käte Hamburger d’opposer ce qu’elle appelle l’énonciation lyrique à la fiction, notamment à la fiction narrative à la première personne, est qu’une parole énoncée en contexte non fictionnel serait nécessairement « réelle », par exclusion de tout élément fictionnel : une telle affirmation implique que le je lyrique comporte des éléments « subjectifs » qui dépassent le cadre d’une simple position d’énonciation 459 . Les dates, l’insertion du nom de Ponge dans le corps des textes, l’énonciation à la première personne, ne sont donc pas à eux seuls des critères qui permettent d’attester le caractère non fictionnel de l’énonciation. Il n’en demeure pas moins - et les ambiguïtés des thèses de Käte Hamburger le confirment paradoxalement - que le statut de « documents » des textes dossiers confère, au plan des effets de lecture, une forme de véridicité au dire et encourage la repragmatisation 460 .
Si Ponge évite scrupuleusement la confidence, l’ostentation d’une subjectivité, tendant même, comme dans « La Mounine », à dépersonnaliser l’émotion (« il y eut sanglot »), il n’en reste pas moins que la présence accrue de la première personne facilite la construction d’une personne de l’auteur, ce qui peut amener à conférer un contenu exclusivement psychologique et subjectif au parcours d’écriture 461 . A nouveau, la lecture du « Carnet du bois de pins » par Audisio apparaît symptomatique : les phrases « surgissez, bois de pins, surgissez dans la parole. […] Ce n’est pas pour rien que vous avez été remarqués par F. Ponge » (RE, I, 385) sont pour lui la manifestation d’un orgueil qu’il souligne ironiquement 462 . Cette psychologisation de la démarche enlève tout sérieux à la recherche de « perfection quasi-scientifique », qualifiée dès lors de « chimère » (ibid., 407). Insister, comme le fait Ponge, sur le caractère de « documents » authentiques de ce qu’il publie lui fait donc encourir le risque d’une lecture qui personnaliserait excessivement les énoncés, et s’apparenterait davantage à une lecture « quasi-pragmatique » qu’à la repragmatisation qu’il cherche à provoquer. A partir de la phrase précédemment citée du « Carnet du bois de pins », Derrida formule un énoncé (« Francis Ponge se sera remarqué »), dont il déplie toutes les ambiguïtés :
‘Francis Ponge se sera remarqué. Mais s’est-il remarqué lui-même ou en son nom ? A moins que son nom ne l’ait fait lui-même ? Ou encore, hypothèse plus bizarre mais plus probable, chiasme qui change les lieux en cours de route, son nom a-t-il remarqué Francis Ponge, son porteur ? L’énoncé (« Francis Ponge se sera remarqué ») dérive aussi, dans notre langue, vers l’impersonnalité d’un « on » (il aura été remarqué : on l’aura remarqué). Ce singulier futur antérieur est à la fois fictif, prophétique et eschatologique, il vous met au défi de savoir à quel présent d’origine ou de jugement dernier il s’ordonne. Enfin il y a ceci : commençant par un nom propre (« Francis Ponge… »), donnant à entendre une majuscule doublement initiale, je ne vous laisse plus savoir d’une certitude reposante si ce que je désigne, c’est le nom ou la chose 463 .’Finalement, « Francis Ponge » se manifeste, dans le propos de Derrida de même que dans l’œuvre que signe ce nom, comme une « chose » textuelle parmi d’autres, oscillant entre « le nom et la chose » : « Francis Ponge » peut s’envisager comme une chose préexistante dans le « monde réel » et faisant retour spéculairement sur elle-même 464 , ou comme une « réalité » que produit l’écriture (le nom « [le faisant] lui-même »). Mais écrire « en son nom » est aussi une manière d’authentifier le texte pour assurer un hypothétique passage dans le domaine public, à la rencontre d’un on qui fonde l’existence du texte et de son signataire, la signature appelant une contre signature.
C’est cette dernière possibilité, on le sait, que vise Ponge : la réappropriation collective et impersonnelle des énoncés constitue pour lui un acte de langage réussi, « Francis Ponge » résultant de lectures débouchant sur une prise de parole. La « Tentative orale », où Ponge parle en personne face à son public, est sur ce point éclairante : ce qui assure à l’écrivain une « existence distincte enfin probable » est la « réponse » obtenue du public (M, I, 654) : « Il y a des preuves de lecture, il y a un article dans un journal, et brusquement on se trouve changé. On se trouve changé comme quand on se voit dans une glace pour la première fois » (ibid., 656). Des « preuves de lecture », qui sont pour Ponge des actes de parole, modifient l’auteur, qui donc résulte de « l’acte de communication » (EPS, 192) co-effectué par le lecteur. Il est en outre remarquable que même en cet endroit Ponge évite la première personne, au profit du on : la création d’une existence d’écrivain ne coïncide pas avec la reconstitution d’un sujet unifié. La présence renforcée d’une première personne du nom de Francis Ponge, si elle fait encourir à l’œuvre le risque d’une lecture psychologisante, vise donc à authentifier les énoncés par le nom propre - par là-même à favoriser un « concernement réel » du lecteur - et à susciter en retour des actes de parole pour constituer la chose « Francis Ponge ».
Mettre en avant le caractère documentaire, aux dépens d’une poéticité non plus essentielle, mais problématique, « conditionnelle » pour reprendre le terme de Genette, c’est donc pour Ponge inciter son lecteur à une repragmatisation où ce qui se passe dans la lecture intéresse la « réalité », et ne peut être rejeté du côté d’une pure expérience esthétique et désintéressée : si Ponge revendique résolument l’inscription de son œuvre dans la littérature, il assume que sa littérarité soit conditionnée aux effets qu’elle sera capable ou non de produire.
L’ambition initiale de Ponge, de proposer des « écrits les plus écrits qui soient » répond à une double volonté heuristique et pragmatique : il est nécessaire de sortir du « manège » des paroles quotidiennes pour qu’une réalité nouvelle puisse être perçue, et transmise. Si les choses sont rendues inaccessibles à notre perception et à notre connaissance, c’est selon Ponge parce que nous ne les appréhendons habituellement que par le biais d’habitudes de langage routinières, tout en méconnaissant la médiation essentielle de la langue dans notre conception de la réalité. Il s’agit donc, afin qu’émerge une autre réalité et une prise de conscience accrue du caractère discursivement construit de toute réalité, d’extraire son lecteur des situations de parole courantes dans lesquelles il est habituellement plongé pour l’amener à reconnaître que les « choses » textuelles que présentent les oeuvres ne coïncident pas avec les choses qu’il a pour habitude de reconnaître comme réelles. A cet effet, il importe que la césure entre « monde extérieur » et « monde des textes » 465 soit perceptible à la lecture : c’est pourquoi il importe que le lecteur ait conscience de se trouver dans une situation de communication relativement indéterminée - possibilité qu’offre l’écrit littéraire, et que la poétique de Ponge accentue. C’est un préalable nécessaire à la transmission et/ou à la co-construction d’une connaissance dans la lecture. En effet, pour que l’inédit qu’il s’agit de formuler contre les stéréotypes de pensée et de parole soit entendu, une lecture de type réaliste, projetant sur le texte des idées informées par les représentations admises de la réalité, doit être d’emblée découragée.
La déstabilisation de la « précompréhension » générique (Dufays) joue à cet égard un rôle important, d’autant que la poétique pongienne contrevient aux attendus d’une lecture poétique, par son ambition descriptive et didactique, par son refus de l’expressivité subjective. Rendre indécis le cadre générique des textes, c’est donc renforcer l’indétermination des pôles de la communication, et par là même influer sur le mode de référenciation des textes, la « leçon » dont ils sont porteurs ayant plus de chance d’être entendue si elle n’est pas reçue en contexte strictement poétique. Le rapport conflictuel au genre poésie est de ce point de vue inhérent à la poétique de Ponge, dès la formulation de l’esthétique de parti pris. A côté de l’écriture de « poèmes » se déploie donc une activité critique, et l’invention (ou la réinvention) de formes (« proêmes », « conceptacle », « sapates ») qui signalent l’inaptitude des dénominations existantes à rendre compte du « propre » du projet pongien. Ce rapport conflictuel devient néanmoins explicite au début des années 1940, où la démarche de connaissance est décrite comme « effort contre la “poésie” » 466 . Mais ces déclarations anti-poétiques n’impliquent pas pour autant que soit congédiée une fois pour toutes la question du genre, qui au contraire apparaît comme un motif persistant : maintenir comme problématique le statut générique des œuvres, c’est à chaque fois décourager la projection impensée dans le texte de stéréotypes « poétiques » pour maintenir l’attention sur la singularité de la « chose » (le texte), mettre le lecteur en position d’indécision et d’inquiétude à l’égard de ses habitudes perceptives. C’est aussi l’amener à se prononcer sur la poéticité des textes : l’espace du texte pongien n’est donc pas connu par avance, il demande à être défini et nommé, quand bien même cette nomination ne peut être que provisoire, partielle, s’apparenter à un « échec relatif ». Dans certains textes, comme « L’Œillet », la catégorie « poésie » semble même faire retour comme un horizon désirable, mais à condition qu’elle soit redéfinie par le lectorat constitué autour de l’œuvre, qu’elle naisse à nouveau, conjointement à l’œuvre singulière qui l’inaugure, dans un mouvement de « co-naissance ».
La problématisation du genre est donc étroitement liée pour Ponge à la question de la connaissance, et aux effets pragmatiques qu’il souhaite voir jouer à ses œuvres. Le « monde des textes », s’il se doit bien d’être perçu comme distinct, a pour but d’agir en retour sur le « monde extérieur », par le biais d’une repragmatisation de la lecture, expérience qui, idéalement, permet au lecteur de redéfinir ce qu’il entend par « réalité », et d’agir sur elle, par une perception et une parole renouvelées 467 . Le savoir du texte, en tant qu’il peut se résumer en une formule, en un proverbe, n’est reçu que si le lecteur accepte de redéfinir le territoire de la poésie pour y inclure les textes didactiques, ou s’il renonce dans sa lecture à la catégorie de la poésie. Mais le plus souvent, la « réalité » qu’il s’agit d’inventer et de transmettre ne s’épuise pas dans les tentatives de mises en mots, de sorte qu’elle ne peut se fonder que par une expérience partagée dans la lecture, et qui suppose une activité de lecture homologue au processus d’écriture : reconnaissance de ce qui se dérobe à la verbalisation dans la chose, expérience de ce qui se joue d’incontrôlé et d’irrationnel dans notre appréhension de la réalité, et dans notre rapport à la langue, mais aussi effort constant de nomination et de refus du silence. C’est en cela que la prise à parti du lecteur, amené à se prononcer sur la catégorisation générique indécise du texte, le met dans une position active, l’amenant à co-construire la réalité et le savoir qu’il s’agit de constituer dans les textes. Leur désignation incertaine leur confère en effet une qualité commune avec les choses qu’ils essayent de s’incorporer : ils résistent à la nomination, ils présentent un « reste » que le nom ne parvient pas à prendre en charge. De cette implication active du lecteur dépend la réussite de l’ambition de connaissance : seule la reconnaissance par un lectorat que ce qui se joue dans le texte participe d’une expérience réelle permet de fonder l’objectivité des savoirs qui s’y élaborent.
C’est aussi le cas dans le dernier appendice (« Appendice V ») du Savon, comme s’il s’agissait pour Ponge à chaque livre de signifier que son écriture est résolument tournée vers des effets de lecture, seuls à même de la légitimer.
Pour reprendre les mots déjà cités des entretiens avec Philippe Sollers (EPS, 192).
Répétons-le, cette distinction (trop) tranchée répond à la nécessité de clarifier notre propos, mais ces deux modèles de connaissance (et de communication) sont étroitement tissés dans le corps des textes : il s’agit de tendances le plus souvent co-présentes, occupant alternativement le premier plan des textes, non d’alternatives s’excluant mutuellement.
M. Picard, La Lecture comme jeu, op. cit., p. 46.
Et au-delà, si l’on songe par exemple à la rêverie que la graphie de l’œillet suscite : « O fendu en Œ / […] / L aux apostrophes symétriques / O l’olive souple et pointue / dépliée en Œ, I, L, E, T / Languettes déchirées / Par la violence de leur propos / Satin humide satin cru » (« L’Œillet », RE, I, 363).
L’indice supposant une continuité entre la manière dont j’appréhende le réel environnant et les signes qui servent à le désigner, en deçà de la reconnaissance du lien arbitraire entre la chose et le signe, et du caractère symbolique de la désignation verbale.
« A l’intérieur l’on trouve tout un monde, à boire et à manger : sous un firmament (à proprement parler) de nacre, les cieux d’en dessus s’affaissent sur les cieux d’en dessous, pour ne plus former qu’une mare, un sachet visqueux et verdâtre, qui flue et reflue à l’odeur et à la vue, frangée d’une dentelle noirâtre sur les bords » (PPC, I, 21).
Ponge s’est livré lui-même au commentaire de ce passage : « Il s’agit vraiment du cosmos, et en même temps c’est l’expression courante » (EPS, 113). L’essentiel réside dans ce « et en même temps » : il s’agit bien de créer une mobilité des points de vue, des façons d’appréhender les signes et les choses, qui sont simultanément convoqués par les textes. Le lu, comme on aura l’occasion de le dire plus bas, n’est qu’une des instances lectoriales que mobilise le texte.
Relevant à ce titre davantage du lectant, selon les catégories de Picard.
Avant même la formalisation des fonctions du langage par Jakobson, le travail sur la matérialité des signifiants est déjà perçu comme le propre de l’écriture poétique, ainsi qu’en témoignent notamment les pages qu’y consacre Sartre dans Qu’est-ce que la littérature ?, paru en 1947.
Voir supra, II.1.2.2.1. « Abstraction et particularisation ».
Encore que sous une forme désignée comme provisoire et approximative : « le début serait à peu près comme ci-après » (RE, I, 431).
Le terme est ici à entendre dans son sens existentiel autant que scientifique, l’œuvre se donnant aussi comme une expérimentation : « il est très légitime au savant de décrire sa découverte par le menu, de raconter ses expériences, etc. » (ibid., 427).
Voici à nouveau le passage dont il est question : « Ce n’est pas encore à propos du mimosa que je ferai la conquête de mon mode d’expression. Je le sais trop déjà, je me suis trop essayé sur de trop nombreux feuillets blancs. […] Il ne me reste qu’un procédé. Il faut que je prenne le lecteur par la main » (RE, I, 372).
Qui plus est une lecture non distanciée, reposant visiblement sur l’identification aux personnages.
L’écriture est de façon récurrente pour Ponge une activité qui engage tout le corps, la parole écrite étant une « sécrétion du mollusque homme » (« Notes pour un coquillage », PPC, I, 40), une humeur provenant du « fond [du] corps » (EPS, 72). Mais la lecture apparaît aussi comme une activité qui met en jeu le corps. Une note de 1923 relève déjà que « le poème » se doit davantage de faire éprouver physiquement que de transmettre des représentations : « cette sorte de conduite que nous fait le poème, le voyage où il nous mène, n’est pas comme on pourrait le croire qu’il nous montre tels et tels tableaux, mais plutôt il nous fait courir ou marcher ou danser, ou haleter, ou respirer à larges souffles. Et à ces états physiques correspondent des sentiments accompagnés de plaisir ou de peine » (« De l’expression artistique », PAT, 47).
Michel Collot a proposé une lecture psychanalytique du mythe solaire chez Ponge, et voit notamment dans ce texte la trace du deuil du père (Francis Ponge, entre mots et choses, op. cit., p. 207-214). Ce qui nous retient ici n’est pas tant la représentation masquée d’un vécu biographique que la convocation d’images symboliques susceptibles de servir de support fantasmatique à tout lecteur.
Le « jour bleu de cendres » du paysage est la confirmation matérielle de cette absence de transcendance : « Certes, nous n’avions pas besoin de cela (de voir si évidemment le ciel fermé) pour juger que Dieu est une invention ignoble, une insinuation détestable, une proposition malhonnête, une tentative hélas trop réussie d’effondrement des consciences humaines » (ibid., 416).
On retrouve là une manière de « [conjuguer] le présent au passé » susceptible de mobiliser l’instance du lu (M. Picard, Lire le temps, op. cit., p. 126).
Cette intrication de plusieurs temporalités est frappante dans « La Mounine », mais, nous l’avons dit, elle est caractéristique de la forme du journal, où la monstration après-coup des étapes de l’écriture est brouillée, au plan de la lecture, par la multiplication des adresses directes, par la prise à parti de l’allocutaire. Ce trait deviendra plus prégnant encore avec l’accentuation du caractère discursif de la poétique pongienne (La Seine, « Le Verre d’eau »), les retranscriptions écrites de conférences (« Tentative orale », « La Pratique de la littérature »). Les poèmes « clos » jouent cependant aussi sur cette indécision temporelle, et l’on a vu par exemple l’oscillation, dans Le Parti pris des choses, entre présent gnomique et présent d’énonciation.
Au sens cette fois d’acte psychique.
Selon le mot de la fin du Malherbe cité au début de cette section (PM, II, 289).
La formule est certes paradoxale, mais renvoie justement aux différentes temporalités en jeu : le temps de lecture (mesurable) que demande un journal, un carnet ou un texte-dossier, est plus important que celui d’un petit poème clos, de sorte que l’achronie ressentie subjectivement s’éprouve sur une durée effectivement plus longue. Il est à cet égard significatif que les modèles de « sanglots » provoqués par des lectures convoqués soient romanesques (Les Misérables et Les Frères Karamazov), comme si un déploiement de l’écriture et de la lecture dans le temps était nécessaire pour que se mette en place le mode de construction des connaissances ici en question. La mise en cause des frontières génériques est donc partie prenante du projet heuristique et pragmatique, et n’exclut pas une prise en compte d’éléments relevant de l’esthétique romanesque. Bernard Veck propose, plus généralement, de voir dans l’œuvre de Ponge un « roman déplacé » où les mots et les choses jouent le rôle des personnages dans le roman, ce qui suppose que « toute distinction de genre » soit considérée comme « abolie » (Francis Ponge ou le refus de l’absolu littéraire, op. cit., p. 29 et 22).
Selon la formule de Paulhan (Corr. I, l. 209, p. 208), citée par Ponge dans le texte liminaire des Proêmes (I, 164).
Les mêmes remarques s’appliquent à « l’on voit » : la perception, si elle est partagée, fonde en raison les conclusions tirées de l’expérience. Réciproquement, l’expression désigne ce que le texte permet de voir, la perception d’une « réalité » inaperçue avant le texte, et qu’il fait naître grâce à une repragmatisation.
V. Kaufmann, Le Livre et ses adresses, op. cit., p. 148.
S’il y a effectivement un infléchissement notoire de la poétique de Ponge sur ce point, il ne faudrait cependant pas en accentuer exagérément la portée. Le souci du lecteur, la figuration d’une lecture nécessaire, l’effort pour inclure le lecteur dans le processus de formulation (même de façon plaisante), sont déjà perceptibles (quoique discrets) dans Le Parti pris des choses. En voici quelques traces : « Rendons d’abord l’atmosphère à la fois brumeuse et sèche » (« La Cigarette », PPC, I, 19), « On pourrait presque dire que l’eau est folle » (« De l’eau », ibid., 31), « une source de joies aussi faciles que sobres et sûres, que je serais content de faire partager » (« Les trois Boutiques », ibid., 41) « Qu’on ne me reproche pas en cette matière de remonter plus loin même que le déluge » (« Le Galet », ibid., 50).
On retrouve dans cette interpellation la marque d’une autorité, à laquelle Ponge ne renonce jamais vraiment, ce que suggère Sophie Coste en donnant à entendre toutes les résonances du terme « mobiliser » : « Le tremblement de certitude est contagieux : il nous saisit à la lecture de Ponge, comme rendus témoins de la possibilité d’un parcours, offert dans la totalité de son étendue et au long duquel l’auteur ne cesse de ménager la place de son lecteur, de le mobiliser » (« Le tremblement de certitude », Europe, n° 755, mars 1992, p. 83).
Tout en revendiquant son ancrage dans la littérature, Ponge joue de la spécificité de l’art littéraire, qui, comme le note Genette, n’a pas de « matériau spécifique », dont le « medium est le plus trivial qui soit » (Préface à K. Hamburger, Logique des genres littéraires, Paris, Seuil, « Poétique », 1986, p. 7).
Pour mémoire, voici quelques autres exemples tirés du recueil : « Voilà ce qui s’appelle un beau nettoyage, et qui ne respecte pas les conventions ! » (« La Fin de l’automne », ibid., 16) ; « ce lâche et froid sous-sol que l’on appelle la mie » (« Le Pain », ibid., 22) ; « parfois à la rencontre d’un muscle énergique une lame ressort peu à peu : c’est ce qu’on appelle une plage » (« Bords de mer », ibid., 29).
Cette distance est notamment sensible dans les adresses directes au lecteur, dont l’humour souligne la part de jeu, ce qui permet au lecteur empirique d’accepter ou de refuser le rôle de partenaire qui lui est proposé, en s’identifiant ou non au destinataire invoqué, qui pour le coup prend l’allure d’une instance fictive.
Conforme en cela à la définition du je lyrique selon Käte Hamburger : « Le JE lyrique, si controversé, est un sujet d’énonciation » (Logique des genres littéraires, (Die Logik der Dichtung, 1957), Paris, Seuil, « Poétique », 1986, p. 208).
Ibid., p. 210-216.
Ce que Dominique Combe relève avec acuité : « Le sujet du poème lyrique n’est pas exclusivement “réel”, en référence à une personne existante. K. Hamburger semble tomber précisément dans l’“illusion référentielle” qui consiste à identifier l’énonciateur à l’auteur, malgré toutes les précautions dont elle s’entoure » (Poésie et récit, op. cit., p. 162).
Brigitte Bercoff insiste sur le rôle de véridiction joué par la datation des textes, qui exhibent leur authenticité, sans pour autant permettre d’écarter intrinsèquement tout caractère fictif : « [L’intégration de l’incertitude] ancre le work in progress dans la réalité de sa création, mais elle apparaît aussi comme un artifice désignant les textes comme œuvre en train de s’écrire. Le fait que tous les manuscrits ne figurent pas dans l’ensemble publié transforme la date en outil poétique et rhétorique » (Le Statut du sujet dans l’œuvre de Francis Ponge : entre parti pris et détachement, thèse de doctorat, Université Paris III, 2001, p. 354-355).
Que Ponge cherche à s’imposer comme auteur dans son œuvre ne fait pas de doute, comme on l’a vu. Pourtant, cela ne passe pas chez lui par l’imposition d’une parole subjective, mais par l’autorité impersonnelle du proverbe : l’ombre portée de la personne de l’auteur sur la lecture est donc un obstacle à la communication qu’il veut instaurer.
« Ô orgueilleux Francis qui as ce cri sublime sur ce que les pins te doivent pour avoir été remarqués par toi » (ibid., 408).
J. Derrida, Signéponge, op. cit., p. 14.
Et, de fait, la publication de ce qui continue pour certains à n’être que des « brouillons » ne manquera pas d’être interprétée comme un geste narcissique.
Selon la distinction opérée par Ponge dans « La Pratique de la littérature » (M, I, 678).
« Le Carnet du bois de pins », RE, I, 410.
C’est en cela que la lecture peut être dite productrice de réalité.