Conclusion

En 1971, lors du colloque de Cerisy intitulé « Nouveau Roman : hier, aujourd’hui », Nathalie Sarraute déclare : « Le lecteur, dont la collaboration est indispensable, doit être libre de pousser ses investigations et de laisser vagabonder son imagination dans toutes les directions. Une seule pourtant devrait, me semble-t-il, lui être interdite. Celle qui tire le texte vers ce qu’il se refuse à être » (« Ce que je cherche à faire », 1706). Francis Ponge décrit quant à lui son œuvre comme « un travail de suscitation » (PR, I, 196), mais s’adresse en ces termes aux lecteurs du Savon : « Il me faut simplement que vous récitiez mes paroles » (S, II, 387). Ces citations, bien qu’elles soient tirées de textes divers et datent d’époques différentes, condensent certaines caractéristiques des rapports que Sarraute et Ponge entretiennent avec leurs lecteurs, et que cette étude s’est attachée à montrer.

Elles confirment tout d’abord le rôle central dévolu par l’un et l’autre à l’instance du lecteur, vers qui sont tendus les textes, qui légitime l’écriture et à qui est confié une fonction capitale dans la réalisation des œuvres. Le réel inédit que chacun cherche à transmettre ne peut accéder à l’existence que s’il est reconnu et éprouvé dans la lecture : la construction même des référents qui justifient la prise de parole - la « qualité différentielle » à formuler, le tropisme à faire percevoir - est étroitement dépendante du lecteur, qu’il s’agit de convaincre et de persuader. L’histoire de la première réception de Ponge et de Sarraute confirme en outre que l’établissement d’un contact avec des lecteurs « réels » est pour eux un enjeu capital qui détermine pour partie l’évolution de leurs poétiques. Chez Ponge, la multiplication des procédures d’adresse, l’inclusion dans les œuvres mêmes du dialogue avec la réception et les discours « méthodologiques » témoignent de cette importance accrue accordée dans sa poétique à la prise en charge de la lecture. Après Tropismes, qui ne suscite aucune réaction critique, Sarraute insère son œuvre dans un genre repérable, le roman, en un mouvement qu’il est possible d’interpréter comme un geste didactique visant à initier son lecteur à l’« autre réalité », pour « refaire après coup, avec [lui], le trajet qui amène à l’œuvre » 1100 . Les interventions critiques et la publication des essais en volume participent de cette volonté d’instituer des conditions de lecture favorables pour que s’éprouve dans la lecture les « mouvements invisibles » qui selon l’auteur en constituent la « substance ». A travers ces stratégies, il s’agit pour Ponge comme pour Sarraute de constituer la lecture en expérience réelle : le lecteur est invité à « co-réaliser » (V. Kaufmann) la formulation de la « qualité différentielle », qui n’accède à l’existence que par ce processus participatif, à « co-effectuer » (L. Adert) le tropisme afin qu’il se constitue en réalité dans la lecture.

A cet égard, notre étude a permis de montrer la prégnance des catégories génériques dans les attitudes de lecture, et l’efficience de leur déstabilisation par Ponge et Sarraute : le statut générique problématique des objets auxquels se trouvent confrontés les lecteurs les amènent à mettre en cause leurs catégories d’appréhension, à faire retour sur leurs propres pratiques de lecture, et finalement à se prononcer eux-mêmes sur la généricité des œuvres. Ces procédés de déstabilisation instaurent ainsi un rapport homologique entre la manière dont les œuvres se présentent à leurs lecteurs, en porte-à-faux par rapport aux désignations disponibles, et la façon dont s’appréhende la « réalité muette opposable » ou le tropisme « qu’aucun mot n’exprime ». Comme on a pu le constater à travers l’étude de la réception, les attitudes adoptées à l’égard des classifications génériques engagent effectivement les modes de repragmatisation et la manière de faire référer les textes.

Outre cette place capitale conférée au lecteur par les poétiques des deux auteurs, les citations que nous avons reproduites au début de cette conclusion permettent de saisir l’ambivalence que recouvre la prise en charge de la lecture : la liberté du lecteur est encadrée par ce que le texte « se refuse à être » d’après Sarraute ; Ponge met quant à lui en scène avec humour un lecteur dont le rôle consiste à répéter les paroles de l’auteur. En déstabilisant les habitudes de perception, Ponge et Sarraute incitent les lecteurs à manifester une certaine indépendance à l’égard des stéréotypes génériques, et à faire preuve d’une certaine souplesse pragmatique. Mais, pour obtenir un tel résultat, les deux auteurs sont amenés à encadrer très fortement le discours critique et à proposer des outils de lecture spécifiques à leurs œuvres. Si le lecteur est invité à se défaire des attitudes imposées par des « lois du genre », il est aussi appelé à se plier aux lois du texte telles que l’auteur les formule. Ainsi se fait jour une contradiction interne aux deux œuvres. Le lecteur est considéré comme un opérateur essentiel du texte, appelé à se « subroger » à l’auteur et à s’émanciper de sa tutelle ; mais la confrontation des œuvres à des modes de lecture jugés inadéquats amène les deux auteurs à s’inscrire dans un conflit interprétatif concernant leurs propres œuvres, et à occuper une position de relative maîtrise à l’égard du sens 1101 .

Une nouvelle fois, le rapport au genre révèle de façon symptomatique ces tensions, et permet de les préciser. Commentant le « nouveau genre » qu’il invente et qu’il nomme objeu, Ponge souligne ainsi que les « limites » de ce genre, dont « Le Soleil » est l’archétype, résident précisément dans « son extension » trop vaste (L, I, 522). Poussée à son terme, la logique d’invention générique tend donc à faire de l’œuvre singulière le tout de la littérature, dont seuls les mots de Ponge sont aptes à rendre compte. Certains discours critiques, dès les premières publications, permettent de mesurer la séduction exercée par le métalangage spécifique inventé par Ponge. Certains lecteurs en font parfois état, constatant qu’ils sont amenés à « réciter [les] paroles » de l’auteur (S, II, 387). Le développement ultérieur de la réception confirme le mimétisme auquel l’œuvre conduit souvent ses commentateurs, que certains relèvent eux-mêmes et intègrent à leur propre démarche, à l’image de Claude Evrard : « Lire Ponge, l’aimer, le dire… A chaque fois le mimétisme est total. Sans doute est-ce là, s’agissant d’une œuvre impressionnante, la condition naturelle du lecteur, du critique : de se trouver sous influence, d’éprouver complètement l’autorité d’une voix vivante » 1102 .

La manière dont Sarraute tend à renverser le rapport œuvre/genre, faisant implicitement de ses propres écrits le canon de toute œuvre littéraire authentique 1103 , lui donne de même une certaine emprise sur ses lecteurs : si l’on considère avec elle que les habitudes de lecture romanesque ne permettent pas d’appréhender de façon adéquate les « bons livres » (ES, 1613), et notamment ceux qu’elle signe, on est amené à adopter sa propre terminologie (« sous-conversation », tropisme) pour rendre compte de ses œuvres. Le lecteur se trouve dès lors réduit, comme dans le cas de Ponge, à déployer dans son commentaire les propres conceptions de l’écrivain. En subvertissant les partitions génériques, Sarraute cherche à faire reconnaître la singularité de sa démarche, mais est amenée également à la poser comme un absolu incomparable. Ainsi que le note Ann Jefferson, la posture adoptée par Sarraute en tant qu’auteur se rapproche de l’attitude de la mère telle qu’elle est décrite dans Enfance : « au-delà, loin de toute comparaison » 1104 . La solidarité que Sarraute instaure entre manières de percevoir le monde de la fiction et manières de lire ses textes 1105 tend également à rendre problématique la prise de parole à propos de son œuvre : de même que, dans les fictions, la conversation assèche toute chose en lieux communs, de même, tout discours sur l’œuvre se trouve toujours pris en défaut. Pascale Foutrier explicite en termes frappants le dilemme auquel se trouve confronté le commentateur de Sarraute : « Le respect du texte ne peut passer que par la reconnaissance de son intraductibilité, de son caractère d’événement absolu dont aucun équivalent linguistique ne peut rendre compte » 1106 .

En relevant ces contradictions, notre propos n’est pas d’invalider les démarches de Ponge et de Sarraute. Il s’agit de souligner comment le désir de mettre les œuvres en contact avec un « dehors » et de faire se rejoindre le réel exploré dans l’écriture avec une réalité extra-textuelle amène les deux écrivains à prendre en compte des logiques contradictoires, contradictions qui structurent leurs œuvres et les rapports qu’elles entretiennent avec leurs lecteurs. Dès la fin de notre période d’étude, nous avons ainsi pu constater les stratégies que l’un et l’autre mettent en place pour maintenir une certaine indétermination dans les processus interprétatifs, et ainsi mettre à distance leur propre autorité : Ponge se figure de façon plaisante en auteur tyrannique maîtrisant pleinement les effets de son texte, tandis que Sarraute, par un jeu de miroirs déformants, met en crise les prestige de l’écrivain et son propre discours. L’un choisit d’exhiber les rapports de force qui régissent aussi la communication littéraire tandis que l’autre autonomise ses œuvres par rapport à ses positions auctoriales, rendant ces rapports de force invisibles. A ces stratégies textuelles correspondent deux modes d’intervention auctoriaux symétriques. A partir des années 1960, Ponge adopte une attitude bienveillante à l’égard de ses lecteurs : il ne relève pas ce qui l’oppose aux conceptions de Sollers lors de leurs entretiens ; lorsque ses opinions gaullistes entraînent la rupture avec Tel Quel, il se tourne vers la revue communiste Digraphe. Au-delà de ces clivages politiques, il semble accepter les différentes orientations critiques qui s’appliquent à ses œuvres, qu’elles soient d’inspiration phénoménologique, textualiste ou génétique 1107 . A l’inverse, Sarraute n’hésite pas à démentir frontalement les interprétations qui sont données de ses œuvres 1108 , et à décréter comme nulles et non avenues les lectures d’inspiration psychanalytique, sociologique, féministe, etc.

Ces dispositifs textuels et les postures auctoriales qui les complètent, pour différents voire opposés qu’ils soient, confirment que les contradictions que nous avons relevées font l’objet d’une élaboration qui informe les œuvres et la manière dont leurs auteurs entendent les faire lire : Ponge et Sarraute envisagent leurs écrits comme des actes publics, et à ce titre prennent en compte les logiques qui prévalent en dehors des œuvres, même s’il s’agit de les contrecarrer. Il est bien question pour Ponge et Sarraute de faire acte de communication, mais ce qui est à communiquer nécessite que le cadre dans lequel les textes sont appréhendés conserve une part d’indétermination. C’est dans cette perspective que peut s’interpréter le rapport polémique entretenu avec les lecteurs à l’intérieur et/ou à l’extérieur des œuvres, et ce au-delà de notre période d’étude. Ainsi, au tournant des années 1960, la rénovation des méthodes critiques promeut des modes de lecture qui semblent davantage coïncider avec les poétiques de Ponge et de Sarraute. Pour autant, tous deux continuent à rendre problématiques les modes d’appréhension de leurs œuvres, et à se situer dans un rapport d’intériorité/extériorité à l’égard des genres et des écoles critiques qu’ils côtoient.

L’attitude de Sarraute à l’égard du « Nouveau Roman » est sur ce point exemplaire : elle participe aux conférences, débats et colloques organisés autour du mouvement. La préface à l’édition de poche à L’Ere du soupçon, publiée en 1964, rattache explicitement ses réflexions critiques au mouvement 1109 . Mais, en 1971, elle ne fait qu’une brève apparition au colloque de Cerisy, et se situe dès le début de son intervention dans une position marginale :

‘Tout d’abord, il faut que je vous avoue que j’ai beaucoup hésité à participer à ce colloque. […]’ ‘Si j’ai tant hésité, c’est que je savais que je me trouverais ici de nouveau, comme je l’ai été si souvent au cours de ma vie, dans une situation assez singulière. Dans un certain isolement dont d’ailleurs je ne me plains pas - il m’a probablement été nécessaire - mais enfin il n’est pas assez agréable pour que j’aille délibérément le chercher (« Ce que je cherche à faire », 1694).’

Dans ces quelques phrases se lisent à la fois la revendication d’une « situation assez singulière » qui situe Sarraute à la lisière du « Nouveau Roman », mais aussi la nécessité d’établir un contact et de ne pas rester dans « l’isolement ». Sarraute s’oriente néanmoins par la suite vers une sortie du mouvement, alors que le « Nouveau Roman » se constitue de plus en plus en « grille » de lecture à travers laquelle l’œuvre est appréhendée. L’écriture des pièces de théâtre manifeste l’indépendance de la « substance » de l’œuvre à l’égard des problématiques romanesques. L’Usage de la parole (1980) ne porte plus de mention générique et le cadre fictionnel tend à s’estomper dans les dernières œuvres, ce que confirment Ici (1995) et Ouvrez (1997), qui se rapprochent formellement de Tropismes : tout se passe comme si, l’œuvre étant parvenue à réunir un lectorat susceptible de l’appréhender dans sa singularité, Sarraute se passait des médiations génériques.

Cette interprétation rend compte du fait que Sarraute a effectivement réussi à constituer de livre en livre un mode de lecture spécifique : les derniers livres prennent acte du fait que le « trajet qui amène à l’œuvre » (F. Asso) a été refait avec le lecteur. Un contact plus direct est donc rendu possible. Toutefois, parallèlement à cette sortie hors des cadres génériques, Sarraute continue à entretenir un rapport polémique à la catégorisation. Pour qu’Enfance (1983) ne soit pas lu comme « [l’évocation de]souvenirs d’enfance » (E, 989), Sarraute s’applique ainsi à extraire son œuvre du genre autobiographique 1110 . Tu ne t’aimes pas (1989) porte la mention « roman » en couverture, et à nouveau cette appellation générique suscite l’étonnement de la critique.

Ponge s’applique également à se situer « ailleurs » (PR, I, 165) par rapport aux attentes de ses lecteurs. La question du statut générique de ses œuvres et de leur poéticité problématique est thématisée jusque dans les derniers écrits, et contribue à en maintenir l’instabilité. La publication de l’œuvre en recueil, la reprise de textes anciens et leur redistribution dans les différents livres, si elles contribuent à édifier un monument pongien revendiqué comme tel par l’auteur, se refuse à toute fixité, Ponge inventant une fois de plus un mot pour décrire la manière dont il édifie son œuvre : « moviment ». Le Grand Recueil (1961) est de ce point de vue exemplaire : s’il est organisé en trois « allées principales » (L, I, 145), celles-ci ne se laissent pas appréhender aisément selon les catégories génériques. Les textes méthodologiques occupent une place centrale dans l’édifice, sont ainsi inclus dans l’œuvre propre, et ne peuvent donc pas être considérés comme des interventions « paratextuelles », même si Méthodes reprend des textes de conférences et des entretiens radiophoniques. Les textes eux-mêmes rendent problématiques l’organisation du recueil, puisque, pour certains d’entre eux, ils mêlent étroitement l’effort de description et la réflexion méthodologique : « Le Soleil placé en abîme » figure ainsi dans Pièces, alors que ce texte est constitué en grande partie de considérations métapoétiques. Le principe même d’ordonnancement du recueil est donc mis à mal par les textes qu’il contient. En outre, d’un volume à l’autre, des orientations contradictoires se dessinent : alors que Lyres semble annoncer une rupture à l’égard de la posture anti-lyrique adoptée dans les écrits précédents, « La Pompe lyrique », situé dans Pièces, critique de façon virulente les excès du lyrisme 1111 .

Pour un Malherbe (1965), qui paraît alors que l’œuvre de Ponge est célébrée par le structuralisme comme un modèle de « fonctionnement » textuel, constitue également une sorte de contre-pied à l’égard d’une attente lectoriale déterminée : Ponge reprend le modèle de l’objeu, mais le livre se déploie aussi à partir d’un important matériau autobiographique, qui entre en tension avec l’imaginaire de la machine textuelle. En outre, le livre, d’abord annoncé dans la collection « Ecrivains de toujours » du Seuil, est d’abord reçu comme un essai par certains lecteurs, qui se trouvent amèrement déçus à la lecture de l’œuvre 1112 . La poétique de Ponge comme sa stratégie éditoriale maintiennent ainsi un hiatus entre la façon dont l’œuvre se déploie et les attentes de son lectorat présumé.

Les processus grâce auxquels les œuvres entrent en contact avec leurs premiers lecteurs s’inscrivent dans des circonstances particulières, marquées notamment par la prééminence intellectuelle de l’existentialisme durant les années d’après-guerre. Néanmoins, comme nous venons brièvement de l’indiquer, les logiques qui se mettent en place à cette occasion se déploient dans d’autres contextes de réception : de façon récurrente, Francis Ponge et Nathalie Sarraute sollicitent l’attention de leurs lecteurs, mais les amènent à déplacer leurs attentes. La rencontre avec un lectorat telle qu’ils l’envisagent tous deux implique que soit maintenue une part d’indétermination et d’incertitude dans l’échange. La communication que Francis Ponge et Nathalie Sarraute s’emploient à établir a en effet ceci de particulier qu’elle inclut dans sa dynamique même une part de malentendu et d’incompréhension. Revenant sur la réception de son œuvre, Ponge écrit : « On ne peut pas tout de suite comprendre des choses qui sont faites pour être comprises indéfiniment » (M, I, 655). « Je ne comprends pas » : cette phrase donne son titre au dernier texte de L’Usage de la parole. Constituant un « Ilot de résistance » au milieu d’une conversation noyée dans « des océans […] de terrorisme, de conformisme, de lâcheté », c’est elle qui permet que s’instaure un véritable échange (UP, I, 985). C’est aussi le nécessaire compte tenu de cette part d’incompréhension que les œuvres de Francis Ponge et de Nathalie Sarraute nous enseignent.

Notes
1100.

F. Asso, Nathalie Sarraute, une écriture de l’effraction, op. cit., p. 7.

1101.

Cette contradiction est perceptible dans la manière dont Sheila Bell rend compte des phénomènes de lecture chez Sarraute. Son discours oppose implicitement l’instance du lecteur « agissant » telle qu’elle se figure dans les œuvres au rôle du critique, appelé à se conformer à un désir d’auteur : « L’expérience [du dernier texte d’Ici] comprend aussi la présence active et agissante de cet autre infini qu’est le lecteur. La lecture, telle que Sarraute nous la fait vivre, n’est nullement soumission à l’autorité du texte mais une forme de dialogue, d’interaction avec la parole d’autrui. […] Au critique incombe la tâche - impossible ? - de devenir lecteur à la manière de Nathalie Sarraute. Travaillons de sorte qu’elle puisse affirmer à la suite de Ponge : “Je parle et tu m’entends, donc nous sommes” » (« Digne de figurer dans un musée ? Arcimboldo et la peinture-écriture », in P. Foutrier (dir.) Ethiques du tropisme, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 126, nous soulignons).

1102.

C. Evrard, Francis Ponge, Paris, Belfond, « Les Dossiers Belfond », 1990, p. 7. Dans bien des cas, cette « influence » n’est pas formulée mais subie.

1103.

La réflexion sur le roman, considéré par Sarraute comme un « art » plus que comme un genre littéraire, tend effectivement à s’étendre à toute la littérature.

1104.

N Sarraute, Enfance, cité par A. Jefferson, « Différences et différends chez Nathalie Sarraute », in J. Gleize et A. Léoni (dir.), Nathalie Sarraute, un écrivain dans le siècle, op. cit., p. 20.

1105.

Cette cohérence est même décrite par Sabine Raffy comme un « principe d’enfermement du lecteur » : « il doit adhérer à la conception de l’homme et de la psychologie de Sarraute s’il veut comprendre quoi que ce soit à son œuvre » (S. Raffy, « Une lecture paranoïaque de l’œuvre de Nathalie Sarraute », Critique, n° 656-657, janvier-février 2002, p. 13).

1106.

P. Foutrier, « Sarraute et le jugement esthétique : critique de la critique », in P. Foutrier (dir.) Ethiques du tropisme, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 101.

1107.

Bernard Beugnot suggère que cette disponibilité de Ponge aux diverses interprétations que ses œuvres suscitent les rend « vulnérables » aux phénomènes de modes critiques (« La Mode comme système de réception : le cas Ponge », op. cit., p. 199). Une telle proposition suppose que la lecture véritable est hermétique aux préoccupations circonstancielles, et que cette disponibilité est une faiblesse. Il nous semble au contraire que, en acceptant que ses textes soient utilisés en diverses circonstances et dans différents contextes, Ponge est cohérent avec son projet pragmatique, qui consiste à « fournir » aux hommes « d’autres arguments pour leurs discussions », et ce indépendamment de ses propres opinions (« Introduction au “Galet” », PR, I, 205).

1108.

Les exemples sont nombreux, même si nous n’en retenons qu’un ici. Après son intervention sur Sarraute lors du colloque de Cerisy consacré au « Nouveau Roman », Micheline Tison-Braun se fait vertement reprendre par l’auteur pour avoir employé le mot « timide » et être ainsi passée à côté du texte qu’elle commentait : « Vous dites le timide. Si c’est un timide, ce n’est pas la peine d’en parler : c’est un gros machin, on sait ce que c’est que la timidité. Si j’avais pensé c’est un timide : c’était fini, ça ne m’intéressait plus. Ce qui était intéressant, c’était justement comment arriver à rendre ça autrement par le rythme, l’image, quelque chose… » (in J. Ricardou et F. van Rossum-Guyon, Nouveau Roman : hier, aujourd’hui - 2. Pratiques, Paris, Union Générale des Editeurs, « 10/18 », 1972, p. 48).

1109.

Cette inscription au sein du mouvement est aussi une revendication de paternité : « Est-il besoin d’ajouter que la plupart des idées exprimées dans ces articles constituent certaines bases essentielles de ce qu’on nomme aujourd’hui le “Nouveau Roman” ? » (ES, 1556).

1110.

Philippe Lejeune montre sans peine que l’œuvre présente toutes les marques formelles du genre, et il y voit même un « livre très classique » (« Paroles d’enfance », Revue des Sciences Humaines, 1990-1, n° 217, p. 23). Le rejet de l’autobiographie par Sarraute ne correspond donc pas à un enjeu formel mais pragmatique, et engage une nouvelle fois les modes de référenciation de l’œuvre. Philippe Lejeune voit ainsi dans Enfance le « fondement secret » de l’œuvre de Sarraute considérée dans son ensemble (ibid., p. 28). Monique Gosselin, qui fait du livre une « autobiographie critique », y voit l’accession d’un enfant au statut de « sujet », le livre constituant la « matrice de l’œuvre entière » (Enfance, de Nathalie Sarraute, Paris, Gallimard, « Foliothèque », 1996, respectivement p. 99, 178 et 180). A l’inverse, Françoise Asso appréhende l’œuvre en dehors de la problématique générique, et dès lors ne considère pas l’œuvre du point de vue de l’émergence d’un sujet, mais à partir de la notion deleuzienne de « blocs d’enfance » (« La Mère abandonnée - A propos d’Enfance, de Nathalie Sarraute », Poétique, n° 129, février 2002, p. 81).

1111.

Les effets de cette position d’intériorité/extériorité de Ponge à l’égard du lyrisme se font ressentir à long terme. Dans les débats soulevés dans les années 1980 et 1990 par la question du « renouveau lyrique » ou de la « restauration lyrique » (selon le point de vue envisagé), l’œuvre de Ponge occupe une place centrale : elle est pour Jean-Marie Gleize un socle permettant d’élaborer une écriture littérale et anti-lyrique (A noir - Lysisme et littéralité, Paris, Seuil, « Fiction & Cie », 1992). Mais il est significatif que les tenants du lyrisme s’appuient également sur l’œuvre de Ponge et s’attachent à l’intégrer à leur démarche, quitte à en proposer une lecture critique (voir notamment J.-C. Pinson, Habiter en poète, Seyssel, Champ vallon, « Receuil », 1995, et J.-M. Maulpoix, « Francis Ponge sans illusions ? », in Le Poète perplexe, Paris, José Corti, « En lisant en écrivant », 2002, p. 271-287).

1112.

Voir à ce sujet B. Beugnot, « Clivages critiques : genèse et réception du Pour un Malherbe », Œuvres et Critiques, XXIV, 2, 1999, p. 26-44.