III.1.2.2. La préface à Portrait d’un inconnu

Alors que Sarraute sollicite dans un premier temps un article de Sartre, il préfère finalement écrire une préface à Portrait d’un inconnu, afin de faciliter la recherche d’un éditeur 590 . Pour les premiers lecteurs de l’oeuvre, qui ignorent probablement le nom de Nathalie Sarraute, il y a donc une double préséance du discours critique sur l’œuvre elle-même : du fait de son statut de préface, dans l’ordre de la lecture (pour autant qu’elle soit strictement linéaire), et du fait de la différence de notoriété entre le préfacier et l’auteur de l’œuvre. Si les pages que Sartre consacre à Sarraute sont, en termes de volume comme d’approfondissement de la réflexion, moins imposantes que l’étude portant sur l’œuvre de Ponge, leur statut éditorial leur confère le rôle d’introduction légitime à l’œuvre et d’interprétation autorisée. Réciproquement, c’est le nom de Sartre qui tend à autoriser l’œuvre, notamment auprès de ces lecteurs cruciaux que sont les éditeurs. Par là même, cette préface tend à situer Sarraute dans la mouvance de l’existentialisme, ce d’autant qu’en 1946 Les Temps modernes avaient publié un extrait de l’œuvre, et que dans cette même revue paraissent en 1947 les deux premiers essais critiques de Sarraute. D’emblée, l’œuvre et le discours de Sartre apparaissent donc intimement liés, la parole critique apparaissant comme un discours connexe.

Cela est d’autant plus frappant que les articles critiques que Sarraute publie de 1947 à 1950 591 semblent à plus d’un égard redevables à la pensée de Sartre. La critique de la figure de l’auteur tout-puissant, maître du sens, que Sarraute formule à propos de Paul Valéry, de même que la défense de la narration à la première personne qu’elle exprime dans « L’Ere du Soupçon », convergent ainsi avec les reproches que, dans son article de 1939, Sartre adresse à Mauriac. Si la défense du récit à la première personne répond pour Sarraute à des impératifs « réalistes », puisque la tentative du romancier pour masquer son intervention risquerait selon elle d’altérer voire de détruire la réalité qu’il cherche à mettre au jour, elle a également des implications éthiques nettement perceptibles :

‘Aussi, dès que le romancier essaie de décrire [les états ténus et complexes qu’il cherche à découvrir] sans révéler sa présence, il lui semble entendre le lecteur, pareil à cet enfant à qui sa mère lisait pour la première fois une histoire, l’arrêter en demandant : « Qui dit ça ? » (ES, 1583).’

Outre le fait qu’il risque de mettre en péril l’exploration du réel, le récit à la troisième personne apparaît bien comme une tentative de mystification, que le lecteur soupçonneux, pour lequel le véritable écrivain doit écrire selon Sarraute, fait échouer. On n’est pas loin, on le voit, du reproche fait par Sartre à Mauriac de se comporter à l’égard de ses personnages comme Dieu lui-même à l’endroit de ses créatures : pour Sarraute également, le récit à la troisième personne peut s’apparenter à une fausse objectivité, à une position de surplomb trompeuse qui prive les êtres de leur indétermination fondamentale. Le parallèle est d’autant plus frappant que Sartre oppose Mauriac à un autre écrivain chrétien, Dostoïevski, dont la technique romanesque permet aux personnages d’être libres :

‘L'orgueil, l'irascibilité de Dimitri Karamazov sont aussi libres que la paix profonde d'Alioscha. La nature qui l'étouffe, contre laquelle il se débat, n'est pas ce que Dieu l'a fait, mais ce qu'il s'est fait lui-même, ce qu'il a juré d'être et qui demeure figé par l'irréversibilité du temps 592 .’

Le caractère mouvant des personnages de Dostoïevski, que permet de restituer une technique narrative adéquate, et ce quels que soient les présupposés religieux de l’auteur, est également ce que Sarraute s’attachera à mettre en lumière quelques années plus tard dans « De Dostoïevski à Kafka », qui paraît dans le numéro d’octobre 1947 des Temps modernes 593 . Plus généralement, les écrivains par rapport auxquels Sarraute se situe dans ses premiers articles critiques sont ceux-là mêmes auxquels Sartre attache une importance certaine : Camus, Kafka, Faulkner, Genet, sont tous des auteurs auxquels s’intéresse Sartre, et sur lesquels il écrit 594 . Certes, sur de nombreux points, Sarraute prend le contre-pied des positions de Sartre. Dès « De Dostoïevki à Kafka », la défense du « roman psychologique » contre « le roman de situation » marque même une opposition frontale. Pourtant, ce qu’attaque d’abord Sarraute, ce sont les déterminismes auxquels seraient soumis les personnages du « roman américain » selon Claude-Edmonde Magny, plus que les œuvres elles-mêmes. « L’Ere du soupçon » salue d’ailleurs la déstabilisation du personnage romanesque qu’opère Faulkner dans Le Bruit et la fureur (ES, 1585). Sarraute refuse en revanche que le roman américain serve la réduction de « l’homme moderne » à un « corps sans âme ballotté par des forces hostiles » (ES, 1558). Or, malgré son admiration pour l’écrivain américain, c’est précisément la réserve que formulait Sartre à l’encontre de Faulkner à la fin des années 1930 : « déloyalement », il construit dans Sartoris un homme absurde, pour « nous faire croire que ces consciences sont toujours aussi vides, toujours aussi fuyantes » 595 . De même, dans Le Bruit et la fureur, le temps est « décapité », de sorte que l’homme semble enfermé dans l’absurdité ; mais cette absurdité est selon Sartre une construction artificielle et trompeuse : « l’absurdité que Faulkner trouve dans une vie humaine, je crains qu’il ne l’y ait mise d’abord » 596 . Même si Sarraute remet en cause dans son article les catégories sartriennes, elle le fait donc au nom d’arguments proches de ceux que déploie Sartre lui-même, et apparemment compatibles avec sa conception de la liberté et les conséquences qu’il en tire à propos de la technique romanesque.

Les remarques à propos de L’Etranger confirment cette proximité paradoxale entre les deux approches : Sartre souligne l’effort de Camus pour rendre la condition absurde de Meursault grâce à un récit qui emprunte à la « technique américaine » 597 , mais aussi les écarts par rapport à ce parti pris initial. Le narrateur « hausse parfois le ton ; la phrase reprend alors un débit plus large, continu », de sorte qu’« à travers le récit essoufflé de Meursault, [on aperçoit] en transparence une prose poétique plus large qui le sous-tend » 598 . Sartre conclut ainsi de façon ambiguë, que « L’Etranger est une œuvre classique, une œuvre d’ordre, composée à propos de l’absurde et contre l’absurde » 599 . Il ne va certes pas jusqu’à parler, d’« analyse » et d’« explications psychologiques » (ES, 1563), comme le fait Sarraute. La lecture qu’elle propose de L’Etranger dans « De Dostoïevski à Kafka » suit cependant un cheminement très proche du parcours critique de Sartre : l’absurdité totale de la condition de Meursault y est contredite par les notations plus subjectives du narrateur, qui « note avec la délicatesse d’un poète les jeux délicats de lumière et d’ombre et les nuances changeantes du ciel » (ES, 1561), ce qui fait de lui « l’héritier de la princesse de Clèves et d’Adolphe » (ibid.). Quoique le rapprochement avec la tradition du roman d’analyse soit ironique, ce retour in extremis du « psychologique » est ce qui sauve pour partie le roman de Camus aux yeux de Sarraute 600 , alors que les remarques de Sartre à ce propos sont plus ambivalentes. Mais, si les valeurs affectées à tel ou tel trait d’écriture divergent, les parcours de lecture demeurent très proches 601 .

En aval de la préface de Sartre, les positions défendues par Sarraute dans « L’Ere du soupçon », - la défense du récit à la première personne, la mise en cause du personnage, et a fortiori de héros maîtres de leurs destinée qui s’y expriment - laissent penser qu’elle se reconnaît dans les choix des écrivains de la « troisième génération » que décrit Sartre à la fin de Qu’est-ce que la littérature ? Décrivant les choix de ces auteurs, parmi lesquels il se compte, il écrit en effet :

‘Nous voulions […] que chaque personnage soit un piège, que le lecteur y soit attrapé et qu’il soit jeté d’une conscience dans une autre, comme d’un univers absolu et irrémédiable dans un autre univers pareillement absolu, qu’il soit incertain de l’incertitude même des héros, inquiet de leur inquiétude, […] qu’il sente enfin que chacune de leurs humeurs, que chaque mouvement de leur esprit enferment l’humanité entière et sont, en leur temps et en leur lieu, au sein de l’Histoire, et, malgré l’escamotage perpétuel du présent par l’avenir, une descente sans recours vers le Mal ou une montée vers le Bien qu’aucun futur ne pourra contester 602 .’

L’idée d’« Histoire », les catégories tranchées du Bien et du Mal, sont certes radicalement étrangères à l’axiologie et à la poétique de Sarraute. Mais la volonté de plonger le lecteur dans l’univers fictionnel, de le contraindre à adopter une pluralité de points de vue qui l’amène à se déplacer d’une conscience à une autre, à vivre de l’intérieur les mouvements qui animent les êtres de la fiction, et où se révèle l’« humanité entière », ce que Sarraute appelle pour sa part le « fond commun », est bien ce qui guide l’auteur de Portrait d’un inconnu, y compris sur un plan plus théorique. Sartre cite parmi les pionniers caractéristiques de ce renouvellement de l’esthétique romanesque Kafka, Faulkner, Hemingway et Dos Passos : tout en faisant grand cas de ces auteurs - des deux premiers en tout cas - par rapport auxquels elle prend la peine de se situer, Sarraute choisit ses modèles ailleurs, et privilégie Dostoïevski, Proust et Joyce notamment. Il est néanmoins sensible que sa pensée critique se déploie à partir de celle de Sartre, qui est un point de repère à l’égard duquel elle se positionne et se différencie 603 .

La préface à Portrait d’un inconnu renforce cette proximité éditoriale et accrédite l’idée d’une convergence de points de vue, même si les divergences sous-jacentes entre l’esthétique de Sarraute et les positions de Sartre s’y révèlent. Ce qui, chez Sarraute, a pu retenir l’auteur de La Nausée, et l’amener à la publier dans Les Temps modernes, est mis en avant par Sartre. La technique narrative de Sarraute fait ainsi l’objet de remarques qui tendent à l’identifier aux préoccupations existentialistes :

‘C’est la mauvaise foi du romancier - cette mauvaise foi nécessaire - qui fait horreur à Nathalie Sarraute. Est-il « avec » ses personnages, « derrière » eux ou dehors ? Et quand il est derrière eux, ne veut-il pas nous faire croire qu’il reste dedans ou dehors ? Par la fiction de ce policier des âmes qui se heurte au « dehors », à la carapace de ces « énormes bousiers » et qui pressent obscurément le « dedans » sans jamais le toucher, Nathalie Sarraute cherche à sauvegarder sa bonne foi de conteuse. Elle ne veut prendre ses personnages ni par le dedans ni par le dehors parce que nous sommes, pour nous-mêmes et pour les autres, tout entiers dehors et dedans à la fois 604 .’

Tout en pointant des traits caractéristiques de la poétique de Sarraute - le refus d’une saisie extérieure des personnages, d’un point de vue unifié et surplombant, et l’opposition toujours réversible entre un dedans et un dehors -, Sartre les « traduit » dans des termes qui lui sont propres : la technique narrative répond dans cette perspective au souci d’affronter la difficulté d’exister par la monstration de consciences déchirées entre le mode de l’en-soi et celui du pour-soi, notions implicitement convoquées par la fin de cette citation, où Sartre affirme que « nous sommes, pour nous-mêmes et pour les autres, tout entiers dehors et dedans à la fois ». Montrer des êtres aux prises avec ce qui constitue pour Sartre le propre de la condition humaine, c’est donc accorder aux personnages de fiction une liberté certaine, d’où la formulation des choix esthétiques de Sarraute en termes philosophiques et moraux : ils sont guidés par le refus de la « mauvaise foi ». A cet égard, Portrait d’un inconnu est l’antithèse de La Fin de la nuit, et les analyses que Sartre produit à son propossont à l’exact opposé de l’interprétation qu’il propose du roman de Mauriac.

Cette oscillation entre l’« en-soi » et le « pour-soi », qui prend chez Sarraute la forme du clivage entre « dedans » et « dehors », fait écho, toutes choses égales par ailleurs, à « l’oscillation inquiète » entre mots et choses sur laquelle s’ouvrait l’étude consacrée à Ponge. Mais là où le « poète » cherchait un « moyen rapide de réaliser symboliquement notre désir commun d’exister sur le mode de l’en-soi » 605 par la pétrification, l’univers de Sarraute maintient ces deux modalités de l’être, qui se traduit, substantiellement, par la confrontation entre dureté et labilité : « Nathalie Sarraute a une vision protoplasmique de notre univers intérieur : ôtez la pierre du lieu commun, vous trouverez des coulées, des baves, des mucus, des mouvements hésitants, amiboïdes » 606 . L’opposition entre une intériorité mouvante et les paroles qui permettent la communication, entre la « conversation » et ce que Sartre, le premier, appelle la « sous-conversation » 607 , s’articule autour de la notion de lieu commun. Le clivage entre le lieu commun, qui permet que la communication courante s’établisse, « puisque tout le monde peut m’y atteindre et s’y retrouver » 608 , et ce qui ne peut pas se dire, et qui se trame dans la « sous-conversation », est décrit par Sartre en termes de subjectivité et d’objectivité : la conformation à des lieux communs rassure le groupe en lui promettant « que le subjectif n’est rien et qu’il n’en faut pas avoir peur » 609 et ce, même si l’objectivité qu’ils semblent garantir est largement fallacieuse et construite, puisque l’on « s’y tient par décret ». L’opposition subjectif/objectif est relativement étrangère aux catégories de pensée de Sarraute, pour qui, précisément, la réalité « objective » n’est rien d’autre que la somme des discours tenus sur le réel, tandis que la notion de sujet se trouve elle-même malmenée par la mise en cause du personnage et des cloisons séparant les différentes consciences. De fait, Sartre fait un usage mesuré de ces notions : le lieu commun chez Sarraute met en question l’utopie collective d’une objectivité stable, et, réciproquement, les mouvements de la « sous-conversation » ne se déroulent pas dans une conscience unifiée et close sur elle-même, et « sont aussi des rapports avec autrui » 610 . Mais, précisément, en montrant que l’opposition subjectif/objectif est mise à mal dans Portrait d’un inconnu, Sartre se donne les moyens d’envisager l’œuvre en dehors de la catégorie du « psychologique », et d’introduire une approche plus philosophique : le recours à la phénoménologie, qui, précisément, conteste la partition tranchée entre sujet et objet au profit d’une conception transitive de la conscience impliquant une co-constitution du sujet et du monde qui l’environne, apparaît dès lors légitimé. De fait, Sartre introduit par la suite le terme heideggerien de « parlerie », et la notion d’« Authenticité », définie comme « vrai rapport avec les autres, avec soi-même, avec la mort » 611 . Le clivage entre lieu commun et « sous-conversation » est donc situé sur un plan ontologique et non plus psychologique.

La difficulté, voire l’impossibilité, de faire paraître dans le « lieu commun » ce qui se meut dans la « sous-conversation », difficulté que pointe Sartre, l’amène à reconnaître la hantise du « rien », qui habite le narrateur, et risque de décevoir les lecteurs. Par deux fois en effet, Sartre y insiste : au terme de sa quête, « le narrateur ne trouvera rien, ou presque » 612  ; plus loin, il note que « derrière le mur de l’inauthentique », il n’y « rien, ou presque » 613 . Dans la première occurrence, l’expression prend place dans une description générale du livre, et vise à prévenir les lecteurs que la quête du narrateur ne débouche pas sur un apprentissage substantiel. Dans la seconde, « rien, ou presque » explicite les présupposés qui justifient l’inaboutissement de cette enquête : le « rien » désigne le règne de l’« inauthentique », la défense de la communauté face à ce qui brouille ses lieux communs fondateurs. Après avoir cité un long passage où la « nudité protoplasmique » des êtres et leur plasticité apparaissent, Sartre conclut ainsi : « Il n’arrive jamais rien. D’un commun accord, les interlocuteurs tirent sur cette défaillance le rideau de la généralité » 614 . Le « presque rien » suggère en revanche la possibilité de l’« Authenticité », que l’œuvre, sans nous la faire voir, nous fait « pressentir », selon Sartre.

La subversion du dedans et du dehors, le clivage entre la labilité des mouvements de la « sous-conversation » et la fixité du lieu commun qui domine la conversation et ses rituels 615 , sur lesquels Sartre axe les pages qu’il consacre à Sarraute, structurent effectivement l’univers de ses fictions. Sa préface, très didactique, vise à expliciter et légitimer ce qui, dans ce « livre difficile et excellent » 616 , pourrait rebuter les lecteurs : cette légitimation s’effectue par l’explicitation en termes philosophiques de ce que la poétique de Sarraute présente de plus déroutant. L’universalisme revendiqué par Sarraute se trouve de fait confirmé par cette transposition : refusant une lecture psychologique, Sartre ne rapporte à aucun moment la « vision protoplasmique de notre univers intérieur » à une idiosyncrasie du narrateur, attribue sans ambiguïté possible cette vision à Sarraute elle-même et cherche à dégager les enseignements de ce qui est considéré comme une vision du monde. De même, il lève certaines ambiguïtés de la fin du livre, soulignant que le soulagement que peut provoquer l’apparition d’« un “Monsieur Dumontet” » provoque un « calme mortuaire » 617 . En centrant ses analyses sur des questions ontologiques, et sur la vérité philosophique dont l’œuvre est porteuse, Sartre invite en acte les lecteurs du livre à opérer la repragmatisation qui constitue, nous l’avons vu, l’horizon de la lecture que cherche à provoquer Sarraute : le je, le nous, que privilégie Sartre tout au long de sa préface, témoignent bien du fait que ce qui se joue dans la fiction touche selon lui à des réalités autres qu’imaginaires, et que tout un chacun est invité à s’approprier pour son propre compte. La première personne qu’utilise Sartre, alternant avec le nous, peut ainsi coïncider avec l’expérience du narrateur ou de tel autre personnage de Portrait d’un inconnu, mais ne renvoie pas uniquement au signataire de la préface : c’est bien d’un je de philosophe qu’il s’agit, décrivant une expérience universelle 618 , et susceptible de correspondre à n’importe quel sujet particulier. Mais ce déplacement l’amène à contester les catégories mêmes à travers lesquelles Sarraute envisage son œuvre et cherche à la faire reconnaître. Dans les dernières lignes de la préface, c’est bien à Sartre lui-même que renvoie la première personne :

‘Le meilleur de Nathalie Sarraute, c’est son style trébuchant, tâtonnant, si honnête, si plein de repentir, qui approche de l’objet avec des précautions pieuses, s’en écarte soudain par une sorte de pudeur ou par timidité devant la complexité des choses et qui, en fin de compte, nous livre brusquement le monstre tout baveux, mais presque sans y toucher, par la vertu magique d’une image. Est-ce de la psychologie ? Peut-être Nathalie Sarraute, grande admiratrice de Dostoïevsky, voudrait-elle nous le faire croire. Pour moi je pense qu’en laissant deviner une authenticité insaisissable, en montrant ce va-et-vient incessant du particulier au général, en s’attachant à peindre le monde rassurant et désolé de l’inauthentique, elle a mis au point une technique qui permet d’atteindre, par-delà le psychologique, la réalité humaine, dans son existence même 619 .’

Faisant implicitement référence à « De Dostoïevski à Kafka » 620 , Sartre situe la démarche de Sarraute « au-delà » du domaine où elle se place elle-même, et finalement la valeur de son œuvre réside dans le fait qu’elle rejoint des préoccupations existentialistes alors même que son auteur entendait explorer la psychologie. De même que, dans son article critique, Sarraute s’emploie à montrer que Camus, malgré qu’il en ait, s’inscrit finalement dans une tradition d’analyse psychologique, Sartre annexe de façon symétrique la démarche de Sarraute à ses propres conceptions philosophiques et littéraires.

La traduction de la démarche de Sarraute en termes sartriens n’a pas les mêmes conséquences qu’elle avait dans le cas de Ponge : la « pétrification » que Sartre discernait chez lui, invalidant le projet « révolutionnaire » et didactique, remettait en cause les fondements mêmes de la poétique pongienne. Pour ce qui est de Sarraute, les enjeux, en terme de portée pragmatique de l’œuvre, semblent moindres : la « leçon » existentielle que Sartre tire de Portrait d’un inconnu, tend même, on vient de le voir, à conférer une consistance ontologique certaine à « l’autre réalité », qualifiée par Sartre de « réalité humaine ». Cette transposition n’est pas cependant sans imposer certains écarts par rapport à la conception de « l’autre réalité » que Sarraute entend faire percevoir. En effet, de façon implicite chez Sartre, la plongée dans l’inauthentique du lieu commun engage un libre choix : elle est ainsi désignée comme « fuite dans les objets, fuite dans les occupations quotidiennes, fuite dans le mesquin » 621 . L’emprisonnement dans l’inauthentique apparaît bien comme un refus d’agir librement, le fruit d’un choix moral. Le fait que Sartre place à l’horizon de l’œuvre de Sarraute la possibilité d’une « Authenticité », que l’on nous « fait pressentir », correspond également au souci de maintenir l’usage possible de la liberté face au « mur de l’inauthentique » 622 . Sartre refuse donc de voir dans le « lieu commun » une fatalité de toute conversation. Or, le ressassement de poncifs résulte souvent, dans Portrait d’un inconnu comme dans la suite de l’œuvre, d’un attrait irrésistible pour la communion avec le groupe, d’une impulsion à entrer dans « le lieu de rencontre de la communauté » 623 qui ne peut se faire que par la profération de lieux communs : le « ç’a été plus fort que moi » (PI, 41) qui ouvre le livre est incompatible avec la pensée de Sartre. Ce qui, dans l’œuvre, tend à situer les drames « aux limites de notre conscience » (ES, 1553), selon la définition que Sarraute donnera du tropisme en 1964, donc à postuler qu’une part de nos actes est incontrôlée et échappe à une libre détermination, est écarté par Sartre. Plus fondamentalement, la morale qui sous-tend sa lecture présuppose une axiologie relativement stable. En cela, la « réalité humaine » qu’il distingue chez Sarraute, celle d’une humanité en proie au « monde rassurant et désolé de l’inauthentique », se différencie nettement de « l’autre réalité » telle que Sarraute elle-même la conçoit, réalité qui ne peut être perçue que par la mise en cause des valeurs reconnues, et de toute caractérisation morale fixe. La façon dont Sartre situe de manière univoque le lieu commun du côté de l’inauthentique est révélatrice à cet égard : il rappelle certes que ce « beau mot a plusieurs sens » 624 , mais c’est bien l’exploration de ses manifestations dans l’œuvre qui lui permet de conclure que Sarraute « nous fait voir le mur de l’inauthentique », qu’« elle nous le fait voir partout » 625 . Or, si le lieu commun est bien chez Sarraute un lieu d’aliénation et d’oppression, il permet aussi qu’affleure ce qu’elle considère comme authentique 626 par excellence, le tropisme 627 .

Le rattachement de l’œuvre de Sarraute à la philosophie existentialiste, explicité à la fin de la préface de Sartre, présuppose donc l’appréhension de l’œuvre en fonction de catégories prédéfinies et stables : la technique romanesque que Sartre défend pour sa génération d’écrivains dans Qu’est-ce que la littérature ?, si elle se rapproche bien, comme on l’a vu, des options esthétiques de Sarraute, s’appuie cependant sur des notions subsumantes et fermes qui encadrent l’entreprise romanesque et lui donnent son sens : la narration est toujours pour Sartre située « au sein de l’Histoire », entre la « descente sans recours vers le Mal » et la « montée vers le Bien » 628 . Cette axiologie ferme est sous-jacente à la lecture qu’il opère de Sarraute, et se manifeste dans la contestation finale de la catégorie du « psychologique ». De ce point de vue, la recatégorisation finale de l’œuvre comme entreprise existentialiste, recatégorisation qui conteste la matière « psychologique » défendue par Sarraute, est corrélative de la requalification générique de l’œuvre comme « anti-roman », qui ouvre le texte de Sartre. Dans les deux cas, il s’agit de contester les mots de l’auteur pour envisager et désigner son œuvre, et d’appréhender le livre en fonction de catégories nettement définies.

En effet, dès la première phrase de la préface, Sartre situe Portrait d’un inconnu au sein d’un groupe d’œuvres, et conteste la mention générique située sur la couverture du livre :

‘Un des traits les plus singuliers de notre époque littéraire c’est l’apparition, çà et là, d’œuvres vivaces et toutes négatives qu’on pourrait nommer des anti-romans. Je rangerai dans cette catégorie les œuvres de Nabokov, celles d’Evelyn Waugh et, en un certain sens, Les Faux-Monnayeurs. […] Les anti-romans conservent l’apparence et les contours du roman ; ce sont des ouvrages d’imagination qui nous présentent des personnages fictifs et nous racontent leur histoire. Mais c’est pour mieux décevoir : il s’agit de contester le roman par lui-même, de le détruire sous nos yeux dans le temps qu’on semble l’édifier, d’écrire le roman d’un roman qui ne se fait pas, de créer une fiction qui soit aux grandes œuvres composées de Dostoïevsky et de Meredith ce qu’était aux tableaux de Rembrandt et de Rubens cette toile de Miró, intitulée Assassinat de la peinture. Ces œuvres étranges et difficilement classables ne témoignent pas de la faiblesse du genre romanesque, elles marquent seulement que nous vivons à une époque de réflexion et que le roman est en train de réfléchir sur lui-même. Tel est le livre de Nathalie Sarraute : un anti-roman qui se lit comme un roman policier 629 .’

L’introduction de la catégorie d’anti-roman répond visiblement à un souci didactique de Sartre, souci du reste sensible dans l’ensemble de cette préface : il affronte d’emblée ce qui, dans le texte de Sarraute, déçoit les attendus traditionnels du roman et pourrait décourager la lecture. La série d’écrivains cités - Nabokov, Evelyn Waugh et Gide -, pour surprenante qu’elle puisse paraître, vise à légitimer par avance l’entreprise de Sarraute, en dépit du caractère déceptif de l’œuvre : en la rapprochant d’œuvres prestigieuses et d’écrivains reconnus, Sartre réclame pour elle une attention certaine. La phrase qui clôt notre citation, suggérant que l’intérêt romanesque est intact malgré le travail de destruction du roman que Sartre discerne dans Portrait d’un inconnu, semble répondre au même souci d’encourager la lecture malgré les difficultés. Le fait que cette formule (« un anti-roman qui se lit comme un roman policier ») ait été inscrite sur le bandeau publicitaire, lors de la première édition du livre en 1948, est révélatrice à cet égard : la référence au roman policier laisse supposer que l’attention pour l’intrigue, la recherche de la résolution d’une énigme, constitue malgré tout le moteur de la lecture, même si Sartre précise tout de suite que cette référence ne peut être considérée que de manière parodique, et que la quête n’aboutit pas 630 . Mais, outre ce souci didactique, et les impératifs qu’impose l’exercice de la préface, impératifs de légitimation et, pourrait-on dire, d’ordre commercial, il est significatif que la démarche de Sartre consiste d’abord à créer une catégorie englobante à travers laquelle il choisit d’appréhender cette « œuvre étrange et difficilement classable ». L’appellation générique qu’il invente vise à cerner ce qui contrevient aux attendus romanesques dans les livres qu’il envisage, et en creux se dessine donc une définition précise de ce qu’est le roman : « des ouvrages d’imagination qui nous présentent des personnages fictifs et nous racontent leur histoire ». L’anti-roman s’adosse donc à une définition précise du roman, et si les œuvres que regroupe cette appellation sont dites « toutes négatives » et se caractérisent selon Sartre par leur travail de « destruction » du genre, la catégorie contribue paradoxalement à conférer une consistance certaine à la définition du roman mise en cause. L’invention d’une étiquette générique, au seuil de la préface, indique à la fois la nécessité d’adapter les catégories de lecture à l’œuvre particulière de Sarraute, et le fait que, malgré tout, c’est par rapport à ces catégories que va être envisagé le livre, rapport d’opposition frontale et de négation trait pour trait en l’occurrence.

En classant l’œuvre dans un sous-genre, qui lui préexiste et compte déjà d’autres œuvres, Sartre l’insère donc dans un projet collectif, même si les écrivains qu’il convoque forment un ensemble très hétérogène : en cela, la catégorisation conteste la singularité radicale que Sarraute réclame pour son œuvre. Plus fondamentalement, Sartre donne une forme claire et nommée au processus de déstabilisation générique auquel Sarraute confronte son lecteur : par là même, la catégorisation générique proposée tend à court-circuiter l’expérience de désorientation que cherche à provoquer Sarraute, en assignant l’œuvre par avance à un lieu générique déterminé. De façon moins patente que pour Ponge, mais tout aussi prégnante, la lecture de Sartre est donc informée par une précompréhension générique forte. La suite de l’analyse qu’il propose de Portrait d’un inconnu vise ainsi à expliciter les raisons de la forme qu’il a d’abord nommée : l’anti-roman apparaît d’abord comme un choix formel qui permet à Sarraute de « sauvegarder sa bonne foi de conteuse » 631 , puisqu’il subvertit les règles narratives du roman traditionnel. La requalification générique est ensuite justifiée par le « sujet » choisi, sujet non romanesque selon Sartre :

‘C’est la « parlerie » de Heidegger, le règne du « on » et, pour tout dire, le règne de l’inauthenticité. Et, sans doute, bien des auteurs ont effleuré, en passant, éraflé le mur de l’inauthenticité, mais je n’en connais pas qui en ait fait, de propos délibéré, le sujet d’un livre : c’est que l’inauthenticité n’est pas romanesque. Les romanciers s’efforcent au contraire de nous persuader que le monde est fait d’individus irremplaçables, tous exquis, même les méchants, tous passionnés, tous particuliers. Nathalie Sarraute nous fait voir le mur de l’inauthenticité 632 .’

La thématique de l’anti-roman est à nouveau évoquée au moment où Sartre s’emploie plus précisément à traduire la poétique de Sarraute en termes philosophiques. L’inauthenticité, sujet non romanesque selon Sartre, est d’autant plus aisément reconnue comme la question centrale de l’œuvre que celle-ci a été qualifiée précédemment d’anti-roman. Réciproquement, le choix de l’anti-roman, choix attribué implicitement à Sarraute elle-même, est justifié a posteriori par ce sujet qualifié de non romanesque. Or, on l’a vu, c’est à partir de la problématique de l’inauthenticité que Sartre discute la dimension psychologique de l’œuvre, pour finalement l’inscrire dans un questionnement existentialiste. Aux deux extrémités de son texte, il conteste donc les termes dans lesquels Sarraute entend faire lire son œuvre (« roman » et « psychologie »), et en substitue d’autres (« anti-roman » et « existence »). Si, en apparence, ces oppositions sont sans rapport direct entre elles - roman/anti-roman renvoyant à la catégorisation générique, tandis que le clivage psychologie/existence intéresse les options philosophiques qui sous-tendent l’œuvre - elles s’avèrent donc finalement solidaires : en effet, c’est la catégorie de l’anti-roman, d’où Sartre lit Sarraute, qui justifie l’introduction de la notion d’inauthenticité, notion permettant elle-même de situer l’œuvre dans une problématique existentialiste. Sartre fait ainsi découler le sens de l’entreprise de Sarraute du statut générique qu’il attribue à Portrait d’un inconnu, et son interprétation s’étaye là encore sur une partition générique ferme, une conception relativement stable de ce qui relève du romanesque et de ce qui s’y oppose, conception que nous avons déjà rencontrée à propos de Ponge, et qui se retrouve dans Qu’est-ce que la littérature ?.

Le texte de Sartre déplace donc l’œuvre de Sarraute : d’un point de vue générique, il propose une recatégorisation, et, corrélativement, l’accent est mis sur un questionnement ontologique et existentiel dont Portrait d’un inconnu serait porteur, plutôt que sur une exploration « psychologique ». Si l’entreprise de Sarraute n’est pas radicalement mise en question, comme c’était le cas à propos de Ponge, il n’en reste pas moins que ce déplacement infléchit notoirement l’interprétation de l’œuvre, ou plus exactement la flèche, du fait du statut de préface de ce texte. Par là même, l’espace de la lecture tel que Sarraute tente de le mettre en place, avec ses indéterminations et ses contradictions, se trouve situé selon des coordonnées qui ne sont pas les siennes. Comme dans le cas de Ponge, l’intervention de Sartre remet fortement en cause la souveraineté auctoriale sur le texte. Cette remise en cause est même plus problématique encore dans le cas de Sarraute, la préface étant structurée par la contestation de ses propres termes (« roman » et « psychologie ») : si le texte de Sartre légitime l’œuvre, il exerce sur elle une emprise d’autant plus forte qu’il lui est accolé et que, au moment de sa parution, Sarraute paraît très proche des Temps modernes et de la pensée sartrienne. Dès lors s’impose pour elle la nécessité de se différencier de celui qui risque d’apparaître comme un maître à penser, pour elle et pour ses lecteurs.

Notes
590.

D’après Sarraute, dans ses entretiens avec Simone Benmussa, Sartre l’a du reste activement aidée dans cette recherche, rencontrant Paulhan pour tenter de le convaincre, puis faisant finalement accepter le manuscrit par Robert Marin (Nathalie Sarraute, Qui êtes-vous ?, Lyon, La Manufacture, 1987, repris in S. Benmussa, Entretiens avec Nathalie Sarraute, Tournai, La Renaissance du Livre, « Signatures », 1999, p. 42-43).

591.

A savoir « Paul Valéry et l’enfant d’éléphant », « De Dostoïevski à Kafka » (1947) et « L’Ere du Soupçon » (1950), tous trois dans Les Temps modernes. La défense du « psychologique » contre l’absurde et les écrivains américains dans les deux derniers articles est certes une réponse de Sarraute à la préface de Sartre. Il nous importe néanmoins ici de montrer en quoi ces articles témoignent malgré tout d’une proximité initiale de la pensée critique de Sarraute avec les conceptions de Sartre.

592.

J.-P. Sartre, « Monsieur François Mauriac et la liberté », Situations I, op. cit., p. 36.

593.

Sarraute cherche également à minimiser le rôle du christianisme de Dostoïevski, pour accentuer le caractère universel de sa vision : tous ses personnages ont ainsi l’intuition d’avoir un « fond commun », d’où les « surprenantes divinations » dont il font preuve. Sarraute précise immédiatement que « ces pressentiments, cette lucidité, ce don surnaturel de pénétration, […] ne sont pas seulement le privilège de ceux qu’éclaire l’amour chrétien, mais de tous ces personnages louches, de ces parasites au langage sucré et âcre, de ces larves qui fouillent sans cesse et remuent les bas-fonds de l’âme et flairent avec délices la boue nauséabonde » (ES, 1569-1570, nous soulignons).

594.

Au surplus, La Nausée est mentionné dans « L’Ere du soupçon » parmi « les œuvres les plus importantes de notre temps » (ES, 1578).

595.

J.-P. Sartre, « Sartoris, par W. Faulkner » (février 1938), Situations I, op. cit., p. 8.

596.

« A propos de Le Bruit et la fureur, la temporalité de Faulkner » (juillet 1939), Situations I, op. cit., p. 74.

597.

Il fait d’ailleurs à propos de Camus des remarques très proches de celles qu’il formulera sur Ponge : « Il lui faut décrire avec des mots, en assemblant des pensées, le monde avant les mots. » « [Chaque phrase] refuse de profiter de l’élan acquis par les précédentes, chacune est un recommencement » (« Explication de L’Etranger » (février 1943), Situations I, op. cit., respectivement p. 103 et 105).

598.

Ibid., p. 105-106.

599.

Ibid., p. 112.

600.

« Par la vertu de l’analyse, des explications psychologiques, […] les contradictions et les invraisemblances [du livre d’Albert Camus] s’expliquent et l’émotion à laquelle nous nous abandonnons enfin sans réserve se trouve justifiée » (ES, 1563).

601.

Avec la polémique, à partir de la fin des années 1950, entre les tenants du « Nouveau Roman » et les partisans de la littérature engagée, on a eu tendance à minimiser a posteriori les points de convergence initiaux entre les conceptions de Sarraute et celles de Sartre. Cependant, à lire parallèlement les analyses que l’un et l’autre consacrent à L’Etranger, il paraît douteux, contrairement à ce qu’affirme Jean-Yves Tadié, que le « retournement si subtil » opéré par Sarraute, faisant de l’œuvre un « roman psychologique », ait « [échappé] à la direction des Temps modernes », puisque Sartre lui-même avait noté des ambiguïtés similaires à propos du roman de Camus (J.-Y. Tadié, « Un traité du roman », L’Arc, n° 95, 1984, p. 55). Que, dans les mêmes articles, Sarraute cherche aussi à se démarquer de Sartre n’annule pas ces convergences.

602.

J.-P. Sartre, Qu’est-ce que la littérature ?, op. cit., p. 226.

603.

En 1987 encore, lors de ses entretiens avec Simone Benmussa, Sarraute fait de Sartre la référence unique à cette époque, minimisant notoirement le rôle des autres pôles structurant le champ littéraire, notamment la NRF. A propos des années de l’immédiat après-guerre, elle déclare ainsi : « Les Temps modernes était, à ce moment-là, l’unique revue littéraire. […] Pendant des années il y a eu Les Temps modernes et c’est tout. Les autres n’existaient pas. C’était le seul phare, la seule publication où il fallait paraître » (S. Benmussa, Entretiens avec Nathalie Sarraute, op. cit., p. 41).

604.

J.-P. Sartre, « Préface à Portrait d’un inconnu », in N. Sarraute, Œuvres complètes, p. 36.

605.

J.-P. Sartre, « L’Homme et les choses », op. cit., p. 265.

606.

J.-P. Sartre, « Préface à Portrait d’un inconnu », op. cit., p. 38.

607.

Ibid.

608.

Ibid., p. 36.

609.

Ibid., p. 37.

610.

Ibid., p. 38.

611.

Ibid., p. 37.

612.

Ibid., p. 35-36.

613.

Ibid., p. 37.

614.

Ibid., p. 39.

615.

Sartre, faisant écho aux nombreuses métaphores religieuses présentes chez Sarraute, insiste en effet à plusieurs reprises sur le caractère rituel des échanges sociaux : « en réfléchissant mon attitude, mon jugement, [lorsque je me conforme aux lieux communs, les autres] lui communiquent un caractère sacré ». A propos d’un des textes des Tropismes, il indique que « les femmes passent leur vie à communier dans le lieu commun » (ibid., respectivement p. 36 et 37).

616.

Ibid., p. 39.

617.

Ibid.

618.

Par exemple dans ce passage, où Sartre décrit le fonctionnement de la première des trois « sphères » du lieu commun qu’il distingue chez Sarraute (sphère du caractère, du lieu commun moral, sphère de l’art) : « Si je fais le bourru bienfaisant, comme le vieux père de Portrait d’un inconnu, je me cantonne dans la première » (ibid., p. 36).

619.

Ibid., p. 39.

620.

Ou au moins à des conversations particulières avec Sarraute, qu’il connaît depuis 1941. « De Dostoïevski à Kafka » paraît en 1947, probablement l’année où Sartre rédige sa préface.

621.

Ibid., p. 37.

622.

Ibid.

623.

Ibid., p. 36.

624.

Ibid.

625.

Ibid., p. 37.

626.

En un sens certes moins précis que l’emploi qu’en fait Sartre.

627.

La préface à L’Ere du soupçon s’oppose encore une fois à la lecture de Sartre : Sarraute y écrit que les « drames » provoqués par le déploiement des tropismes « débouchent à tout moment sur ces apparences [les conversations les plus banales, les gestes les plus quotidiens] qui à la fois les masquent et les révèlent » (ES, 1554, nous soulignons).

628.

J.-P. Sartre, Qu’est-ce que la littérature ?, op. cit., p. 226.

629.

J.-P. Sartre, « Préface à Portrait d’un inconnu », op. cit., p. 35.

630.

A la suite du passage cité, il écrit en effet : « C’est une parodie de romans “de quête”. […] [Le narrateur] ne trouvera rien d’ailleurs, ou presque rien » (ibid., p. 35-36).

631.

Ibid., p. 36.

632.

Ibid., p. 37.