III.1.1.2. « L’Homme et les choses »

Etrangement, dans cette perspective, la nouvelle d’une étude de Sartre ne semble pas accueillie très favorablement par Ponge. Dans le même « Momon » où il rêve d’un « numéro spécial » à sa « gloire posthume », il écrit à Paulhan :

‘Quand écris-tu un article sur moi ?’ ‘Ça menace de devenir nécessaire ! Pour l’instant, Sartre en écrit un, paraît-il (Camus m’en informe). Voilà ce qui rend mon désir (insensé) plus urgent 525 .’

Dès la nouvelle d’une contribution de Sartre, la nécessité d’un contre-feu, que constituerait un article de Paulhan, se fait jour. Sur demande de Camus, Ponge envoie des inédits à Sartre 526 « propres autant à [l’]aider qu’à le dérouter » 527 . Cette défiance à l’égard de Sartre, au moment même où Ponge exprime le souhait de voir se multiplier les études à son sujet, trouve sans doute son explication dans le caractère radicalement extérieur du discours qui s’annonce : il émane d’un philosophe, alors que Ponge proclame depuis longtemps déjà sa méfiance à l’égard des idées, et souhaite affirmer l’indépendance de la littérature à l’égard des préceptes philosophiques. Il s’en était fait une règle en 1926, à l’occasion d’un comité de rédaction de la NRF auquel il assistait 528 , règle qu’il se promet de rappeler à Camus lors de leurs échanges à propos du Parti pris des choses :

‘Vous me demandez, dirai-je à C., de devenir philosophe.’ ‘Mais non, je n’en tiens pas pour la confusion des genres. Je suis artiste en prose (?)’ ‘Vous dirais-je - lui murmurerai-je insidieusement - que la philosophie me paraît ressortir à la littérature comme l’un de ses genres… Et que j’en préfère d’autres. Moins volumineux. Moins tomineux. Moins volumenplusieurstomineux… (PR, I, 215).’

La philosophie, en se plaçant exclusivement au niveau des idées, encourt le risque de l’emphase et de la suffisance, en méconnaissant le fait qu’elle use des « moyens d’expression », ce que la littérature, quant à elle, ne saurait méconnaître selon Ponge. En conséquence, elle fait encourir le risque aux textes littéraires dont elle s’empare d’en annuler le caractère propre, précisément en les réduisant à des idées. D’où la nécessité stratégique de renverser la hiérarchie entre philosophie et littérature, pour réduire la première à une sous-catégorie de la seconde. Pour ce faire, Ponge n’hésite pas à recourir à la catégorisation générique, qui est un moyen de fixer le discours antagoniste en un lieu donné, d’où il est possible de le circonscrire. Amené de ce fait à se situer lui-même, il esquive la difficulté par une dénomination originale et indécise, « artiste en prose (?) ».

La méfiance à l’égard de Sartre est donc méfiance à l’égard d’un point de vue qui risque de se vouloir surplombant et réducteur, occultant la dimension proprement littéraire de l’œuvre - entendue comme travail sur la langue, sur les « moyens d’expression ». Cette extériorité à la démarche pongienne est encore renforcée du fait qu’il n’existe aucun lien personnel entre les deux hommes : lorsque Ponge se figure sa réception posthume, il imagine des discours amicaux, émanant d’hommes qui lui sont tous plus ou moins proches humainement. Mises à part les brèves recensions du Parti pris des choses et de « La Pomme de terre », l’étude de Sartre marque vraiment l’entrée de l’œuvre de Ponge dans le domaine public : l’auteur de L’Etre et le néant incarne à la fois la figure du lecteur anonyme, car n’appartenant pas au cercle des proches de l’auteur, et intimidant, par son maniement de concepts philosophiques extérieurs aux coordonnées de l’œuvre, et que Ponge lui-même maîtrise mal.

De fait, « L’Homme et les choses », qui paraît dans deux livraisons successives de Poésie 44 529 , se présente bien comme une somme, qui égale en volume l’ensemble de l’œuvre alors publié de Ponge. Cette étude imposante l’est d’autant plus qu’elle prend en compte un corpus large : Le Parti pris des choses, mais aussi des pièces parues en revues, comme « Le Mimosa » (Fontaine, n° 21, mai 1942) ou « La Lessiveuse » (Messages, n°1, janvier 1944), et enfin les inédits envoyés par Ponge lui-même 530 . Le Ponge dont traite Sartre, et qu’il fait découvrir à la plupart de ses lecteurs, ne se limite donc pas à l’auteur des poèmes en prose du Parti pris des choses, même si cette œuvre apparaît comme emblématique de l’ensemble de la démarche pongienne. Sartre paraît du reste assez peu « dérouté » par l’extension du corpus que représentent les « moments critiques » que lui a fait parvenir Ponge. L’ampleur de son étude, le sérieux et l’acuité avec lesquels il retrace le parcours intellectuel et esthétique de Ponge sont du reste impressionnants, et permettent à eux seuls de démentir les reproches de négligence ou de désinvolture à l’égard de la poésie qui lui ont souvent été faits : du dégoût des « paroles », comme dégoût d’un ordre social, au choix d’une poésie de parti pris, en passant par la tentation de « [ridiculiser] les paroles par la catastrophe, - l’abus simple des paroles » (« Justification nihiliste de l’art », PR, I, 175), identifiée à juste titre à une « solution […] surréaliste » 531 , Sartre parvient à tirer parti des inédits que lui confie Ponge, pour retracer de l’intérieur son entreprise. Ces textes sont notamment convoqués dans la première partie de l’étude, où Sartre s’emploie à préciser les intentions et les « théories » 532 de Ponge, avant de les confronter à leur réalisation dans les « œuvres » proprement dites.

Sartre pointe dès le début de son étude le vacillement référentiel que produisent les écrits de Ponge, suscitant à la lecture « une oscillation inquiète entre l’objet et le mot, comme si l’on ne savait plus très bien, pour finir, si c’est le mot qui est l’objet ou l’objet qui est le mot ». Il écarte donc d’emblée une lecture directement référentielle des textes, qui situerait les objets pongiens dans un rapport de simple continuité avec leurs référents « réels » ; c’est d’ailleurs à un effort de nomination qu’est immédiatement rattachée l’entreprise pongienne : « le souci originel de Ponge est celui de la nomination » 533 . Dès la première page, Sartre manifeste ainsi sa réceptivité à une dynamique et à des traits fondamentaux de la poétique de Ponge. Ce « souci » de nomination est relié au fait que Ponge s’adresse à la communauté humaine : « Ponge est humaniste. Puisque parler, c’est être homme, il parle pour servir l’humain en parlant » 534 . Corrélativement, la « poésie » telle que l’entend Ponge n’est pas dégagement à l’égard des contingences humaines, mais correspond à une forme d’engagement :

‘Poète, il envisage la poésie comme une entreprise générale de décrassage du langage, tout comme le révolutionnaire, d’une certaine façon, peut envisager de décrasser la société. D’ailleurs, pour Ponge, c’est tout un : « Je ne rebondirai jamais que dans la pose du révolutionnaire ou du poète » 535 .’

A la lecture de Qu’est-ce que la littérature ?, on mesure à quel point le projet pongien rencontre de près les préoccupations de Sartre, et s’inscrit pleinement dans la conception de la littérature qu’il est en train d’élaborer au moment où il écrit sur Ponge. La nomination y joue un rôle central dans la mesure où c’est grâce à elle que l’écriture peut se faire action : « Parler, c’est agir : tout chose qu’on nomme n’est déjà plus tout à fait la même, elle a perdu son innocence. Si vous nommez la conduite d’un individu vous la lui révélez : il se voit » 536 . A priori donc, le projet pongien est conforme à la fonction que Sartre souhaite voir occuper à l’écrivain : par un effort de nomination, il s’agit de s’adresser aux hommes pour les amener à agir sur le monde. Pour Sartre comme pour Ponge, la prise de parole est, ce faisant, elle-même action. La structuration de Qu’est-ce que la littérature ?, dont le questionnement ultime est « pour qui écrit-on ? », faisant du public sur lequel on compte agir la légitimation même de l’écriture, rejoint les préoccupations de Ponge. Cette convergence de vues apparaît nettement à la fin du chapitre final, puisque le tableau de la « situation de l’écrivain en 1947 » se conclut sur l’absence de public constitué, public à constituer donc, et sur la nécessité de s’adresser en priorité au public ouvrier, « sujet par excellence d’une littérature de la praxis » 537 . Si Ponge ne formule pas la question aussi explicitement en termes de classes, la même nécessité de former un lectorat, rendu susceptible d’agir par la fréquentation des textes, lectorat constitué prioritairement de « ceux qui se taisent », se fait jour chez lui. En cela, Ponge se situe bien du côté d’une poétique constructive, à contre-courant de ce que la poésie propose de plus visible dans la première moitié du vingtième siècle, la « parlerie surréaliste » 538 nihiliste, que Sartre juge finalement parasitaire. Le surréalisme se situe selon lui du côté de la subversion superficielle, de la contestation symbolique, de « l’imagination pure » 539 , éloignée de toute action réelle : se refusant à une authentique praxis, le surréalisme

‘a horreur des genèses et des naissances ; la création n’est jamais pour lui une émanation, un passage de la puissance à l’acte, une gestation ; c’est le surgissement ex nihilo, l’apparition brusque d’un objet tout constitué qui enrichit la collection 540 . ’

Le projet de Ponge à l’inverse, est selon Sartre de « décrire en courant, à l’intérieur même de sa phrase, les éléments qui composent la “chose” étudiée et leur genèse. Ainsi y-a-t-il des choses dans la chose et des genèses de la genèse » 541 .

L’entreprise pongienne telle que la formule Sartre se distingue donc nettement de la poésie que pratiquent les surréalistes. Elle se situe aussi à l’opposé du parcours de Baudelaire tel que Sartre le retracera dans son livre de 1947 : alors que « Baudelaire est l’homme qui ne s’oublie jamais », qui « se regarde voir » 542 , préférant la fuite dans le dandysme à la responsabilité de l’attitude révolutionnaire, quitte à faire le jeu de « la classe au pouvoir » 543 , Ponge identifie le « poète » au « révolutionnaire », et privilégie l’attention aux choses, accordant une « prééminence [à] l’objet sur le sujet » 544 . La poésie telle que la pratique Ponge - conçue, précisément, comme une pratique constructive - est en cela proche de l’écriture agissante que, plus généralement, « l’écrivain » doit rechercher, selon Qu’est-ce que la littérature ? Et lorsque Sartre dit de l’auteur du Parti pris des choses qu’il cherche à « faire un poème », il lui faut préciser de quoi il s’agit exactement : « un ouvrage assez particulier qui exclut rigoureusement le lyrisme », laisse deviner les « tâtonnements et approximations » pour « rendre exactement le surgissement de la chose dans le monde et son articulation interne » 545 . Mais, malgré ces spécificités de l’écriture de Ponge, que Sartre, loin de nier, met en relief, l’œuvre est envisagée comme œuvre de poésie avant tout.

L’expression « faire un poème » est à cet égard ambivalente sous la plume de Sartre : situant l’écriture de Ponge du côté d’une praxis, elle est valorisante ; mais, désignant l’objet produit, le « poème », même entendu dans un acception particulière, elle nie toute efficace à cette praxis. Le poème en effet, par l’« opacité » de sa forme, est chose lui-même, et en tant que telle s’apparente à une mystification, dans la mesure où il donne l’illusion téléologique voire théologique d’une congruence entre mots et choses :

‘Lorsque le poème est fait, l’unité du monde est rétablie. En un sens, en effet, tout est expression, puisque les choses tendent d’elles-mêmes vers le Verbe, comme la Nature aristotélicienne tend vers Dieu ; tout exprime, s’exprime ou cherche à s’exprimer et la nomination, qui est l’acte le plus humain, est aussi la communion de l’homme avec l’univers. Mais en un autre sens, tout est chose, puisque la nomination poétique s’est elle-même pétrifiée. […] Tout est plein : le Verbe s’est incarné et « il n’y a que le Verbe » 546 .’

C’est bien la « nomination poétique » qui en son principe présuppose cette confusion magique et trompeuse entre le mot et la chose, confusion qui ne peut être garantie que par la postulation d’un principe supérieur transcendant. Cette « nomination poétique », qui fait des mots des « choses », et non plus des « ustensiles » désignant un réel qui leur préexiste, consiste donc à faire subir aux signes le même traitement qui prévaut selon Sartre dans l’observation des choses :

‘Par un même mouvement, [Ponge] tentera de déshumaniser les mots en recherchant sous leur sens de surface leur « épaisseur sémantique » et de déshumaniser les choses en grattant leur vernis de significations utilitaires. Cela signifie qu’il faut venir à la chose lorsqu’on a supprimé en soi ce que Bataille nomme le projet. Et cette tentative dépend d’un postulat philosophique que je me bornerai pour l’instant à dévoiler : dans le monde heideggérien, l’existant est d’abord « Zeug », ustensile. Pour voir en lui « das Ding », la chose temporo-spatiale, il convient de pratiquer sur soi-même une neutralisation. […] Ponge se révèle ici comme un anti-pragmatiste, parce qu’il refuse l’idée que l’homme par son action confère a priori son sens au réel. Son intuition première est celle d’un univers donné 547 .’

L’opacification du signe, qui tend à faire de l’énoncé une chose hors du temps, « du côté de Dieu » 548 , est très exactement ce qui caractérise le dire poétique dans Qu’est-ce que la littérature ? Le « souci de nomination » que Sartre distingue d’emblée chez Ponge est ainsi précisé comme tentative de « nomination poétique », qui en tant que telle est dénuée de toute portée pragmatique : là où la nomination chez « l’écrivain » en général permet une prise de conscience du lecteur, et, conséquemment, une action adéquate sur le monde, la nomination pongienne, une fois qualifiée de « poétique », « prend la valeur d’une cérémonie religieuse », « est un acte métaphysique absolu » 549 . A l’appui de sa démonstration, Sartre cite une nouvelle fois « La Dérive du sage » 550 . Mais il n’en donne pas le titre, qui laisse pourtant entendre une distance certaine de l’auteur à l’égard des énoncés du texte, et ne le replace pas dans le parcours intellectuel de Ponge, où le logocentrisme qui s’y manifeste occupe une place relativement circonscrite : par cette double décontextualisation, Sartre absolutise la citation, ce qui lui permet de faire coïncider exactement l’entreprise de Ponge avec sa conception du dire poétique. Le « poème » est d’ailleurs la forme indépassable à travers laquelle est envisagée l’œuvre : si, dans la première partie de son article, Sartre s’appuie sur les « moments critiques » (les futurs Proêmes) pour explorer les intentions de Ponge, il n’est plus question dans la seconde partie, qui s’attache aux réalisations effectives, que des « poèmes » proprement dits. Cette partition se comprend certes dans la mesure où, ces « moments critiques » étant inédits, Sartre est amené à ne les considérer que comme des avant-textes n’ayant pas le même statut que les textes publiés. Cependant, la distinction qu’il opère entre les textes permettant de préciser le projet de Ponge et ceux qui sont considérés comme des réalisations n’est pas sans poser question : « Notes pour un coquillage » n’est ainsi convoqué que dans la première partie de l’article, alors que le texte figure dans Le Parti pris des choses au même titre que les autres pièces du recueil. « Le Gymnaste » en revanche, est cité dans les deux parties de l’étude. La démarche de Sartre, qui distingue (et finalement oppose) intention de l’auteur et réalisation, l’amène donc à séparer les « moments critiques » des « moments poétiques », tout en éprouvant la confusion déjà effective de ces deux versants dans l’écriture de Ponge, un même texte pouvant se prêter aux deux types de lecture.

Dans cette perspective, le traitement du « Mimosa » est particulièrement significatif de la manière dont le genre postulé informe la lecture de Sartre. Paru dans Fontaine en 1942, ce texte ne peut être considéré comme un « brouillon ». Malgré sa forme « ouverte », Sartre y voit la confirmation de la prégnance de la forme poème, et corrélativement de l’immobilité selon lui à l’œuvre dans la poétique de Ponge :

‘Le Mimosa offre l’aspect d’un thème suivi de variations : tous les motifs sont indiqués d’abord - ou presque tous - ; et chaque paragraphe se présente comme une combinaison neuve de ces motifs, avec l’introduction de très peu d’éléments nouveaux. Chacune de ces variations est rejetée ensuite comme imparfaite, dépassée, ensevelie par une nouvelle combinaison qui repart à zéro. Pourtant elle demeure là, ne fût-ce que comme l’image de ce qui a déjà été fait et qui n’est plus à faire. Et le « poème » final fondra tous ces essais en une « rédaction définitive ». Ainsi chaque paragraphe est présent malgré tout au paragraphe suivant. Mais ce n’est pas à la manière de cette « multiplicité d’interpénétration » dont parle Bergson, ni non plus comme les notes écoulées d’une mélodie, qui sont encore entendues dans la note suivante et viennent la teinter et lui donner son sens : le paragraphe passé hante le paragraphe présent et cherche à s’y fondre. Mais il ne le peut : l’autre le repousse de toute sa densité 551 .’

Parmi les textes qui composeront La Rage de l’expression, « Le Mimosa » est certes celui qui se prête le plus à ce genre de lecture, puisqu’il présente bien finalement une mise en poème des recherches antérieures. Sartre semble malgré tout gêné, et place entre guillemets les termes « poème » et « rédaction définitive », puisque tout, dans l’économie du texte, tend effectivement à rendre problématiques de telles désignations. Elles sont cependant indispensables à la démonstration de Sartre, qui cherche, précisément dans ce passage, à introduire l’idée d’une « pétrification » opérée par Ponge : il met donc l’accent sur l’obtention d’un résultat, mais ne relève pas le fait que les différentes « variations » sont datées. L’opposition entre la lecture du « Mimosa » et l’écoute d’une mélodie, paradigme de l’expérience de la durée concrète selon Bergson, vise en revanche à démontrer l’atemporalité du « poème » de Ponge, son caractère immuable et étranger à toute inscription dans le temps. Une fois la nomination fixée en « nomination poétique », coupée de toute temporalité humaine, de tout « projet », l’échec de l’entreprise pongienne est consommé : la nomination, qui vise à faire des signes des choses où sont emprisonnés les objets du monde, ne peut plus être considérée comme un acte utile à la communauté humaine, elle ne saurait être porteuse d’un savoir authentique sur les choses. « L’oscillation inquiète » entre mots et choses, sur laquelle Sartre ouvrait son étude, s’avère n’être qu’un faux semblant, un trucage par lequel Ponge tente de faire exister la parole en dehors de tout sujet prenant la responsabilité de s’éprouver comme être pris dans le temps. Sartre écrit ainsi : « ce papillottement d’intériorité et d’extériorité que je notais tout à l’heure a une fonction précise : faute d’une fusion réelle de la conscience et de la chose, Ponge nous fait osciller de l’une à l’autre avec une très grande vitesse, espérant réaliser la fusion à la limite supérieure de cette vitesse » 552 . L’aspiration révolutionnaire, le désir d’agir pour les hommes par la prise de parole, la volonté de parler des objets du monde, toutes ces ambitions de Ponge, que Sartre discerne avec une grande acuité, sont selon lui vouées à l’« échec » 553 du fait qu’elles s’appuient sur une « opacification » des signes, qui ôte dès lors toute efficience à la nomination, puisque le signe ainsi considéré en lui-même fait obstacle à la saisie des référents. Le refus d’un langage instrumental (Zeug), qui caractérise Ponge en tant que poète, l’amène à recourir aux déterminismes scientifiques, au « réalisme dogmatique » 554 selon lequel « l’objet précède le sujet et l’écrase » 555 . Alors que la parole pongienne pouvait se laisser décrire dans un premier temps comme un projet à visée « humaniste » 556 , Sartre conclut finalement sur la déshumanisation caractéristique de l’œuvre selon lui, en des formules célèbres qui marqueront durablement la critique :

‘[Ponge] paraît, […] à première vue, aimer les fleurs, les bêtes et même les hommes. Et sans doute les aime-t-il. Beaucoup. Mais c’est à condition de les pétrifier. Il a la passion, le vice de la chose inanimée, matérielle. […]’ ‘Peut-être derrière son entreprise révolutionnaire est-il permis d’entrevoir un grand rêve nécrologique : celui d’ensevelir tout ce qui vit, l’homme surtout, dans le suaire de la matière. Tout ce qui sort de ses mains est chose, y compris et surtout ses poèmes 557 .’

Toutes choses égales par ailleurs, l’échec de Ponge, échec à s’assumer comme conscience inquiète prise dans le temps, et par là même à oser faire usage d’une authentique liberté, lui fait encourir les mêmes reproches que Sartre adresse à François Mauriac. Dans un article de 1939, Sartre souligne ce qui, dans la technique romanesque de La Fin de la nuit, prive l’héroïne de toute liberté. Avec la narration à la troisième personne, elle est saisie de l’extérieur, et par là même extraite à toute temporalité, de sorte qu’elle ne saurait être actrice de sa propre existence, et subit son destin : « Ainsi M. Mauriac, en ciselant sa Thérèse sub specie æternitatis, en fait d’abord une chose » 558 .Or, cette « idée de destinée est poétique et contemplative », et par là même intolérable dans un roman, qui est par nature « action ». Mais ce qui est inacceptable chez un « romancier », qui « n’a pas le droit d’abandonner le terrain de la bataille et de s’installer commodément sur un tertre pour juger les coups et rêver à la Fortune des Armes » 559 , est finalement excusable chez un « poète », puisque, par essence, on n’attend pas de lui qu’il fasse autre chose que des poèmes. C’est pourquoi les reproches adressés à Ponge, s’ils sont dans le fond de même nature que ceux que Sartre fait à François Mauriac, sont moins virulents : « Ponge a […] écrit quelques admirables poèmes, d’un ton entièrement neuf. […] On ne saurait lui demander plus » 560 . En forçant le trait, on pourrait résumer ainsi la trajectoire de Ponge telle que la retrace Sartre : Ponge se veut révolutionnaire et poète ; mais, comme il est poète, sa façon de nommer le monde est par nature inefficiente ; il n’est donc pas révolutionnaire.

Comme le note Jean-Yves Debreuille, la spécificité que reconnaît Sartre à la poésie dans Qu’est-ce que la littérature ? est un moyen de la « mettre hors jeu […] pour aborder en dehors d’elle la question de l’engagement de l’écrivain » 561 . Dans le contexte de l’après-guerre, une telle démarche est polémique, au moment même où « les poètes prétendaient agir sur le monde », « dans le sillage de la poésie de résistance » 562 . L’enjeu est de taille, dans la mesure où c’est bien alors sur le terrain de la poésie que semble se trouver la légitimité d’un engagement : la soirée de gala d’octobre 1944 en l’honneur des « Poètes de la Résistance », en présence de de Gaulle, alors chef du gouvernement provisoire, en est le signe. Les figures emblématiques de cette poésie de Résistance sont alors Aragon et Eluard, à qui sont consacrés les deux premiers numéros de la collection « Poètes d’aujourd’hui » créée en 1945 par Pierre Seghers, et qui remporte un succès populaire certain 563 . Les cibles privilégiées de Sartre dans son essai de 1947 sont les poètes surréalistes et les écrivains communistes, notamment ceux issus des mouvements de la Résistance, puisqu’ils peuvent semble-t-il à bon droit se recommander d’un engagement véritable. Malgré son appartenance au PCF, et ses contributions aux revues et anthologies de la Résistance, Ponge n’apparaît pas comme une figure de proue de ce mouvement, du fait notamment qu’il se situe à l’écart du surréalisme, que sa poétique est en contradiction complète avec la restauration formelle et le nationalisme qui accompagnent la poésie de Résistance. Pourtant, les analyses sur la « nomination poétique » que Sartre développe à propos de Ponge semblent constituer la matrice de la caractérisation plus générale de la poésie qui ouvre Qu’est-ce que la littérature ? L’opposition heideggerienne entre Zeug (instrument) et Ding (chose), à travers laquelle, on l’a vu, Sartre appréhende l’écriture de Ponge, devient quelques années plus tard le trait caractéristique d’un usage poétique de la langue : « [Le poète] a choisi une fois pour toutes l’attitude poétique qui considère les mots comme des choses et non comme des signes » 564 . Corrélativement, la nomination, qui est le moyen d’action de l’écrivain, n’en est pas une en contexte poétique : « les poètes [étant] des hommes qui refusent d’utiliser le langage »,

‘il ne faut pas s’imaginer qu’ils visent à discerner le vrai ni à l’exposer. Ils ne songent pas non plus à nommer le monde et, par le fait, ils ne nomment rien du tout, car la nomination implique un perpétuel sacrifice du nom à l’objet nommé 565 .’

L’usage poétique de la langue, que Sartre définit a priori et, pour reprendre la formule qu’il emploie à propos de Mauriac, sub specie æternitatis, interdit d’emblée aux écrits qui se réclament de la poésie, ou qui sont caractérisés comme tels, d’accéder à des vérités, ou même de nommer authentiquement. La suite de l’essai, par une série de glissements terminologiques, confirme cette exclusion de la poésie du champ de la connaissance et de l’action littéraire : « poète » s’oppose d’abord à « prosateur », ce dernier étant qualifié de « parleur » qui, lui, n’hésite pas à utiliser le langage, et « désigne, démontre, ordonne, refuse, interpelle, supplie, insulte, persuade, insinue » 566 . Lorsque, dans la suite de son texte, une fois traité le cas de la poésie, Sartre évoque le rôle de l’écrivain, il s’agit toujours implicitement du « parleur » ou du « prosateur » ; en certains endroits, la spécification générique est même plus explicite encore, puisque « romancier » se substitue à « écrivain » 567 . A la limite, la poésie tend donc in fine à se situer hors de la littérature même, puisque « poète » s’oppose à « écrivain ». Si Ponge, on l’a dit, n’est pas en premier lieu visé par cette marginalisation de la poésie, son esthétique en constitue néanmoins le modèle pour Sartre. Et par endroits son œuvre semble même emblématique du caractère dérisoire de l’entreprise poétique, comparée aux enjeux auxquels l’écrivain authentique se trouve confronté : « En un mot, il s’agit de savoir de quoi l’on veut écrire : des papillons ou de la condition des Juifs » 568 . Et, lorsque Sartre cite le nom de Ponge en note, pour l’opposer à l’esthétique conservatrice qui selon lui prévaut en général chez les écrivains communistes, il n’en souligne pas moins l’innocuité des sujets que traite cet « écrivain », ce qui est une autre manière de le rabattre du côté d’une littérature désengagée, « poétique » : « dans la littérature communiste, en France, je trouve un seul écrivain authentique. Ce n’est pas non plus par hasard qu’il écrit sur le mimosa ou les galets » 569 . Etant donnée l’importance qu’accorde Sartre aux « sujets » qu’aborde la littérature, on mesure à quel point l’hommage est paradoxal.

La caractérisation de la poésie proposée au début de l’essai condamne donc, par principe, toute entreprise poétique à l’échec, selon les critères de Sartre, puisque la constitution de mots en choses amène le poète à se situer « du côté de Dieu » 570 , et par là même à fuir devant la responsabilité d’une existence humaine, comme le relève Jean-Yves Debreuille : « en fait, Sartre n’accepte pas le statut d’objet que ses intuitions poétiques sémiologiques l’ont amené à conférer au texte poétique » 571 . Si d’abord il reconnaît à l’opacification des signes, rapprochée du travail des peintres, une capacité à saisir la texture des choses, saisie qui évite de tomber dans une symbolisation outrancière occultant ce réel 572 , cet épaississement des signes doit être selon Sartre dépassé pour atteindre authentiquement les objets du monde. Les points de convergence que nous avions d’abord soulignés entre Sartre et Ponge ne sont d’ailleurs pas annulés par l’« échec » auquel conclut le premier au sujet du second : Jean-François Louette voit ainsi dans La Nausée « Le Parti pris des choses sartrien », notamment dans le désir de « ramasser des signes qui collent aux choses » 573 . Mais cela ne constitue pour Sartre qu’une étape, le but ultime de l’écriture étant de rendre le langage à une certaine transparence pour aller au plus près des choses, pas que ne franchit pas Ponge. Dès lors, « le projet pongien relève, malgré toute l’estime que Sartre lui porte, doublement de l’enfance de l’art : il cherche à re-produire la vision qu’un enfant a du langage ; il travaille dans une problématique fort ancienne - s’il faut la dater, moyenâgeuse » 574 . Comme le relève encore Jean-Yves Debreuille, le différend entre Ponge et Sartre concerne les conceptions qu’ils se font du réel et du sujet : « Pour Sartre […], les mots ne sont qu’une médiation entre un sujet qui existe en dehors d’eux, et même a la capacité de les voir de l’extérieur, et un réel qui existe en soi » 575 . Selon lui, la prise en compte des mots comme choses demande donc à être dépassée, pour que le réel soit atteint. Tout l’effort de Ponge consiste à l’inverse à constituer les « moyens d’expression » en réalité, et même comme réalité incontournable à la connaissance du « monde extérieur », les choses résultant aussi des mots par lesquels nous les désignons, de même que le sujet est produit par son discours plus qu’il ne lui préexiste. « Nommer » avec le « compte tenu des mots », ce que Sartre désigne par « nomination poétique », c’est donc selon Ponge nommer réellement, alors qu’il s’agit pour Sartre d’un faux-semblant. Le souci commun du lecteur, que nous avions d’abord relevé chez les deux auteurs, mérite donc d’être nuancé : pour l’un comme pour l’autre la prise de parole est certes action, mais elle ne l’est pour Sartre que dans la mesure où elle amène le lecteur à agir dans l’ordre de ce qu’il appelle le réel. Si ce type de repragmatisation n’est pas exclu pour Ponge, l’action qu’il cherche à provoquer est aussi, voire surtout, verbale : l’acte de lecture qu’il vise est lui-même une prise de parole, qui en tant que telle est action.

Pour anti-idéaliste qu’elle se veuille, l’approche critique de Sartre est finalement à cet égard assez platonicienne :

‘Platon reprochait au langage poétique de ressembler à l’idée sans être l’idée, c’est-à-dire de mentir. Sartre lui reproche de ressembler au réel sans être le réel, c’est-à-dire de mentir. L’un et l’autre supportent mal sa compacité et son opacité, sa demi-transparence qui fait qu’il n’est ni totalement chose, ni totalement signe. Surtout, ils ne supportent pas les effets de sens non maîtrisés qui y trouvent origine : Sartre rejoint ici la conception traditionnelle d’intention de l’auteur, refusant tout processus sémantique qui ne soit pas intentionnel 576 .’

« L’Homme et les choses » est à cet égard symptomatique, puisque l’article se construit précisément sur la confrontation entre les intentions de Ponge et ses réalisations. Ce que l’on pourrait appeler, de manière un peu provocante, le platonisme de Sartre, se manifeste également dans la généricité très ferme qui guide ses lectures. « L’idée » de la poésie est ce qui l’amène à conclure à l’échec de Ponge (quitte à considérer cet échec avec indulgence), à ne pas prendre au sérieux jusqu’au bout son effort de nomination, et la portée « révolutionnaire » de ses écrits. On objectera que cette « idée » ne préexiste pas complètement à sa lecture de l’œuvre, et que réciproquement la fréquentation de Ponge informe son discours général sur la poésie. Il n’en reste pas moins que l’attachement à la forme « poème », que Sartre traque dans les écrits de Ponge, même là où elle y est le moins manifeste, de même que la reprise d’un discours sur la parole poétique dans son Baudelaire, et les délimitations génériques qui structurent Qu’est-ce que la littérature ?, où la fonction des écrits littéraires est déterminée par leur appartenance générique considérée a priori, confirment l’hypothèse d’une forte « précompréhension » de l’œuvre par le biais de son ancrage « poétique ».

L’étude de Sartre confère une importance certaine à l’œuvre émergente de Ponge, et formule, notamment dans sa première partie, des éléments fondamentaux de sa poétique, et de sa dynamique créatrice. Mais simultanément, une fois reconnu le projet spécifique de Ponge, Sartre dénie toute efficace à son entreprise : l’ambition d’une nomination « réelle », ou sérieuse, le désir de produire des écrits descriptifs et didactiques aboutissent selon Sartre à un « échec », échec auquel il conclut par une lecture qui assigne les textes à « la poésie », entendue en un sens incompatible avec l’entreprise de Ponge. Pour originale que soit sa conception de la littérature, Sartre s’inscrit pleinement dans le mouvement plus large de redéfinition des domaines génériques que décrit Dominique Combe, et qui, à partir de la fin du XIXe siècle, tend à exclure du poétique le récit, la description et l’explication. Les partages génériques fermes qu’opère Sartre sont à cet égard conformes aux poétiques dominantes qui précèdent, et dont il est pourtant fort éloigné, comme en témoignent ces lignes de Qu’est-ce que la littérature ? : « Si le poète raconte, explique ou enseigne, la poésie devient prosaïque, il a perdu la partie. Il s’agit de structures complexes, impures, mais bien délimitées » 577 . Au nom de la poésie donc, les actes de langage qu’entend effectuer Ponge dans ses écrits - décrire, enseigner, connaître, nommer - lui sont refusés, ou ne sont pas considérés comme des actes « sérieux » et potentiellement efficaces.

Si d’une part les œuvres de Ponge telles que Sartre les appréhende sont rattachées a priori à la poésie, elles sont en outre lues depuis la philosophie : la traduction de la poétique pongienne en termes heideggeriens (Zeug et Ding), puis l’assimilation de son entreprise au projet phénoménologique tel que formulé par Husserl 578 , et enfin la conclusion de l’essai, tendent à accréditer l’idée que la philosophie est à même, depuis ses propres postulats, d’énoncer la vérité de l’œuvre. Les dernières lignes que consacre Sartre à Ponge soulignent exemplairement ce désir de lire l’œuvre depuis un autre lieu que celui qu’elle revendique :

‘Ponge penseur est matérialiste et Ponge poète - si l’on néglige les intrusions fâcheuses de la science - a jeté les bases d’une Phénoménologie de la Nature 579 .’

C’est finalement comme « penseur » et comme « poète », mais poète faisant œuvre de philosophe, que Ponge est envisagé. Les « intrusions fâcheuses » que pointe Sartre comme une contradiction, signalent la sensibilité qu’il manifeste aux deux modes d’appréhension de la réalité qui, on l’a vu, sont co-présents chez Ponge : sa poétique oscille ainsi entre un désir de détruire les « significations », les « symboles », privilégiant une approche naïve des choses, et la prise en compte des représentations, des « idées », qui informent notre perception, quitte à les neutraliser par des formulations inédites, voire contradictoires 580 . Là où Ponge s’emploie à faire alterner les deux postures épistémologiques sans renoncer à aucune d’entre elles, Sartre voit une contradiction préjudiciable entre l’intention « naïve » et la réalisation, condamnant la seconde approche comme un signe d’allégeance au « réalisme dogmatique » qui selon lui caractérise les paradigmes scientifiques occidentaux. Cette dernière interprétation souligne que Sartre se refuse à considérer qu’une prise en compte des « moyens d’expression » soit à même de subvertir le « réalisme dogmatique » et d’en altérer les postulats. Plus généralement, la constitution du réel par les mots, qui est au fondement de la poétique du parti pris, et l’ambition de connaissance que Ponge explicite au début des années 1940, se trouvent par là même frappées de nullité. La traduction de Ponge en termes philosophiques nie son entreprise de connaissance spécifiquement littéraire. Outre les questions majeures, en terme d’interprétation, de portée pragmatique reconnue à l’œuvre, et même de référenciation (puisqu’il y est question de la définition même du réel), que soulèvent ces divergences de points de vue, elles engagent également un conflit de souveraineté sur le texte : alors même que Ponge s’efforce de mêler critique (ou « méthode »), et poésie, afin d’accéder à une écriture consciente de ses moyens, Sartre le considère comme un phénoménologue « sans le savoir », ne maîtrisant pas véritablement les termes de son propre projet. Les conseils et admonestations qui parfois se font jour sous sa plume renforcent cette impression que, parlant depuis la philosophie, Sartre tend à exercer une autorité sur l’œuvre dans son devenir, lui traçant à l’avance les directions à suivre 581 .

D’une part donc, « la poésie », à travers laquelle l’œuvre est appréhendée, tend à la priver de toute efficience ; d’autre part, la philosophie, d’où elle est lue, met en cause la possibilité d’une connaissance spécifiquement littéraire, et l’autorité même de l’écrivain sur sa propre œuvre. Sartre met au jour les éléments fondamentaux de la poétique de Ponge, mais en conteste les termes mêmes : on pressent ce que la perte d’autonomie, dont une telle lecture menace l’œuvre et son auteur, a d’insupportable pour Ponge, qui se sent dès lors mis en position de répliquer à cette première interprétation d’importance. La nécessité s’en fait d’autant plus ressentir que le poids de la parole de Sartre est tel qu’elle informe de nombreuses lectures critiques : les débats critiques que suscite l’œuvre s’articulent durablement autour des analyses sartriennes.

Notes
525.

Ibid.

526.

Il s’agit des « Moments critiques » écrits entre 1925 et 1935, qui composeront la section « NAtare piscem doces » de Proêmes, et des « Souvenirs interrompus », qui ne seront finalement repris que dans Nouveau nouveau Recueil I, en 1992.

527.

Ibid., l. 301, p. 314.

528.

« Au cours des réunions du Comité NRF ne pas oublier de me placer quelques fois à ce point de vue d’où la « philosophie » apparaît comme “un-mode-d’expression-comme-un-autre”. […] La philosophie comme soumise aux règles d’art littéraire » (« CNRF », PE, II, 1020-1021).

529.

N° 20, juillet-octobre, et n° 21, novembre-décembre 1944, p. 58-71 et 74-92.

530.

Sartre délaisse en revanche les « souvenirs interrompus ». Ce manque d’intérêt, et les réserves exprimées par Paulhan, sont à l’origine de leur exclusion finale des Proêmes : les réactions des lecteurs agissent donc directement sur la configuration de l’œuvre elle-même.

531.

Ibid., p. 231.

532.

Ibid., p. 249.

533.

Ibid., p. 226.

534.

Ibid., p. 228.

535.

Ibid., p. 230. Sartre cite ici « A chat perché » (PR, I, 194).

536.

J.-P. Sartre, Qu’est-ce que la littérature ? Ce texte paraît à partir de février 1947 dans Les Temps modernes, et est repris l’année suivante dans Situations II. Nous citons l’édition de poche (Paris, Gallimard, « Folio essais », 1985, p. 27).

537.

Ibid., p. 250.

538.

J.-P. Sartre, « L’Homme et les choses », op. cit., p. 233 : « Ponge a-t-il compris qu’un véritable révolutionnaire devait être constructeur ? […] C’est peut-être le tournant le plus important de sa pensée : Ponge s’est aperçu qu’on ne pouvait creuser longtemps les mots à vide ; il s’est détourné de la grande parlerie surréaliste qui a consisté pour beaucoup à choquer des mots sans objets les uns contre les autres ».

539.

J.-P. Sartre, Qu’est-ce que la littérature ?, op. cit., p. 302.

540.

Ibid.

541.

J.-P. Sartre, « L’Homme et les choses », op. cit., p. 255. C’est ce caractère génétique de la phrase pongienne qui nuance la « pompe » de « l’acte affirmatif » (ibid., p. 275), et l’ambition de créer des « proverbes, c’est-à-dire des phrases lourdes de sens, déjà pétrifiées, dont la puissance d’affirmation est telle que toute une société les reprend à son compte » (ibid., p. 254). Sartre, on le voit, est sensible à la dimension autoritaire de la parole pongienne, mais aussi aux ambiguïtés qui tempèrent cet autoritarisme.

542.

J.-P. Sartre, Baudelaire, Paris, Gallimard, « Les Essais », 1947, p. 25.

543.

Ibid., p. 154 : « La classe au pouvoir préférera toujours un dandy à un révolutionnaire ».

544.

J.-P. Sartre, « L’Homme et les choses », op. cit., p. 238.

545.

Ibid., p. 244.

546.

Ibid., p. 245.

547.

Ibid., p. 238.

548.

J.-P. Sartre, Qu’est-ce que la littérature ?, op. cit., p. 24.

549.

J.-P. Sartre, « L’Homme et les choses », op. cit., p. 243.

550.

Ce passage en particulier : « Le Verbe est Dieu ; il n’y a que le Verbe ; je suis le Verbe » (PR, I, 183).

551.

J.-P. Sartre, « L’Homme et les choses », op. cit., p. 249-250.

552.

Ibid., p. 266.

553.

Echec auquel Sartre conclut du reste sans détour : se dérobant au « devoir douloureux d’être sujet », « la tentative de Ponge est vouée à l’échec comme toutes les autres de même espèce » (ibid., p. 266).

554.

Ibid., p. 239.

555.

Ibid., p. 259.

556.

Rappelons à ce propos les phrases situées au début de l’article : « Ponge est humaniste. Puisque parler, c’est être homme, il parle pour servir l’humain en parlant » (ibid., p. 228).

557.

Ibid., p. 264-265.

558.

J.-P. Sartre, « Monsieur François Mauriac et la liberté », Situations I, op. cit., p. 44.

559.

Ibid., p. 38.

560.

J.-P. Sartre, « L’Homme et les choses », op. cit., p. 264.

561.

J.-Y. Debreuille, « De Baudelaire à Ponge : Sartre lecteur des poètes », in C. Burgelin (éd.), Lectures de Sartre, Lyon : Presses Universitaires, 1986, p. 275.

562.

Ibid.

563.

Nous reprenons toutes ces informations de J.-Y. Debreuille, article « Poètes de la Résistance », in M. Jarrety (dir.), Dictionnaire de poésie de Baudelaire à nos jours, op. cit., p. 666-667.

564.

J.-P. Sartre, Qu’est-ce que la littérature ?, op. cit., p. 19.

565.

Ibid., p. 18.

566.

Ibid., p. 25.

567.

Par exemple, lorsque Sartre développe les effets que « l’écrivain » ou « le créateur » cherche à produire sur son lecteur : « l’univers du romancier manquerait d’épaisseur si on ne le découvrait dans un mouvement pour le transcender » (ibid., p. 67).

568.

Ibid., p. 30. La remarque prend d’autant plus de relief que, dans « L’Homme et les choses », Sartre commente longuement « Le Papillon ».

569.

Ibid., n. 20, p. 307.

570.

Ibid., p. 24.

571.

J.-Y. Debreuille, « De Baudelaire à Ponge : Sartre lecteur des poètes », op. cit., p. 278.

572.

Voir par exemple ces lignes consacrées à la peinture, et qui introduisent à la question de l’énoncé poétique : « Si, après accord, les roses blanches signifient pour moi “fidélité”, c’est que j’ai cessé de les voir comme roses : mon regard les traverse pour viser au-delà d’elles cette vertu abstraite ; je les oublie, je ne prends pas garde à leur foisonnement mousseux, à leur doux parfum croupi ; je ne les ai pas perçues » (J.-P. Sartre, Qu’est-ce que la littérature ?, op. cit., p. 14). Décrivant plus loin un ciel jaune du Tintoret, Sartre retrouve à peu près les mêmes mots qu’il avait employés à propos de Ponge : « l’angoisse » y est « submergée, empâtée par les qualités propres des choses » (ibid., p. 15, nous soulignons).

573.

J.-F. Louette, Jean-Paul Sartre, Paris, Hachette Supérieur, « Portraits littéraires », 1993, p. 108-109.

574.

J.-F. Louette, « Sartre lecteur de Ponge », Le Magazine littéraire, n° 260, décembre 1988, p. 42.

575.

J.-Y. Debreuille, « De Baudelaire à Ponge : Sartre lecteur des poètes », op. cit., p. 279.

576.

Ibid., p. 279-280.

577.

J.-P. Sartre, Qu’est-ce que la littérature ?, op. cit., p. 44.

578.

« Ainsi Ponge applique-t-il sans le savoir l’axiome de la phénoménologie : “Aux choses mêmes” » (J.-P. Sartre, « L’Homme et les choses », op. cit., p. 242.

579.

Ibid., p. 270.

580.

Voir supra I.2.1.2. « Francis Ponge et “la littérature comme moyen de connaissance” ».

581.

Outre les « intrusions fâcheuses » fustigées par Sartre dans sa conclusion, citons pour exemple cet autre passage de « L’Homme et les choses » : « Si nous voulons dégager l’importance [de la tentative de Ponge], il faut que nous pressions son auteur de renoncer à certaines contradictions qui la masquent et la déparent. [§] Il n’a pas été fidèle à son propos : il est venu aux choses, non pas, comme il prétendait le faire, avec un étonnement naïf, mais avec un parti pris matérialiste » (ibid., p. 264, nous soulignons).