Ponge ne se détourne pas purement et simplement du mouvement existentialiste après la publication de « L’Homme et les choses » : il figure au sommaire du premier numéro des Temps modernes, dédicace « La Guêpe » à Sartre et Beauvoir, et, plus généralement, les références à Sartre se multiplient dans ses écrits. Mais, dans cette stratégie éditoriale, il s’agit toujours pour lui de rendre perceptible sa « qualité différentielle » à l’égard du contexte littéraire et philosophique dans lequel il semble à première vue s’inscrire.
Lorsqu’il contribue aux Temps modernes, Ponge donne ainsi les « Notes premières de “L’Homme” ». Si le texte est en grande partie rédigé en 1942-1943, et prolonge le dialogue engagé avec Camus à propos de l’absurde, il apparaît dans le contexte de sa première publication comme une réponse à l’anti-humanisme que Sartre discerne dans son œuvre. Du point de vue de la réception, le texte semble en plusieurs endroits répliquer directement à Sartre, notamment dans ce passage, où Ponge situe « L’Homme » à l’horizon de son entreprise d’écriture :
‘Le caillou, le cageot, l’orange : voilà des sujets faciles. C’est pourquoi ils m’ont tenté sans doute. Personne n’en avait jamais rien dit. Il suffisait d’en dire la moindre chose. Il suffisait d’y penser : pas plus difficile que cela.’ ‘Mais l’homme, me réclame-t-on.’ ‘L’homme a fait - à plusieurs titres - le sujet de millions de bibliothèques. […]’ ‘Pourtant l’on n’a jamais tenté, - à ma connaissance - en littérature un sobre portrait de l’homme. Simple et complet. Voilà ce qui me tente. Il faudra dire tout en un petit volume… Allons ! A nous deux ! (PR, I, 226-227).’Le « on » qui réclame « l’homme », peut s’identifier en 1945 à Sartre lui-même. Il apparaît de plus comme l’aboutissement de la démarche de Ponge, dont Le Parti pris des choses constituerait un ensemble de travaux préparatoires. Mais, si ces « Notes premières » peuvent ainsi apparaître comme la réponse à une « réclamation » de Sartre, la suite du texte réaffirme l’ambition de Ponge d’aborder son « objet » selon ses voies propres, qui divergent notoirement de la direction que lui indiquait Sartre dans l’article de 1944 : les « intrusions fâcheuses de la science » se multiplient ainsi dans la suite du texte, et les discours scientifiques sont même inclus dans la définition de l’homme, qui « se maintient par des vibrations continues » (ibid., 227) 636 , est composé de « mouvements browniens » (ibid., 228). Le matérialisme de Ponge continue à s’étayer sur les découvertes scientifiques. Le texte qui paraît dans Les Temps modernes lui permet ainsi de s’inscrire en faux par rapport au reproche d’anti-humanisme, mais « Les notes premières » ne peuvent pas pour autant se lire comme une réhabilitation de l’humanisme traditionnel : l’évidence de la catégorie « homme » est contestée, de sorte qu’elle ne peut fonder une pensée stable, Ponge envisageant l’homme comme une construction en cours, une notion dont l’unité est problématique, et que le texte finalement pulvérise :
‘Le Parti pris des choses, Les Sapates sont de la littérature type de l’après-révolution.’ ‘*’ ‘L’Homme est à venir. L’homme est l’avenir de l’homme.’ ‘*’ ‘« Ecce homines » (pourra-t-on dire plus tard…) ou plutôt non : ecce ne voudra jamais rien dire de juste, ne sera jamais le mot juste.’ ‘Non pas vois (ci) l’homme, mais veuille l’homme (ibid., 230).’L’idée unifiée de l’homme, idée intangible, est finalement rejetée au profit d’une multiplicité d’individus : le texte n’emprunte pas à une pensée préexistante, mais se rêve comme une parole fondatrice d’une humanité se caractérisant par sa variété. « Les hommes » sont à cet égard en construction, construction discursive, le texte « homme » et la chose « homme » étant appelés à advenir simultanément. La contribution de Ponge aux Temps modernes marque donc bien un souci de dialoguer avec le discours de Sartre, elle manifeste un compte tenu de sa parole, mais ce dialogue est conflictuel. Ponge persiste dans la voie qui est la sienne, en prenant le contre-pied des analyses de Sartre : il revendique la portée révolutionnaire (ou post-révolutionnaire) de ses écrits, la légitimité des discours scientifiques dans notre appréhension des choses, relit lui-même son propre parcours en plaçant l’édification de l’homme comme aboutissement de son œuvre. Mais surtout, il affirme le rôle fondateur des paroles (la sienne propre en l’occurrence) dans la constitution des choses, fussent-elles humaines.
La dédicace de « La Guêpe » à Sartre et Beauvoir revêt le même caractère ambivalent que le texte donné aux Temps modernes : comme toute dédicace, elle prend la forme d’un don amical, mais elle confère a posteriori 637 un sens polémique à certains passages du texte. Le premier mot, « hyménoptère », de même que les nombreuses allusions aux discours scientifiques, prennent ainsi une allure de réplique désinvolte aux injonctions de Sartre : Ponge affirme son autonomie d’écrivain, contre les conseils de Sartre.
Mais, au-delà de la figure de Sartre, c’est plus généralement contre la philosophie que Ponge est amené à réaffirmer la singularité de son entreprise durant cette période. La conclusion de Sartre 638 fait ainsi directement écho à la fin de la lettre que Camus lui avait adressée en janvier 1943, et où il qualifiait le Parti pris des choses d’« œuvre absurde à l’état pur » 639 . Cette longue lettre témoigne, comme la lecture de Sartre, d’une approche philosophique du recueil : si Camus reconnaît que Ponge aborde la question de l’absurde « sur le plan de l’expression » 640 et non sur celui des idées, il affirme néanmoins que la problématique pongienne est réductible à un questionnement philosophique : « je crois ainsi qu’en réalité le problème du langage est d’abord un problème métaphysique, et que c’est comme tel qu’il est voué à l’échec » 641 . Pour finir, Camus dit plaisamment espérer que Le Carnet du Bois de pins va déboucher sur une théorie, « une Philosophie du Minéral », des « Prolégomènes à une métaphysique de l’Arbre » ou un « Essai sur les attributs de la Chose » 642 . On voit bien en quoi l’appréhension de Ponge par Camus peut se rapprocher de la lecture de Sartre : entreprise métaphysique dont les problèmes langagiers trahissent une « nostalgie de l’immobilité » 643 ou « nostalgie de l’unité profonde de l’univers » 644 notamment sensible dans « Le Galet », elle est œuvre de penseur, amenée à apporter sa pierre à l’édifice philosophique. Contrairement à ce qui se passe avec Sartre, c’est Ponge qui choisit de rendre public le dialogue qui se noue avec Camus, d’abord par l’adjonction des « Pages bis » aux Proêmes publiés en 1948, puis par la publication de la lettre de Camus dans le numéro d’hommage que la NRF lui consacre en 1956. Deux séries d’explications peuvent rendre compte de ce choix : dans le contexte de l’après-guerre, où les concepts philosophiques ont une influence certaine sur le discours critique, Ponge éprouve la nécessité d’expliciter ses positions à leur égard. Par la publication des « Pages bis », il s’agit en outre de montrer l’œuvre en cours d’élaboration, y compris dans le dialogue qui s’engage avec des discours extérieurs, discours qui permettent que se dégage la « qualité différentielle » de cette œuvre. Les « réflexions en lisant l’“essai sur l’absurde” », qui composent la première des « Pages bis », sont datées de 1941, et précèdent donc la lettre de Camus. La proximité entre les vues de ce qui deviendra Le Mythe de Sisyphe et la poétique de parti pris y est reconnue, et Ponge tente même de traduire son projet « en termes camusiens » : « lorsque le poème m’est pressant, c’est la nostalgie. Il faut la satisfaire, s’épancher (ou tenter de décrire) » (PR, I, 207). Mais la suite de ces réflexions s’attache à dégager une différence entre « l’essai sur l’absurde » et l’entreprise que Ponge conduit, la « nostalgie » étant identifiée au « souci heideggerien », dont l’« homme nouveau » que Ponge cherche à créer se détourne : « L’homme nouveau n’aura cure (au sens du souci heideggerien) du problème ontologique ou métaphysique, - qu’il le veuille ou non primordial encore chez Camus » (ibid., 209). Ponge applique ici à l’égard de « L’essai sur l’absurde » la méthode qu’il préconise dans « L’introduction au “Galet” » : accepter dans un premier temps « l’envahissement de sa personnalité par les choses », en l’occurrence par l’essai de Camus ; puis, « pour éviter que cela tourne au mysticisme » (ibid., 203), nommer les qualités de cette chose pour s’en différencier.
Mais la réponse de Camus, pour amicale qu’elle soit, dénie cette différence, puisque la problématique du langage est identifiée à un problème métaphysique. Dans les pages rédigées après cette réponse, Ponge se positionne ainsi explicitement contre les idées et redéfinit (en la renommant) la métaphysique :
‘Bien entendu le monde est absurde ! Bien entendu, la non-signification du monde !’ ‘Mais qu’y a-t-il là de tragique ?’ ‘J’ôterais volontiers à l’absurde son coefficient de tragique.’ ‘Par l’expression, la création de la Beauté Métaphysique (c’est-à-dire Métalogique).’ ‘Le suicide ontologique n’est le fait que de quelques jeunes bourgeois (d’ailleurs sympathiques).’ ‘Y opposer la naissance (ou résurrection), la création métalogique (la POESIE) (ibid., 213).’Alors que l’entreprise littéraire était dans la lettre de Camus considérée comme le développement d’une réflexion métaphysique, le rapport est ici inversé, puisque la « Beauté Métaphysique » résulte d’un travail d’expression, et n’est pas éprouvée dans le manque (la nostalgie) : la métaphysique, rebaptisée « métalogique », et ainsi allégée de toute référence à une transcendance, est le résultat de la pratique d’écriture, et non plus une catégorie qui explique la littérature de l’extérieur. Inversant le rapport d’inclusion entre la philosophie (et plus particulièrement la métaphysique) et l’écriture, Ponge est en outre conduit à proposer une redéfinition de la poésie comme « création métalogique ». Grâce à la confrontation avec la pensée camusienne, Ponge circonscrit un espace poétique « hors magma » où pourrait s’inscrire son travail, et où il intègre même la problématique métaphysique pour mieux s’en détacher : la recherche de la « qualité différentielle » de l’œuvre - qualité la différentiant de la lecture qu’en fait Camus - amène donc Ponge à renommer la métaphysique et à proposer la définition d’une poésie acceptable à ses yeux.
Très tôt donc, il manifeste la volonté d’inclure dans sa démarche, au seuil de son œuvre (dans sa stratégie éditoriale, dans le geste dédicatoire), mais aussi à l’intérieur même de ses livres (comme dans le cas des « Pages bis » de Proêmes) le dialogue qui s’instaure avec la réception. Qu’il s’agisse d’inscrire sa différence au lieu même qui semble la menacer (par la publication dans Les Temps modernes, par exemple), ou d’incorporer les arguments d’un lecteur trop impérialiste dans le livre même - d’amener Camus en terrain pongien, en quelque sorte -, Ponge pratique le compte tenu des lectures qui sont faites de son œuvre.
Mais ce compte tenu ne prend pas toujours la forme d’un dialogue polémique, et Ponge peut recourir aux mots d’un lecteur, même lorsqu’il s’agit d’un philosophe. Le destin du court article critique que Bernard Groethuysen consacre aux Douze petits écrits dans l’œuvre de Ponge est à cet égard révélateur. Cet article est d’ailleurs lui-même le prolongement d’une parole que l’écrivain lui avait adressé quelques années auparavant : le propos de Groethuysen s’articule ainsi autour de la problématique de la non adéquation entre « mots » et « pensée », qui était au cœur du « Proême à Bernard Groethuysen », écrit en 1924. Ce texte commençait par ces mots : « Les paroles ne me touchent plus que par l’erreur tragique ou ridicule qu’elles manifestent, plus du tout par leur signification » (NR, II, 309). Plus loin, Ponge écrivait : « la Pensée, ce ne sont pas les mots qui m’y feront décider ou changer quoi que ce soit » (ibid.). Le texte est en outre ponctué de deux références à Hamlet, héros de ce drame de l’expression. La recension de Groethuysen se conclut par la citation in extenso du premier des Douze petits écrits, (« Excusez cette apparence de défaut… »), le plus proche des préoccupations exprimées dans le « Proême », jusque dans sa forme, puisque, rappelons-le, ce texte liminaire se présente comme « une réplique d’Hamlet » 645 . Le court texte de Groethuysen reprend les termes du texte à lui adressé : « Le mot n’exprime pas la pensée. Il s’y joint. Ce sont deux êtres qui se sont rencontrés, et qui, heureux de s’être trouvés, se disent : toi et moi. Une alliance se forme alors, quelquefois. Mais la pensée continue son existence propre, et le mot de même » 646 . Alors que le « proême » de 1924 abordait cette inadéquation entre mot et pensée sur un mode tragique, Groethuysen insiste pour finir sur le refus du silence que manifeste le livre de 1926, et sur « la rencontre, l’heureuse rencontre » entre mot et pensée. La note se conclut sur cette phrase : « Une parole est née dans le monde muet » 647 . Là où le divorce entre mot et pensée condamnait en 1924 au renoncement ou à la satire, Groethuysen met l’accent sur la formulation « heureuse », malgré la menace du silence. L’expression « monde muet », on le sait, fera fortune sous la plume de Ponge, pour désigner sa propre entreprise d’écriture : la poétique de parti pris se conçoit comme un ensemble de mots arrachés au silence. Le 18 août 1940, Ponge note ainsi dans « Le Carnet du bois de pins » : « Ces sortes particulières de hangars, de préaux, de halles naturelles ont acquis leur chance de sortir du monde muet, de la mort, de la non-remarque » (RE, I, 385). L’expression « monde muet » revient de façon récurrente au début des années 1950, en particulier dans les textes qui constitueront Méthodes, jusque dans le slogan qui donne son titre à l’une de ces pièces : « Le Monde muet est notre seule patrie » (M, I, 629) 648 . Les préoccupations, et jusqu’aux termes employés dans ce texte, font encore écho aux mots de Groethuysen : si la redéfinition de la fonction de la poésie s’inscrit dans le contexte particulier de la crise générique initiée avec « Le Carnet du bois de pins », il s’agit bien de poursuivre dans l’écriture la « réconciliation » (ibid., 630) de l’homme et du cosmos en faisant des poètes les « ambassadeurs du monde muet » qui, « comme tels, balbutient, murmurent, s’enfoncent dans la nuit du logos » (ibid., 630) 649 . La formule est donc encore, dans ce texte de 1952, liée à la question d’une possible prise de parole : il s’agit de parler malgré tout, en vue d’une « rencontre » (Groethuysen) ou d’une « réconciliation » (Ponge), même impossible. Le « monde muet » apparaît bien comme ce qui motive la prise de parole, une « patrie » certes, mais dont il s’agit de sortir, qui désigne à la fois l’origine de l’écriture, et l’impossible à dire :
‘Nous avons tout à dire… et nous ne pouvons rien dire ; voilà pourquoi nous recommençons chaque jour, à propos de sujets très variés et selon le plus grand nombre de procédés imaginables (ibid., 631).’Tout se passe donc comme si le retournement de la tonalité tragique du « Proême » de 1924 que discernait Groethuysen dès les Douze petits écrits, y privilégiant « l’heureuse rencontre » entre le mot et la pensée, était repris à son compte par Ponge 650 . La formule proposée par Groethuysen devient ainsi le lieu même où s’origine l’écriture selon Ponge. Dans ce texte de 1952, où Ponge refuse les impératifs, dogmatiques à ses yeux, d’une littérature engagée, la formule sert de contre-feu, pour affirmer la « fonction » décisive d’une écriture qui pourtant ne relève pas d’un engagement direct et explicite 651 . Sans que la dette à l’égard de Groethuysen soit à ce propos rappelée, on peut penser que Ponge s’étaie sur l’autorité intellectuelle de son ami philosophe pour riposter à d’autres philosophes (Sartre et Camus notamment) qui tentent de l’entraîner sur un terrain qui n’est pas le sien : « Le monde muet est notre seule patrie » est à cet égard l’un des textes les plus violemment polémiques à l’égard des impératifs de l’engagement. Ponge recourt aux mots d’un philosophe marxiste pour remettre en cause la survalorisation des grands sujets et de la pensée, en des termes extrêmement incisifs :
‘Nous n’avons aucun sentiment d’une hiérarchie des choses à dire. […] Nous ne voulons pas dire ce que nous pensons, qui n’a probablement aucun intérêt (on le voit ici). Nous voulons être DERANGES dans nos pensées. (L’ai-je assez dit ? Je le répète.)’ ‘Le monde muet est notre seule patrie. Nous en pratiquons la ressource selon l’exigence du temps (M, I, 631). ’Ponge se réapproprie les termes de Groethuysen, sans en mentionner l’origine, et en fait même l’une des formules les plus caractéristiques de son entreprise d’écriture, notamment dans la polémique qu’il engage avec d’autres lecteurs 652 : le déploiement de l’œuvre se construit donc par des emprunts, des réponses, un dialogue avec les premières lectures.
Ponge pratique le compte tenu des lectures qui sont faites de son œuvre. Le geste est ambivalent. D’une part, il légitime ses lecteurs, et confirme le rôle de co-réalisateurs du texte qui leur est confié ; Ponge précise en effet son projet, et sa spécificité, à partir des discours extérieurs. Mais, dans le même temps, l’enjeu est de répliquer,par la relativisation ou même le démenti 653 , de réaffirmer l’autonomie de l’œuvre, et la souveraineté de l’écrivain.
Michel Collot rappelle en effet que « depuis le XIXe siècle, les découvertes scientifiques concernant les phénomènes vibratoires et ondulatoires ont servi d’arguments à une conception matérialiste du développement de la vie et de la conscience » (n. 5 de la p. 227, in F. Ponge, Œuvres complètes, I, p. 990).
La dédicace est en effet postérieure de plusieurs années à la rédaction du texte.
« Ponge penseur est matérialiste et Ponge poète - si l’on néglige les intrusions fâcheuses de la science - a jeté les bases d’une Phénoménologie de la Nature » (J.-P. Sartre, « L’Homme et les choses », op. cit., p. 270).
A. Camus, « Lettre au sujet du “Parti pris” », NRF, n° 45, septembre 1956, p. 386.
Ibid., p. 389.
Ibid., p. 390.
Ibid., p. 392.
Ibid., p. 389.
Ibid., p. 390.
Titre original de ce texte lors de sa prépublication, dans Le Disque vert, en 1925.
B. Groethuysen, « Douze petits écrits, par Francis Ponge », Nouvelle Revue Française, n° 163, avril 1927, p. 545.
Ibid.
L’expression scande également les trois premiers chapitres du Pour un Malherbe, écrits à partir de juin 1951. On la retrouve encore dans « Nous, mots français », écrit en 1978 : « Ah, Ne impedias musicam, le fonctionnement universel toujours là, ce mystérieux concert du monde muet, si magnifiquement symbolisé dum Capitolum scandet cum tacita uirgine pontifex, par l’impérissable scène revécue de la grande Vestale silencieuse aux côtés de mon double montant sacrifier à l’autel de nos Pères » (NNR III, II, 1291).
Groethuysen écrivait en 1926 que chez Ponge, « le mot balbutie et la pensée s’agite. Ils se fuient et se disent : ce n’est pas toi. Balbutiements encore et retours inquiets » (« Douze petits écrits, par Francis Ponge », op. cit., p. 545).
En modérant toutefois l’optimisme de la note de Groethuysen, l’« heureuse rencontre » étant désignée comme une utopie impossible à atteindre.
« Les poètes n’ont aucunement à s’occuper de leurs relations humaines, mais à s’enfoncer dans le trente-sixième dessous. La société, d’ailleurs, se charge bien de les y mettre, et l’amour des choses les y maintient ; ils sont les ambassadeurs du monde muet » (M, I, 630-631).
« Le monde muet est notre seule patrie » applique en quelque sorte les mots d’hommage que Ponge consacre à Groethuysen à sa mort, en 1946 : « Il se met à l’intérieur de Votre Pensée pour la débrouiller. Enchevêtré de citations. Il vous guide par vos propres sentiers, les plus fins, dès lors ensoleillés de bonté, de sourire » (« Note hâtive à la gloire de Groethuysen », L, I, 468).
On en rencontre un cas extrême à propos du « Papillon » : lors des réimpressions du Parti pris des choses, Ponge modifie la ponctuation du texte, de sorte que les analyses stylistiques que Sartre avait consacrées à ce texte se retrouvent littéralement sans objet.