III.3.1. Ponge

L’activité éditoriale de Ponge dans l’immédiat après-guerre est intense, mais peu visible : la plupart de ses publications se font dans des revues, ou apparaissent sous forme de plaquettes (comme L’Œillet, La Guêpe, Le Mimosa, chez Mermod, en 1946), parfois luxueuses (à l’image du Verre d’eau, publié en 1949 par la galerie Louise Leiris, avec des lithographies de Kermadec). Plusieurs livres finissent par paraître durant cette période, notamment Proêmes et Le Peintre à l’étude, publiés chez Gallimard en 1948. La Seine, éditée en 1950 par la Guilde du livre, et La Rage de l’expression, qui paraît en 1952 chez Mermod viennent ensuite ; mais, figurant au catalogues d’éditeurs moins connus, ces deux ouvrages suscitent peu de réactions. Toutefois, malgré cette faible diffusion, l’œuvre de Ponge suscite un intérêt constant, quantitativement assez faible, mais émanant de revues (Critique, Les Cahiers du sud, Les Temps modernes) et de signatures (Jean Tortel, Léon-Gabriel Gros, René Etiemble, Roger Nimier) importantes. L’œuvre de Ponge est reconnue dans le paysage poétique de l’époque, figurant systématiquement dans les anthologies, apparaissant régulièrement au sommaire des revues, suscitant l’intérêt de jeunes écrivains (Jaccottet, Du Bouchet, etc.).

La situation de Ponge est donc indécise : on le salue, on lui rend hommage, mais son œuvre est peu accessible. Une image de l’écrivain et de son œuvre est en train de se dessiner, mais elle est malgré tout instable : à côté du « poète des objets », se détournant de l’humain, émerge peu à peu une figure plus complexe, où sont remis en jeu les rapports de l’écriture avec le réel, figure d’une œuvre qui, par le primat qu’elle accorde à son matériau, remet en cause un certain nombre d’attendus poétiques. De fait, les « réponses » de Ponge à sa première réception, et notamment celle consistant à affirmer l’égale importance du « compte tenu des mots » et du « parti pris des choses », contribuent efficacement à déstabiliser les interprétations sartriennes. Plus généralement, cette période coïncide avec le moment où les déclarations anti-poétiques se confrontent à des lecteurs de poésie, les amenant à expliciter les présupposés de leur pratique, de sorte que les interprétations préalables et les critères de généricité habituellement acceptés perdent de leur évidence.

Les interprétations de Sartre continuent à informer un grand nombre de discours critiques, et jouent un rôle de discours fondateur, auquel les lecteurs se réfèrent de façon récurrente. Mais il est sensible que cette référence (plus ou moins explicite) à Sartre, est discutée, et que les conclusions de « L’Homme et les choses » ne s’imposent pas comme une vérité définitive. Rares sont en effet les critiques qui reprennent directement à leur compte ces conclusions, sans les confronter aux démentis que leur apporte la suite de l’œuvre. En 1959 encore, les pages que consacre Suzanne Bernard au Parti pris des choses dans Le Poème en prose de Baudelaire à nos jours sont, on l’a évoqué plus haut, étroitement tributaires des formulations de Sartre : elle s’attarde ainsi sur « la dureté, l’aspect pétrifié que prend souvent la phrase » dans Le Parti pris des choses, et souligne l’« étrange entreprise de minéralisation de l’univers » qui amène l’écrivain à « se complaire dans le rêve d’une époque où l’homme aura disparu » 885 . Cette lecture très déterminée de l’œuvre est d’autant plus significative qu’elle s’opère au nom d’une conception de la littérature en bien des points opposée à celle de Sartre : les propos de la critique à l’égard de Ponge sont certes sévères, mais ce qu’elle lui reproche est de ne pas chercher comme René Char « une réalité supérieure ou spirituelle » 886 , et, plus généralement de manquer de « poésie ». C’est d’ailleurs entre guillemets qu’elle emploie le terme à propos du Parti pris des choses : « La “poésie” de Ponge ne se propose ni de charmer nos oreilles, ni de plaire à notre imagination ; elle se moque de l’homme et de ses “pitoyables qualités” » 887 . Suzanne Bernard reprend donc à son compte les conclusions de Sartre, au nom d’une défense de la poésie entendue comme harmonie, charme, effort spirituel, tous éléments qui aux yeux de Sartre tendent à disqualifier le genre. Alors que la poésie était dans « L’Homme et les choses » ce qui conduisait Ponge à l’« échec » manifesté par « le grand rêve nécrologique », ce même rêve (sensible stylistiquement par la fermeté de la syntaxe) devient pour Suzanne Bernard ce qui tend à exclure Ponge de la poésie : « Dans certains cas, cette construction [des textes du Parti pris des choses] par paragraphes isolés, par facettes, ce manque de liens tirent le poème vers la prose, nous font douter si nous lisons bien un poème, plutôt que des “notations” en prose » 888 .

Située à l’extrémité de notre période d’étude, le discours de Suzanne Bernard est symptomatique de la position singulière qu’occupe Ponge : malgré ses réticences, la critique intègre malgré tout l’œuvre à son corpus, et lui consacre une étude relativement détaillée 889 . L’œuvre de Ponge s’impose donc comme un objet de lecture incontournable. Mais si c’est bien à l’occasion d’une étude sur une forme poétique que Ponge est abordé, son entreprise apparaît finalement difficilement compatible avec les critères de définition du poétique défendus par Suzanne Bernard. Le traitement du corpus est sur ce point éclairant : les Proêmes, qui présentent un nombre important de pièces en prose, sont certes cités, mais toujours à l’appui d’une démonstration, en tant qu’outil métapoétique, et ne sont à aucun moment considérés comme objet d’étude, cet objet étant exclusivement constitué du Parti pris des choses. Dans la mesure où l’auteur reprend à son compte, sans les mettre en perspective, les analyses de Sartre, l’ouvrage de Suzanne Bernard fait plutôt exception par rapport aux discours critiques de cette période. Il est cependant révélateur de la difficulté d’appréhension que suscite l’œuvre de Ponge, et du fait qu’elle apparaît comme un objet complexe et problématique : elle est lue depuis la poésie, mais objecte à cette lecture. Même Le Parti pris des choses, auquel Suzanne Bernard ramène tout l’œuvre, fait problème, et les autres textes ne sont pas considérés comme faisant partie de l’œuvre propre.

A l’autre extrémité de notre période, les interventions de Claude-Edmonde Magny soulignent en revanche la nécessité pour les lecteurs de confronter la référence à Sartre aux positions de Ponge lui-même, confrontation qui fait apparaître les singularités de l’écrivain. L’article publié dans Poésie 46, qui suit immédiatement dans le sommaire les Dix Courts sur la méthode, reprend en effet un certain nombre de concepts et de formules sartriens. Dans « Francis Ponge ou l’homme heureux », Claude-Edmonde Magny salue ainsi la perspicacité de Sartre, qui a su percevoir dans l’œuvre une tentative de synthèse de l’en-soi et du pour-soi, et note comme lui que l’« ambition d’atteindre l’en-soi des choses » éloigne Ponge de son matérialisme initial, et le rapproche « de certaines recherches mystiques » 890 . L’année suivante paraît un autre article consacré à Ponge, à l’occasion de la publication du Carnet du bois de pins : « Francis Ponge ou la transcendance involontaire » prolonge les réflexions de la première étude, mais souligne cette fois la divergence entre le projet de Ponge tel qu’il le revendique, et les interprétations de Sartre. Alors que l’étude de 1946 était plutôt louangeuse, le mysticisme n’y apparaissant que comme une virtualité fâcheuse, l’article de 1947, qui rend compte de la publication séparée du Carnet du bois de pins, porte un jugement plus sévère. Claude-Edmonde Magny cite dès le début de son article l’extrait de la lettre à Audisio où Ponge décrit son texte comme un « effort contre la poésie », et elle ajoute que cette plaquette tend à « faire équilibre aux réussites trop parfaites qui composaient Le Parti pris des choses » 891 . Sa démonstration s’attache cette fois à montrer que Ponge ne fait pas ce qu’il dit et que cette imperfection est malgré tout au service d’un projet anti-humaniste, les descriptions répétées tendant à ôter toute signification au monde : « Ponge a beau nous jurer qu’il est avant tout humaniste, […] nous trouvons chez lui une inverse et corrélative déshumanisation de l’homme, et Sartre ne s’y est pas trompé » 892 . Mais c’est surtout la volonté de produire une connaissance dans l’écriture qui est dénoncée comme une mystification, Claude-Edmonde Magny postulant, malgré la citation qu’elle fait au début de l’article, que l’effort de Ponge tend vers la fabrication d’un poème. En conséquence, la connaissance ne peut être qu’une mystification assimilable à une « opération magique », à une « ambition d’essence mystique » qui rattache Ponge à Breton et Gracq : l’envie de connaître s’alliant à « la volonté de faire un poème » 893 , le matérialisme de Ponge est malencontreusement mâtiné de surréalisme 894 . Claude-Edmonde Magny projette dans le texte « la volonté de faire poème » 895 , et, au nom de cette volonté, conclut comme Sartre à l’échec de Ponge. Mais cette fois, la lecture d’inspiration sartrienne se fait explicitement contre Ponge, alors que l’article précédent entendait lui rendre hommage à partir des présupposés sartriens : avec Le Carnet du bois de pins, une différenciation s’est malgré tout opérée.

Cette même incompatibilité entre poésie et matérialisme est également postulée par André Rousseaux, dans ses chroniques du Figaro, même s’il inverse les valeurs que Claude-Edmonde Magny affecte à ces termes. L’article qu’il consacre à Proêmes commence ainsi : « Francis Ponge est l’un des hommes qui témoignent de la renaissance de la poésie à notre époque » 896 . Suit cette définition du genre : « Le plus bel acte de souveraineté de l’homme sur l’univers. Par la seule vertu de la parole, le poète domine la vie du monde en l’unissant à la sienne ». En cela, l’effort de nomination de Ponge, malgré le paganisme qu’il affiche, est une entreprise adamique, et son œuvre revêt aussi une importance « pour notre vie spirituelle et morale » 897 . C’est la même conception de la poésie comme activité spirituelle qui prévaut encore dans le compte-rendu qu’André Rousseaux fait en 1952 de La Rage de l’expression et de L’Araignée, publiée à l’intérieur de son appareil critique. Citant la phrase de « L’Œillet », « est-ce là poésie ? », il donne la réponse de Ponge (« je n’en sais rien, et peu importe ») avant de proposer la sienne, sans ambiguïté : « La poésie habite ces poèmes » 898 . Il se désolidarise en cela de la vision matérialiste que Georges Garampon donne de l’œuvre, « nulle vie proprement poétique ne [lui paraissant] pouvoir prendre racine dans une pensée matérialiste » 899 .

Bien que les positions philosophiques et politiques défendues par l’un et l’autre lecteurs soient opposées, les interventions de Claude-Edmonde Magny et d’André Rousseaux présentent un certain nombre de convergences : elles postulent toutes deux une présence de la poésie dans les œuvres (même sous la forme amoindrie d’un désir de poésie), et s’appuient sur une conception a priori du genre. Cette conception, commune aux deux critiques, fait de la poésie une activité spirituelle qui présuppose une transcendance, que cette présupposition disqualifie l’œuvre ou en fonde au contraire la valeur. Par l’affirmation du caractère poétique des œuvres contre l’intention générique auctoriale, ces prises de position sont assez radicales. A première vue, ces lectures semblent faire échec à la stratégie anti-poétique de Ponge, la poésie étant restaurée sans ambiguïté dans ses œuvres. Il est néanmoins remarquable que ces deux lecteurs citent des phrases de ses textes posant la question de leur statut générique, ce qui les amène à expliciter leur propre position à l’égard du genre, et les déterminations éthiques et politiques de leur lecture. En cela, la déstabilisation générique produit, même paradoxalement, une lecture de parti pris.

Dès la parution des Proêmes, le statut générique des textes de Ponge fait problème, qu’il s’agisse de nier le statut d’œuvre à ce que Paulhan qualifiait lui-même de « brouillons », ou de s’interroger sur l’articulation de ce nouveau recueil avec Le Parti pris des choses. La réaction la plus violente et la plus épidermique est celle que Maurice Saillet publie dans Le Mercure de France. Il précise d’emblée que la désignation générique relève chez lui d’un usage évaluatif, la poésie se trouvant au sommet de l’échelle des valeurs, et cite Paulhan, qu’il critique par ailleurs violemment à travers Ponge, à l’appui de sa démarche : « En fait, nous appelons couramment poètes les prosateurs qui nous plaisent ; mais prosateurs les poètes qui nous ennuient » 900 . Mais, alors que cette phrase est pour Paulhan un état de fait qu’il déplore, Saillet en retourne délibérément le sens, et fait sienne cette désignation générique évaluative. C’est selon cette échelle de valeur qu’est jugé l’auteur des Proêmes : « Quant à Francis Ponge, qui nous ennuie plus souvent qu’à son tour, il nous est aussi difficile de l’appeler prosateur que poète. C’est pourquoi nous ne l’appelons pas du tout » 901 . Malgré le titre de l’article, « Le proête Ponge », qui retourne le genre (ré)inventé par l’auteur pour disqualifier son œuvre, Saillet se refuse radicalement à réaliser le programme du texte, qui vise précisément à engager le lecteur dans un acte de nomination. Toutefois, malgré ce refus de coopérer, Saillet est amené à expliquer plus précisément ce qu’il entend par poésie. Elle exclut les réalités prosaïques, et le critique est particulièrement choqué par l’« affolant morceau de littérature sur les menstrues des statues » 902 . Proêmes le conduit aussi à reconsidérer rétrospectivement Le Parti pris des choses, composé de « pièces touchantes », qui lui avaient plu par leur « côté “fait à la main” pendant les veillées d’hiver au fond de quelque campagne » 903 . Mais, à la lecture du second recueil, certains traits du premier apparaissent, qui lui ôtent finalement ses qualités « poétiques » : a posteriori, Saillet relève ainsi dans Le Parti pris des choses le « sérieux qui proscrit tout emportement lyrique » 904 , la « chape de plomb que [les textes de Ponge] imposent à notre imagination » 905 , et surtout le didactisme, radicalement incompatible avec l’écriture littéraire, et qui rattache le recueil « tour à tour aux guides Roret, au journal Rustica, aux manuels élémentaires de physique et chimie » 906 .

Par son caractère épidermique, cet article rend particulièrement visibles les effets provoqués par le recueil : son hétéroclisme, son prosaïsme, l’excluent de la poésie, entendu comme paradigme de la valeur littéraire. Saillet est ainsi amené, comme Claude-Edmonde Magny et André Rousseaux, à expliciter sa conception du genre. L’attention au matériau verbal que réclame l’œuvre, constituant une réponse aux lectures philosophiques trop centrées sur « les idées », est également perçue comme anti-poétique, Ponge étant qualifié d’« endoctriné du langage » 907 . Alors que, pour Sartre, l’intérêt porté aux signes linguistiques, considérés en eux-mêmes, rattache Ponge au genre poétique, il est considéré comme un obstacle à cette appartenance générique par ceux qui font du déploiement d’un imaginaire personnel et de l’élévation lyrique les caractéristiques de l’expression poétique 908 . Enfin, la réaction de Saillet révèle également l’efficience de la stratégie de Ponge consistant à déstabiliser l’œuvre antérieure en l’insérant dans un parcours qui la relativise et en modifie le sens après-coup : la relecture du Parti pris des choses à partir de Proêmes est sur ce plan emblématique.

Les Proêmes déroutent en effet nombre d’amateurs du Parti pris des choses. Ainsi, Claude Roy ne considère pas le livre comme une œuvre à part entière, et y voit des « carnets de notes, les préparations, les parenthèses, les hésitations de son œuvre », portant sur l’ensemble un jugement mitigé : « Peut-être me trompé-je, mais beaucoup de notes ne méritent pas d’être publiées même si elles ont mérité d’être écrites » 909 . Sans que cela conduise à une condamnation univoque du livre, la conception du poème comme objet fini empêche malgré tout de considérer pleinement le livre de 1948 comme une œuvre. L’article de René Etiemble, « Trois exercices de style », indique dès l’abord cette même difficulté à appréhender ce texte. Etiemble évoque dans le même article Au Château d’Argol de Gracq, et les Exercices de style de Queneau. Ce regroupement indique que les Proêmes 910 ne sont pas envisagés à l’aune de la seule poésie. Les lignes consacrées à Ponge se détournent des problématiques envisagées par Sartre, pour se placer sur le terrain désigné par l’auteur comme le sien propre, même si ce déplacement est formulé ironiquement : « Je renoncerai à examiner dans quelle mesure M. Ponge a fait œuvre de poète matérialiste, et s’il a commencé à “relier dialectiquement” les éléments de son grand œuvre » ; Etiemble renonce également à commenter le dessein humaniste - ou non - de Ponge, « [omettant] tout autre souci que de mots et de métier » 911 . Mais, même de ce point de vue, les nouveaux textes de Ponge sont insatisfaisants, et n’apparaissent que comme des « exercices » préparant les véritables réalisations poétiques, dont d’autres écrivains plus accomplis se chargent pour le moment :

‘Rien ne manque : pas un gravat, pas une erreur ; tout le « déblai » nous est offert. J’aime que M. Ponge nous montre ainsi le cas qu’il fait de « l’épaisseur sémantique », ou les secours qu’on doit recevoir des dictionnaires. Sans Littré, point de Saint-John Perse ; point de « plaint chant des neiges ». Point de charmes dans Charmes, sinon par les ruses de l’étymologie 912 .’

Les « exercices pongiens » démontent les ruses étymologiques, mais ne sauraient constituer un aboutissement : ils « préparent à la grandeur » 913 qu’est le poème. L’Œillet, La Guêpe, Le Mimosa, et Proêmes sont donc à cette date perçus comme un écart isolé dans une œuvre qui dans son ensemble demeure poétique. Le parcours critique d’Etiemble est de ce point de vue significatif du fait que la direction nouvelle de l’œuvre s’impose peu à peu, et que cet écart par rapport aux attendus de la poésie ne peut plus être considéré comme insignifiant. En 1950, il revient une nouvelle fois sur Ponge dans Les Temps modernes : Etiemble se révèle un lecteur attentif de l’œuvre, citant Matière et mémoire, pourtant diffusé à très peu d’exemplaires, et la « Tentative orale », qui n’a paru qu’en revue, en 1947, dans les Cahiers de la Pléiade. Et si l’estime pour « le poète » se lit encore dans ces lignes, Etiemble se montre perplexe, se demandant même « s’il n’aime pas à contresens » 914 , et si l’appel à la grandeur qu’il avait précédemment formulé, refusé par l’œuvre, n’est pas contraire à la logique propre de Ponge :

‘Les Proêmes assurément m’ont déçu, agacé par endroits, d’abord parce qu’il est temps pour Francis Ponge et pour tout le monde, d’en finir avec les exordes et les entrées en matière, et que, si je me réjouissais de discerner dans les brouillons de L’Œillet, de La Guêpe, ou du Mimosa, les promesses de la grandeur, c’était pour désormais exiger la grandeur promise 915 .’

Toutefois, à la lecture de la « Tentative orale », découverte par hasard trois ans après sa publication, cette attente est déçue. Bien plus, la grande discursivité de cette « Tentative », et la variété formelle que Ponge y revendiquent, mettent en cause la poéticité particulière qu’Etiemble avait d’abord admirée chez l’auteur. C’est donc conscient du désaccord qui le sépare de Ponge qu’Etiemble affirme ce qui l’attache à son œuvre : « L’unité de cette œuvre, elle est, sera, rhétoricienne : poétique » 916 . Ce faisant, il constate lui-même que, lisant Ponge contre ses intentions affichées, c’est encore avec ses mots qu’il s’exprime : « Je me figurais n’aimer point les Proêmes et constamment je m’y réfère. Quelle ingratitude, si je ne leur savais gré de me corriger de la Tentative orale » 917 . Avec le temps et les « explications » de Ponge, l’unité poétique de l’œuvre est bien perçue comme contraire au projet auctorial lui-même, et la différenciation qu’opère Ponge à l’égard de cette attente est entendue.

Selon une optique toute différente, qui ne définit certes pas la poésie comme entreprise rhétoricienne, André Rolland de Renéville, ancien collaborateur du Grand Jeu, où il y défendait la ligne d’une « métaphysique expérimentale » 918 , reproche également à L’Œillet, La Guêpe, Le Mimosa son manque d’unité. Ce défaut éloigne Ponge d’une véritable démarche poétique, et empêche de considérer son livre comme une œuvre à part entière : citant à son tour la question initiale de L’Œillet (« Est-ce là poésie ? »), Rolland de Renéville y apporte une réponse négative qui, selon l’usage évaluatif qu’il fait du terme, est clairement une dévalorisation de l’ouvrage, qui « s’apparente davantage aux notations d’un grand prosateur comme Jules Renard, qu’à celles d’un poète dont le rôle est, à l’inverse du précédent, de passer outre aux attributs particuliers de l’objet en cause, pour mettre à nu ses correspondances et le replonger dans l’unité originelle » 919 . La plaquette publiée par Mermod en 1946 n’est donc qu’un « résidu poétique qui s’apparente davantage aux énigmes de Nostradamus qu’à celles de Mallarmé » 920 . En cela, cette dernière publication diffère selon Rolland de Renéville d’autres écrits de Ponge où, malgré son « système » anti-romantique et anti-surréaliste, il faisait preuve d’art, « c’est-à-dire [de] fantaisie personnelle, [de] singularité, [d’]invention, [de] surprise, enfin [de] tout ce dont témoignent les écrits de Ponge, et qui nous permet de le nommer un vrai poète » 921 .

Comme souvent, le nom de « poète » fonctionne autant comme jugement de valeur que comme description générique des textes. Néanmoins, cet usage axiologique s’appuie sur une conception du genre assez précise, où la part faite à la subjectivité et à l’imaginaire joue un rôle central. Il s’agit donc de sauver Ponge, en soulignant ce qui malgré tout reste poétique dans sa démarche, en dépit de la publication de textes qu’on ne peut considérer comme des œuvres à part entière.

Jaccottet, lecteur attentif de Ponge, dont il tirera des leçons personnelles, exprime lui aussi une réticence certaine à l’égard de l’« objectivisme absolu » recherché selon lui dans L’Œillet, La Guêpe, Le Mimosa. C’est au nom d’une certaine idée de la poésie, qui fasse place à la subjectivité, et de la nécessité d’aboutir malgré tout à un poème, que ses réserves s’expriment. Comparant le livre de Ponge aux carnets de Rilke, où se lisent un souci commun d’objectivité, un même recours au dictionnaire, Jaccottet conclut : « Je ne puis considérer ces textes [de Ponge] que comme une ascèse (au sens, premier, d’exercice) », qui nécessite d’être dépassée, comme Rilke a dépassé l’étape des Nouveaux Poèmes, où, déjà, il ne présentait que « le poème achevé », là où « Ponge se plaît à nous dévoiler (non sans quelque ironique artifice) sa naissance laborieuse » 922 . « Est-ce là poésie ? » : Jaccottet cite à son tour la question inaugurale de « L’Œillet ». Cela l’amène à préciser ses propres conceptions du genre, et à émettre finalement à un jugement réservé sur les textes dont il parle : « La poésie que je crois la plus haute n’a aucune raison de chercher à supprimer le sujet. Car l’objet finalement n’est objet que pour un sujet. […] Souhaitons donc que les exercices de Ponge ne soient qu’une étape » 923 .

Ces premiers témoignages critiques font apparaître l’incongruité des ouvrages que Ponge fait paraître dans le paysage poétique de l’immédiat après-guerre. Mis à part André Rousseaux, qui les considère comme des œuvres à part entière, peu de lecteurs leur accorde ce statut : « exercices », « brouillons », « ascèse », les mots employés, qu’ils le soient de manière péjorative ou non, traduisent un embarras certain face à ces livres qui se donnent comme des œuvres mais n’en présentent pas les caractéristiques attendues. Les ouvrages de Ponge objectent à la poésie, et, même si ces textes suscitent désarroi, colère ou malentendus, on peut néanmoins noter la grande efficacité de la stratégie de Ponge consistant à thématiser la déstabilisation générique. « Est-ce là poésie ? », la question placée à l’ouverture de « L’Œillet », est très souvent reprise, et amène les lecteurs à expliciter leurs propres partis pris concernant la poésie. Plus généralement, la poésie cesse d’être une évidence, et Ponge requiert qu’on s’explique à son propos. Qu’il s’agisse de reconnaître l’auteur poète malgré lui, pour l’en blâmer (Claude-Edmonde Magny 924 ) ou pour l’en louer (André Rousseaux), de lui refuser absolument ce titre (Saillet) ou plus couramment de ne pas le trouver assez poète dans ses derniers écrits (Jaccottet en 1947, Etiemble, Claude Roy), parler de Ponge contraint à expliciter ce que l’on attend de la poésie, à interroger le savoir que l’on a ou croit avoir à son propos, à exprimer ce que l’on accepte ou non de placer dans cette catégorie 925 . A travers ces partis pris dans la catégorisation générique des textes, ce sont aussi des conceptions du sujet, des liens entre la parole et le réel, donc la manière de se référer au monde qui sont en jeu.

Toutefois, un certain nombre de commentateurs considèrent les publications postérieures à 1945 comme des créations à part entière et, quels que soient l’importance qu’ils leur confèrent et l’approfondissement des analyses qu’ils choisissent d’y consacrer, s’interrogent sur leur portée. En 1949, Roger Nimier relit ainsi le parcours de Ponge à la lumière des textes qui composeront en 1952 La Rage de l’expression, et discerne dans Le Parti pris des choses un désir de connaissance qui apparente la posture de Ponge à celle du « savant qui observe dans son microscope » 926 . Roger Nimier voit ainsi dans l’œuvre publié à cette date par « cet “artiste en prose” » un effort de connaissance, propre à renouveler le genre poétique. Selon lui, Ponge « est plus neuf que ses confrères » 927 , et sa nouveauté réside dans cet effort de combinaison nouvelle des savoirs : « La réconciliation des sciences qui s’ignorent risque de se produire au niveau le plus simple : telle est peut-être la tâche du poète » 928 . Pour brèves que soient les analyses consacrées à Ponge, Roger Nimier prend au sérieux son ambition de connaissance ; plutôt que de confronter la compatibilité des textes à une définition préalable de la poésie, il s’agit de voir en quoi l’œuvre renouvelle le genre lui-même 929 .

L’évolution de Philippe Jaccottet est également significative du fait que la mise en question de la poésie est peu à peu perçue par certains comme un acte d’écrivain significatif. Alors que, en 1947, Jaccottet était réticent à accorder une pleine dignité d’œuvre aux « exercices » de L’Œillet, La Guêpe, Le Mimosa, il revient sur ces mêmes textes en 1952, lors de leur reprise dans La Rage de l’expression, livre dans lequel il voit une continuité de l’œuvre, où le plaisir de lecture est suscité par « la force du style » 930 . L’effort de Ponge pour se dégager d’une langue poétique mue par un désir d’élévation, en faisant place aux tâtonnements, hésitations, n’est plus perçu comme une incongruité déroutante, mais comme un geste fort, dont Jaccottet tire des leçons personnelles, afin d’élaborer un lyrisme plus mesuré 931 . Le texte qu’il consacre au « Soleil », dans le numéro d’hommage de la NRF, est également significatif de la prise en compte de cette évolution de Ponge, évolution qui constitue un garde-fou contre l’aspiration au haut langage, sans exclure tout élan poétique, ce en quoi l’œuvre constitue un outil privilégié pour élaborer un lyrisme renouvelé, auquel aspire Jaccottet. La rupture opérée par Ponge est dans ce texte le geste fort qui « [saisit] » d’abord Jaccottet : avec « Le Soleil », « Ponge témérairement bousculait sa perfection et sa mesure, culbutait sa réussite antérieure, sortait, réussissait brillamment à sortir des définitions où l’on avait pu l’enfermer » 932 . Des réserves quant aux expérimentations jugées trop techniques ou « objectives » des livres précédents subsistent 933 , mais « Le Soleil » incarne pour Jaccottet un équilibre retrouvé entre le sacrifice de « toutes les sortes de charmes même les plus pures à [une] recherche d’exactitude », et la préservation d’un certain lyrisme, Ponge manifestant « dans le cas particulier de ce poème, cet élan, cette contention de tout son être, cette force du regard, cette chaleur, cette jubilation qu’il tire à la fois du mystère du monde et du mystère du langage » 934 . Si Jaccottet salue ainsi dans « Le Soleil » ce qu’il perçoit comme le dépassement d’une phase technicienne et formaliste de mise en cause radicale du poème, il considère néanmoins que la mise en question des « charmes » de la poésie est le préalable à la force de l’œuvre, qui s’appuie aussi sur ce travail négatif pour atteindre à « l’épaisseur du monde ».

Dans une perspective voisine, les déclarations anti-poétiques de Ponge sont considérées par Du Bouchet comme un acte créateur fort, qui engage un rapport au réel et à la langue. Il voit ainsi dans « Le Verre d’eau » un « journal à maint égard comparable au très beau et trop peu connu Carnet du bois de pins », où il est question « encore, de l’homme enchevêtré vif au monde, à la fois défini et détruit par cet enchevêtrement » 935 . Cette parole vraie est étroitement liée dans le propos de Du Bouchet à la posture anti-poétique de Ponge : « Ce trouble, ce défaut de transparence, notre déchet nocturne, Ponge cherche si peu à le cacher qu’il écarte patiemment une à une les trouvailles poétiques qui pourraient faire illusion » 936 . En écartant la poésie, Ponge parvient à parler pour nous, dans un désir de fidélité au réel, et de vérité. C’est bien dans le geste de rupture que réside la portée de la parole de Ponge selon Du Bouchet : « Ponge a d’ores et déjà imprimé à la poésie un mouvement de remous qui la refoule dans une voie essentielle encore imprévisible » 937 .

Mais c’est dans les Cahiers du Sud, à travers de nombreux articles signés de deux écrivains, Léon-Gabriel Gros et Jean Tortel, l’ami de Ponge rencontré dans la Résistance, que les nouvelles publications font l’objet de l’accueil le plus favorable : elles y sont perçues comme un geste efficace pour lutter contre les exigences d’engagement et contre le sentimentalisme lyrique. Dans l’article qu’il consacre au Parti pris des choses, Jean Tortel insiste déjà sur la portée anti-surréaliste du recueil, et, au-delà, anti-lyrique, cet anti-lyrisme se manifestant d’abord par un travail rigoureux sur le langage : « On pourrait définir le poème : un objet qui se nomme. […] Le Parti pris des choses n’ouvre pas la porte à l’incertain de la rêverie » 938 . La leçon pratique de l’œuvre, telle que l’énonce Tortel à la fin de son texte, tire sa force de ce parti pris qui va à rebours de la lecture surréaliste de Rimbaud : « On dirait trop peu en disant que Ponge nous apprend à voir. Il nous invite à effectuer un minutieux et intense règlement de tous nos sens (et l’on pense à un anti-Rimbaud) » 939 . C’est aussi un livre porteur de leçons pratiques que Tortel voit dans les Proêmes : l’effort pour s’extraire de toute métaphysique et des théories abstraites est un moyen de connaissance qui est mis à disposition de tout un chacun, et Francis Ponge fait selon Tortel « tout son possible pour connaître ce qui appartient (d’où l’inventaire) à votre situation et pour l’améliorer (d’où les règles d’action morale et sociale) » 940 . En cela, les Proêmes franchissent un pas de plus par rapport au Parti pris des choses, dans la mesure où ils donnent à lire le passage de pièces « violemment lyriques » au « calme (relatif) » 941 des textes plus tardifs, et, se déployant dans le temps, mettent en valeur la relativité de toute chose, de sorte que « l’œuvre de Francis Ponge perd […] tout caractère mystique » 942 .

Non seulement Tortel considère Proêmes comme une œuvre à part entière, mais il les présente donc comme un dépassement du Parti pris des choses, qui se trouve relativisé, et en cela modifié rétrospectivement, comme l’indique l’introduction de l’article : les Proêmes sont « le seuil de l’édifice pongien, dont Le Parti pris des choses n’est, on le voit dès à présent, qu’une aile ou même, vraiment, le vestibule » 943 . En montrant un « effort » pour acquérir un art, Proêmes confirme le refus du relâchement surréaliste et le caractère « classique » 944 de l’entreprise de Ponge, tout en lui conférant une dimension dynamique, celle d’une « œuvre “in progress” » 945 . Avec ce prolongement de son œuvre, Ponge réaffirme donc la destination humaine de ses écrits, élabore un type de connaissance et d’action propres à l’écriture - et en cela il permet de contrer la mise hors jeu de la poésie opérée par Sartre dans Qu’est-ce que la littérature ? - tout en se refusant fermement aux charmes de l’imaginaire et du lyrisme patriotique.

Le troisième article que Tortel consacre à Ponge durant cette période part de ces acquis formulés à partir de Proêmes, dont Tortel trouve la confirmation avec la publication de L’Araignée, publiée à l’intérieur de son appareil critique, et de La Rage de l’expression. « Francis Ponge ou la formulation globale » commence par qualifier ces deux nouveaux livres d’« œuvres “in progress” », dont la principale qualité est d’être « utiles » 946 . A cet égard, les deux publications sont complémentaires (et constituent en un diptyque une « formulation globale »), L’Araignée se situant du côté d’une parole poétique cristallisée, tandis que La Rage de l’expression donne à lire une parole en cours d’élaboration. C’est du point de vue du rapport à leurs lecteurs que Tortel analyse ces deux œuvres, qui démentent une nouvelle fois radicalement l’anti-humanisme que Sartre avait pu discerner dans le premier Ponge. A propos de La Rage de l’expression, Tortel écrit ainsi : « Le combat que Ponge livre avec rage en vue de l’expression figure sa qualité d’homme dans toute son épaisseur. […] La formuler [la parole], c’est nous formuler. C’est nous faire ce que nous sommes et par conséquent préparer les routes à l’action qui nous concerne en la déblayant des scories » 947 . L’efficience politique est donc pour Tortel solidaire de l’effort de Ponge pour « désaffubler » la poésie. Tortel désigne sans cesse la capacité de cette dernière à susciter un nous, une communauté humaine qui au contact de l’œuvre emprunte « les routes de l’action ». L’œuvre appelle ainsi ses lecteurs à se réapproprier le texte dans l’action grâce à la forme du journal d’écriture, « type de texte au présent » où « rien alors ne sépare plus [l’écrivain] du lecteur à qui toutes les pièces d’un procès qui le concerne sont confiées » 948 . A l’inverse, L’Araignée se situe du côté de la parole poétique cristallisée, le texte renvoie au passé, et la lecture qui le rappelle au présent se fait « effraction » 949 . Si Jean Tortel choisit finalement de qualifier Ponge de poète 950 , ce qui est finalement désigné comme la pointe la plus acérée et la plus efficace de l’œuvre est ce qui s’écarte le plus des formes poétiques. Le nom de poète, une fois précisé, garde malgré tout sa valeur laudative.

C’est également comme accomplissement d’une déstabilisation salubre des conventions poétiques que Léon-Gabriel Gros, autre membre du comité de rédaction des Cahiers du sud, lit l’œuvre de Ponge. Dès 1945, dans une chronique qu’il intitule « Un lyrisme sans complaisance », Léon-Gabriel Gros constate que, durant la guerre, les poètes ont dû faire des concessions temporaires - « recours à l’éloquence, au développement des images, au langage clair, en définitive à tous les artifices susceptibles de leur attirer un auditoire plus vaste » 951 - mais qu’il est temps pour les écrivains de revenir à une plus grande exigence formelle. Ponge apparaît dans ce contexte, avec Queneau et Michaux, comme une voie possible : « Au lieu de se faire propagandistes, certains s’efforcent de dépasser le lyrisme personnel en se livrant à des expériences de rhétorique qui n’ont plus que de vagues relations avec les exercices purement psychologiques de la génération précédente » 952 . Ce refus de la propagande et de l’engagement direct éloigne Ponge du lyrisme de résistance, et en fait également un rempart contre les dogmes marxistes et existentialistes :

‘Le Parti pris des choses constitue sans doute le premier exemple d’un lyrisme matérialiste et trace vraisemblablement les voies à une nouvelle avant-garde, à une école, disons faute de mieux, “objectivante”, dont les esprits conservateurs risquent de penser qu’elle constitue un jeu inhumain et dont les militants révolutionnaires se méfient également parce que si elle paraît conforme à la philosophie marxiste elle adopte en fait le postulat dangereux d’une révolution déjà accomplie » 953 . ’

Le compte-rendu des deux plaquettes Le Carnet du bois de pins et L’Œillet, La Guêpe, Le Mimosa, que signe Léon-Gabriel Gros en 1947, marque une certaine déception : « toute cette parodie d’autodestruction, qui nous introduit dans les coulisses du poème, peut bien susciter l’intérêt mais n’emporte pas l’adhésion » 954  ; il y est malgré tout question selon Gros du « destin de la Poésie » 955 . Mais, tout en se refusant à considérer ces œuvres comme non poétiques, il reconnaît l’efficacité de ces textes : en affirmant « Je ne me veux pas poète. Je crois ma vision fort commune », Ponge fait pièce à « l’exaltation sentimentale mais encore et surtout au fameux “dérèglement de tous les sens” » 956 .

La posture anti-poétique est également pour René de Solier, écrivain et ami de Ponge, un acte fondateur et fertile, qui place au premier plan le travail matériel sur la langue, et rejette les particularités psychologiques et subjectives traditionnellement associées à la poésie. Le double refus de Ponge, du lyrisme et de l’engagement prophétique, assure à sa parole une portée plus importante, et une efficacité certaine. Dans l’œuvre de Ponge, « la parole dérobe le Moi à son image, fantaisiste et complaisante, alors que “le poète” s’empresse de passer aux états lyriques » 957 . Evitant de faire du langage le « miroir de l’âme, de l’intelligence, des sentiments », Ponge rejette également cette autre forme d’occultation du langage qu’est selon René de Solier la littérature d’idées : « Qui cherche l’idée, ou sa prééminence, fuit le langage » 958 . C’est à partir de cette double rupture, à l’égard de la poésie (lyrique), et des idées, que se manifeste l’efficience pratique de Ponge, efficience signifiée chez Solier, comme chez Tortel, par l’emploi du nous : « Un seul lieu se propose ainsi : le monde des objets, que nous déchiffrons peu à peu grâce aux recherches de Francis Ponge, tout en tendant vers une nouvelle connaissance de l’homme dans ces “moments où les proverbes ne suffisent plus” » 959 . Il est révélateur que la réflexion de Solier, qui lit les écrits postérieurs au Parti pris des choses comme une rupture, fasse retour sur Les douze petits Ecrits : le refus de la poésie est considéré comme l’aboutissement de l’œuvre, qui donne rétrospectivement leur sens aux livres précédents, et appelle une relecture qui, conformément aux vœux exprimés par Ponge, fasse toute sa place au rôle de l’expérimentation langagière dans l’exploration du « monde des objets ».

C’est également la perspective adoptée par René Micha, qui voit dans la rupture pongienne un aboutissement de son œuvre, jetant les bases d’une appréhension nouvelle de la parole poétique, qui l’émancipe des discours philosophiques :

‘Il paraît malaisé au philosophe, ou au poète philosophant, d’imaginer que le langage de l’art et que la poésie même (dès le moment où elle offre, en deçà de ses structures, un sens intelligible), puisse être une fin, non un espace ou un véhicule, ou un mode de réflexion 960 .’

Dans ces lignes, préfigurant à certains égards des théories qui feront, plusieurs années plus tard, de l’intransitivité de l’écriture la caractéristique même de sa littérarité, Ponge apparaît comme l’écrivain à partir duquel peut s’élaborer cette nouvelle conception de l’écriture. Dans cette perspective, « on peut se demander si les derniers écrits ne constituent pas l’aboutissement par excellence des recherches du début, un chef d’œuvre supposant moins la découverte d’un objet que sa définitive création par le langage » 961 .

Dès 1949, l’œuvre de Ponge apparaît (parmi d’autres) comme un recours et un exemple, dans le cadre d’une autre tentative de redéfinition de l’écriture littéraire contre l’existentialisme : celle que Maurice Blanchot conduit dans La Part du feu. « La Littérature et le droit à la mort », dernier essai du livre, consacre ainsi plusieurs pages au Parti pris des choses, mais aussi au Carnet du bois de pins et aux autres textes qui composeront La Rage de l’expression. Blanchot s’en prend dans cet essai à la « littérature d’action » qui, enjoignant l’écrivain à écrire pour un public déterminé 962 , conforme ce public à l’illusion que le monde lui est donné dans la littérature, et se prive de toute liberté : « Le lecteur ne veut pas d’une œuvre écrite pour lui, il veut justement une œuvre étrangère. […] L’auteur qui écrit précisément pour un public, à la vérité, n’écrit pas : c’est ce public qui écrit et, pour cette raison, ce public ne peut plus être lecteur » 963 . En cela, la littérature d’action est mystificatrice, et occulte les processus de lecture et d’écriture mêmes. Le véritable travail de l’écrivain, et ce qui fonde sa liberté (entendue ici en un sens non sartrien), est donc de prendre acte du défaut ontologique de toute parole, qui l’éloigne irrémédiablement de l’action : « Le mot me donne l’être, mais il me le donne privé d’être. […] Il est donc précisément exact de dire, quand je parle : la mort parle en moi » 964 . L’effort propre de la littérature, dans cette perspective, est de se tourner vers « la réalité des mots », et de faire du nom « une boule concrète, un massif d’existence » 965 , contre la « prose significative », qui croit pouvoir « exprimer les choses dans un langage qui les désigne par leur sens » 966 . C’est à ce stade de son raisonnement que Blanchot fait intervenir Ponge : « Et voici un homme qui observe plus qu’il n’écrit : il se promène dans un bois de pins, regarde une guêpe, ramasse une pierre » 967 . L’enjeu est pour Blanchot de renverser l’impression première que peuvent donner les écrits de Ponge de renvoyer simplement aux objets du monde, pour souligner au contraire en quoi ils font percevoir le défaut ontologique du langage, qui est leur objet premier : « Ces descriptions, œuvre d’une prose parfaitement significative, qui ne croit les comprendre ? Qui ne les met au compte du côté clair et humain de la littérature ? » 968 . C’est finalement sur la part sombre, négative, de l’écriture pongienne, qu’insiste finalement Blanchot : « Ponge surprend ce moment pathétique où se rencontrent, sur la lisière du monde, l’existence encore muette et cette parole, on le sait, meurtrière de l’existence » ; il exprime « non l’existence d’avant le jour, mais l’existence d’après le jour : le monde de la fin du monde » 969 .

Ces derniers mots de Blanchot se rapprochent des conclusions de Sartre : mais là où l’attention trop grande portée aux mots amenait Ponge à un échec, selon Sartre, cette part faite à la négativité de la parole, « meurtrière de l’existence », fait au contraire de Ponge un exemple du paradigme de l’écriture littéraire que Blanchot tente de définir.

Qu’elles se fassent de l’intérieur de la poésie ou depuis un lieu plus vaste qui tente d’embrasser la littérature dans son ensemble (Blanchot), ces interventions font de l’œuvre de Ponge telle qu’elle commence à s’apercevoir dans l’après-guerre une source de renouvellement, et un corpus qui donne des outils pour repenser le lyrisme (Jaccottet, Du Bouchet), ou pour lutter activement contre le subjectivisme poétique (Tortel, Léon-Gabriel Gros) et fonder l’autonomie de la parole littéraire à l’égard des injonctions marxistes et existentialistes.

Si Ponge est encore peu visible, si ses derniers écrits sont par un certain nombre de lecteurs considérés comme des extravagances négligeables, néfastes ou scandaleuses, la singularité de son œuvre est cependant reconnue, et constitue même pour certains un modèle d’écriture agissante, fournissant des armes littéraires et théoriques porteuses de renouvellement.

Cette position paradoxale de reconnaissance et d’invisibilité est perceptible dans l’appel de plusieurs commentateurs pour que l’œuvre cesse de paraître de façon dispersée en revue ou en plaquettes luxueuses, et soit plus largement diffusée sous forme de livres 970 . Dès 1949, Gaëtan Picon fait de Ponge, avec Michaux, Prévert et René Char, l’un des « quatre poètes majeurs » qu’il distingue dans la « nouvelle littérature ». Contrairement aux deux premiers, il n’a pas selon Picon « cessé de croire à la poésie », mais son œuvre, privilégiant l’objet et « les natures mortes », se singularise du fait qu’elle se situe « aux antipodes du lyrisme traditionnel » 971 . Ponge occupe de même une place de choix dans le tableau critique de la poésie contemporaine que propose Léon-Gabriel Gros. Cet ouvrage se donne pour objet de montrer la vivacité des « recherches en cours » dans la poésie contemporaine, face à une critique devenue indifférente à la poésie, après « le feu de paille lyrique » de la poésie de Résistance 972 . L’auteur consacre son troisième chapitre à Ponge (après Breton et Joë Bousquet), avant René Char et Henri Michaux. Dans Le Panorama critique des nouveaux poètes français que fait paraître Jean Rousselot en 1952, Ponge se trouve en tête de la section « Peut-il y avoir une poésie matérialiste ? », qui regroupe notamment Guillevic et Follain 973 .

Le numéro d’hommage de la NRF reflète cette position intermédiaire de Ponge, à la fois en termes de reconnaissance, et de perception de l’œuvre. Ce numéro paraît quelque peu incongru : si Ponge a déjà 57 ans, il n’a publié que quelques livres. Les signatures prestigieuses (Braque, Camus), placées en tête de sommaire, voisinent avec de nombreux articles traduits (Betty Miller, Gerda Zeltner, Piero Bigongiari, José Carner) : il s’agit de manifester l’intérêt et la reconnaissance que suscite l’œuvre, mais cette volonté même confirme a contrario que la position de Ponge n’est pas tout à fait assurée. Le contenu des articles révèle également une perception indécise de l’œuvre. D’une part persiste l’image du « poète des objets » 974 , selon le mot de Jean Grenier dans sa présentation, celle d’un écrivain proposant des « bibelots poétiques » 975 , peu soucieux de l’homme 976 . De l’autre, certaines contributions insistent au contraire sur la mise au premier plan de la recherche verbale 977 , et le rôle joué par les textes qui ne se laissent plus décrire comme des poèmes 978 .

L’année où paraît ce numéro spécial, François Mauriac, dans l’une de ses chroniques au Figaro littéraire, ironise sur « La technique du cageot », imaginant (plaisamment ?) qu’elle a dû inspirer un jeune romancier soucieux d’objectivité : Alain Robbe-Grillet 979 . Lequel proteste qu’il n’a rien de commun avec ce Francis Ponge « noyé dans la profondeur des choses » 980 , nageant en plein anthropomorphisme, et qui finalement nie les choses : « Affirmer qu’il parle pour les choses, avec elles, dans leur cœur, revient […] à nier leur réalité, leur présence opaque » 981 . Au moment où se clôt une première phase de sa réception, Ponge croise donc sur sa route, de loin, bien que cela ne soit pas sans importance pour la suite, un mouvement émergent : le « Nouveau Roman ».

Notes
885.

S. Bernard, Le Poème en prose, de Baudelaire jusqu’à nos jours, op. cit., p. 749.

886.

Ibid., p. 748.

887.

Ibid., p. 744.

888.

Ibid., p. 750.

889.

Elle étudie cependant Malcolm de Chazal dans le même chapitre, alors que Pierre Reverdy, René Char et Saint-John Perse ont droit chacun à un chapitre entier.

890.

C-E. Magny, « Francis Ponge ou l’homme heureux », op.cit., p. 64.

891.

C.-E. Magny, « Francis Ponge ou la transcendance involontaire », La Gazette des Lettres (Lausanne), 6 septembre 1947, p. 1.

892.

Ibid., p. 13.

893.

Ibid.

894.

« Il y a en Ponge un matérialiste et un surréaliste impénitent dont les routes divergent parfois » (ibid., nous soulignons).

895.

Ibid.

896.

A. Rousseaux, « Francis Ponge ou la nature des choses », Le Figaro littéraire, 9 avril 1949, p. 2.

897.

Ibid.

898.

A. Rousseaux, « Deux œuvres de Francis Ponge », Le Figaro littéraire, 25 octobre 1952, p. 2.

899.

Ibid.

900.

M. Saillet, « Le proête Ponge », Mercure de France, CCCV, juin 1949, p. 305.

901.

Ibid.

902.

Ibid., p. 307. Maurice Saillet fait ici allusion à « La Loi et les prophètes » : « Les statues se réveilleront un jour en ville avec un bâillon de tissu-éponge entre les cuisses » (PR, I, 194).

903.

Ibid.

904.

Ibid., p. 308.

905.

Ibid., p. 309.

906.

Ibid.

907.

Ibid., p. 308.

908.

Proêmes constitue donc un objet incongru voire inadmissible, que la poésie soit considérée a priori comme un objet noble ou suspect. La réaction de Jean Wahl dans Les Temps modernes se rapproche ainsi étrangement par sa violence de celle de Maurice Saillet : « Nous sommes tombés de Char en Ponge. Je ne comprends pas Char ; mais je comprends que Ponge n’est rien, et a manqué le projet qu’il faisait d’être au ras des choses. […] Ponge, il faut bien le dire, c’est bien souvent du bavardage autour des choses, barbotant dans un marécage, n’arrivant pas à s’en dépêtrer » (J. Wahl, « Autres pages de journal », Les Temps modernes, n° 152, octobre 1958, p. 757).

909.

C. Roy, « Proêmes et Le Peintre à l’étude », Les Lettres françaises, 3 septembre 1949, p. 2.

910.

Etiemble traite en fait dans ce texte également de la plaquette L’Œillet, La Guêpe, Le Mimosa (R. Etiemble, « Trois exercices de style », Les Temps modernes, n° 23-24, août 1949, p. 519-532).

911.

Ibid., p. 528.

912.

Ibid., p. 529.

913.

Ibid., p. 532.

914.

R. Etiemble, « Pour Francis Ponge », Les Temps modernes, n° 55, mai 1950, p. 2088.

915.

Ibid., p. 2087.

916.

Ibid., p. 2090. S’il réclame « l’unité » de l’œuvre contre la « variété » revendiquée par l’auteur, notons qu’Etiemble identifie « rhétorique » et « poétique », ce qui consiste bien à prendre acte d’une leçon pongienne.

917.

Ibid., p. 2092.

918.

Voir Y. Leclair, article « Le Grand Jeu » in M. Jarrety (dir.), Dictionnaire de poésie de Baudelaire à nos jours, op. cit., p. 314.

919.

A. Rolland de Renéville, « Sur un livre de Francis Ponge », La Nef, n° 30, mai 1947, p. 122.

920.

Ibid., p. 123.

921.

Ibid.

922.

P. Jaccottet, « L’Œillet, La Guêpe, Le Mimosa, par Francis Ponge », Formes et couleurs, n° 2, 1946, p. 14.

923.

Ibid.

924.

On pourrait également rattacher Léon-Gabriel Gros à cette position, même si ce reproche n’est qu’à-demi sérieux. Il prend un sens tout différend de celui adressé par Claude-Edmonde Magny, et souligne les limites de l’antilyrisme de Ponge : si Gros relève, dans les textes qui composeront La Rage de l’expression, un rejet salubre de « l’exaltation sentimentale », il regrette pourtant la persistance de certains procédés de « ravissement », et d’expressions « poétiques en soi » dans Le Parti pris des choses (L.-G. Gros, « Francis Ponge ou la rhétorique humanisée », Les Cahiers du sud, XXVI, second semestre 1947, n° 286, p. 1015-1016). Nous reviendrons plus loin sur ces interprétations, radicalement opposées à celles que nous avons jusqu’à présent étudiées.

925.

Mentionnons une autre position possible, il est vrai isolée, consistant à reprocher à Ponge de se vouloir poète sans l’être : en 1952, Robert Champigny loue le « dessein anti-poétique » de Ponge, et apprécie en lui « le prosateur » et « le moraliste », mais se dit « chagriné », car « Ponge s’est présenté comme poète et c’est comme poète aussi que Sartre a admis Ponge » (R. Champigny, « Le Parti pris de Ponge », French Review, XXV, n° 4, février 1952, p. 260).

926.

R. Nimier, « Visages de la poésie », Liberté de l’esprit, mars 1949, repris dans Journées de lecture, Paris, Gallimard, 1965, p. 232.

927.

Ibid., p. 233.

928.

Ibid., p. 234.

929.

Il est intéressant de voir que le romancier Nimier fait preuve d’une plus grande souplesse à l’égard des canons poétiques que lorsqu’il s’agit de commenter un roman qui malmène personnages et intrigue, et n’est selon lui qu’une « bouillie de trois cents pages », comme il l’écrit de Martereau. La polémique qu’engage Ponge avec Sartre dans l’après-guerre n’est peut-être pas non plus sans lien avec la bienveillance de Nimier à son égard.

930.

P. Jaccotet, « La Rage de l’expression », La nouvelle Revue de Lausanne, 25 juin 1952, p. 1.

931.

Requiem, que Jaccottet publie en 1947, manifestait un souci d’élévation à un style sublime. L’Effraie, qui paraît en 1953, après son arrivée à Paris et sa rencontre avec Ponge, fait preuve d’un lyrisme plus maîtrisé (voir H. Ferrage, Philippe Jaccottet, le pari de l’inactuel, Paris, PUF, « Littératures modernes », 2000, p. 53-64). La leçon que Jaccottet retire de Ponge est de longue portée, et trouve son expression la plus visible dans La Promenade sous les arbres, paru en 1957.

932.

P. Jaccottet, « Remarques sur le soleil », NRF, n° 45, septembre 1956, p. 398.

933.

« Il a pu arriver que Ponge, opposé à des objets qui le touchaient moins que le Soleil, s’enfonçât davantage dans l’épaisseur du langage que dans celle du monde, et donnât ainsi l’impression de n’être qu’une sorte de technicien » (ibid., p. 402).

934.

Ibid., p. 403.

935.

A. Du Bouchet, « Francis Ponge, Le Verre d’eau, avec des lithographies de Eugène de Kermadec », Critique, VII, n° 45, février 1950, p. 182.

936.

Ibid.

937.

Ibid., p. 183.

938.

J. Tortel, « Le Parti pris des choses », Cahiers du sud, août-septembre 1944, repris dans Francis Ponge, cinq fois, Montpellier, Fata Morgana, 1984, p. 10

939.

Ibid., p. 14.

940.

J. Tortel, « Proême à Francis Ponge », Cahiers du sud, premier semestre 1949, repris dans Francis Ponge, cinq fois, op.cit., p. 16-17, nous soulignons.

941.

Ibid., p. 23.

942.

Ibid., p. 21

943.

Ibid., p. 15.

944.

Ibid., p. 23.

945.

Ibid., p. 24.

946.

J. Tortel, « Francis Ponge et la formulation globale », Cahiers du sud, premier semestre 1949, repris dans Francis Ponge, cinq fois, op. cit., p. 27.

947.

Ibid., p. 33

948.

Ibid., p. 37, nous soulignons. En énonçant au présent de vérité générale, pour un nous, les leçons que dispense l’œuvre, Tortel effectue lui-même la repragmatisation qu’appelle l’œuvre, tout en analysant comment les textes parviennent à provoquer ce que Ponge appellera dans Pour un Malherbe ce « concernement réel ».

949.

Ibid., p. 35.

950.

« Bien qu’il en refuse le titre, nous le lui donnons, si le poète est, depuis Platon, celui qui nomme » (ibid., p. 31).

951.

L.-G. Gros, « Un lyrisme sans complaisance », Cahiers du sud, second semestre 1945, p. 501.

952.

Ibid., p. 502.

953.

Ibid.

954.

L.-G. Gros, « Francis Ponge ou la rhétorique humanisée », op.cit., p. 1019.

955.

Ibid.

956.

Ibid., p. 1015.

957.

R. de Solier, « Douze petits Ecrits ou l’Emulsion du Langage », Synthèses, XI, n° 122, juillet 1956, p. 465.

958.

Ibid., p. 462.

959.

Ibid., p. 464. La citation est tirée des « Notes d’un poème (pour Mallarmé) » (PR, I, 182).

960.

R. Micha, « Sur Francis Ponge, “poète vêtu comme un arbre” », op. cit., p. 50.

961.

Ibid. On pourrait rapprocher de cette lecture de René Micha celle que propose Franz Hellens, pour qui Proêmes et Le Peintre à l’étude sont « deux grands coups de gong dont le son ne s’est pas encore arrêté, ne s’arrêtera plus, auxquels vient s’ajouter un troisième, plus récent : Liasse » (F. Hellens, « La Nouveauté de Francis Ponge », La Revue de Culture européenne, n° 8, 4e trimestre 1953, p. 207).

962.

On songe notamment au troisième chapitre de Qu’est-ce que la littérature ?, intitulé « Pour qui écrit-on ? ».

963.

M. Blanchot, La Part du feu, Paris, Gallimard, 1949, p. 299.

964.

Ibid., p. 312-313.

965.

Ibid., p. 316.

966.

Ibid., p. 321.

967.

Ibid.

968.

Ibid., p. 322.

969.

Ibid., p. 323.

970.

Du Bouchet regrette ainsi que le Carnet du bois de pins soit « trop peu connu », et que Le Verre d’eau ne soit disponible qu’en édition de luxe (« Francis Ponge, Le Verre d’eau, avec des lithographies de Eugène de Kermadec, op. cit., p. 182). En 1959 encore, Jaccottet souligne la nécessité d’une étude sur l’ensemble de l’œuvre de Ponge, « quand ses derniers textes, fort nombreux, seront enfin regroupés en volume » (« Erreurs et bonheurs poétiques », NRF, n° 77, mai 1959, p. 876).

971.

G. Picon, Panorama de la nouvelle littérature française, Paris, Editions Le Point du jour / Gallimard, 1949, p. 195.

972.

L.-G. Gros, Poètes contemporains, deuxième série, Paris, Cahiers du sud, 1951, p.9.

973.

Rousselot s’interroge ainsi dans la présentation de la section sur la compatibilité d’un projet matérialiste avec « la poésie, qui, en tout temps et en tout lieu » a eu pour objectif de faire apparaître « des articulations spirituelles que l’homme ne peut contrôler » (Panorama critique des nouveaux poètes français, Paris, Seghers, 1952, p. 334). A propos de Ponge, Rousselot écrit qu’il est « moins matérialiste qu’il ne le prétend » (ibid., p. 340), et formule malgré lui « une espérance religieuse » (ibid., 335). Les extraits de Ponge sélectionnés sont un fragment du « Galet », la « Promenade dans nos serres », et la fin des « Notes pour un coquillage ».

974.

J. Grenier, « Présentation de Francis Ponge », NRF, n° 45, septembre 1956, p. 393.

975.

Gerda Zeltner-Neukomm écrit ainsi qu’on a dit « de Ponge qu’il fabriquait des bibelots poétiques, et il est probable qu’il ne s’en défendrait pas. Il tient à mettre sur pied des choses, et rien d’autre : des choses qui servent de jouets aux hommes, de jouets faits de mots » (« Un poète de natures mortes », NRF, n° 45, septembre 1956, p. 424-425).

976.

Si Betty Miller conclut sur le fait que Ponge est un « écrivain révolutionnaire », il est curieux de constater que l’inventeuse de la formule « Creative method », à qui Ponge a rendu hommage pour s’être détournée de l’étude des idées pour étudier ses textes d’un point de vue formel, est la plus proche de Sartre dans ses analyses, dont elle reprend l’idée d’une hostilité à l’homme : à travers les figures humaines qui apparaissent dans Le Parti pris des choses, « nous voyons une fois encore se manifester une certaine hostilité, quelque déplaisir, dans l’image [que Ponge] nous en offre » (« Personne à l’horizon », NRF, n° 45, septembre 1956, p. 416).

977.

C’est ce renversement par rapport à l’image du « poète des objets » qu’opère Piero Bigongiari, qui par la suite signera un autre article sur Ponge, dans Tel Quel : « [Ponge] n’a fait que partir de la science du langage pour y déceler les formes simples des choses. Son langage n’est donc plus un langage analogique » (« Le Parti pris de Ponge », NRF, n° 45, septembre 1956, p. 418).

978.

Outre la contribution déjà cité de Philippe Jaccottet, l’article d’André Pieyre de Mandiargues, tout en qualifiant de « caprice ou boutade » le rejet par Ponge du titre de poète, insiste ainsi sur la présence chez Ponge d’« une poésie seconde, qui est liée à la brute matière poétique : érosion du concept, éboulement des images, rupture fracassante (ou désagrégation), et puis exploitation des matériaux recueillis » (« Le feu et la pierre », NRF, n° 45, septembre 1956, p. 407). Notons toutefois que les lectures qui font des déclarations anti-poétiques de Ponge une rupture fondatrice ne sont pas représentées dans ce numéro.

979.

F. Mauriac, « La technique du cageot », Le Figaro littéraire, 28 juillet 1956, p. 1 et 3.

980.

A. Robbe-Grillet, « Nature, humanisme, tragédie », NRF, n° 70, octobre 1958, repris dans Pour un Nouveau Roman, Paris, Minuit, « Critique », 1961, p. 61

981.

Ibid., p. 62.