CONCLUSION GENERALE

L’objectif de ce travail était de présenter une description générale et aussi complète que possible de la grammaire du jóola banjal. Cette description a permis de passer en revue l’étude de la phonologie, de la morphophonologie, de la morphologie et de la syntaxe, d’un point de vue typologique et fonctionnel. Nous espérons que cette étude servira de point de départ ou de référence pour de futures recherches sur le jóola banjal en particulier et sur l’ensemble linguistique jóola en général.

En phonologie, nous avons dénombré 20 phonèmes consonantiques et 10 phonèmes vocaliques. Plusieurs de ces phonèmes consonantiques ont deux allophones dont un fricatif. Ce dernier se retrouve généralement en position interne ou finale mais jamais en position initiale. Les phonèmes vocaliques se divisent en deux groupes : les voyelles –ATR et les voyelles +ATR. A l’exception de 3 phonèmes, tous les phonèmes de la langue peuvent être gemminés. Il existe 5 types de syllabes en jóola banjal avec une structure de base (C)V(C) ou CVCC suivie de pause.

Au niveau morphophonologie, nous avons étudié l’harmonie vocalique et nous avons observé que toutes les voyelles, à l’exception de la voyelle centrale á (en position finale) obéissaient à la règle de l’harmonie vocalique. Les règles morphophonologiques qui interviennent en morphologie ont été élaborées. Elles s’appliquent pour la plupart au niveau du verbe du fait de la réduplication du thème verbal dans une des marques de TAM dans le système verbal de la langue.

Sur le plan morphologique, 15 classes nominales ont été dénombrées. La plupart des catégories de mots (adjectifs, pronoms, démonstratifs, interrogatifs et verbes) sont soumises à l’accord en classe imposé par le substantif. Cet accord se manifeste par la répétition du préfixe de classe devant chaque élément en état de dépendance syntaxique avec ce dernier. Au niveau du verbe, l’expression de la personne est marquée soit par un préfixe de classe, soit par un indice de sujet. Les morphèmes verbaux se répartissent en 2 catégories : ceux qui sont autonomes et se placent devant le thème verbal et ceux qui se suffixent ou s’infixent à ce thème verbal. Nous avons également noté la présence d’auxiliaires et de sémi-auxiliaires qui participent à l’expression de l’aspect et du mode. La dernière partie de l’étude de la morphologie est consacrée aux prépositions et aux adverbes.

En syntaxe, plusieurs thèmes ont été abordés. L’étude des types particuliers de prédication a permis de montrer la place faite à la prédication non verbale dans la langue. Celle-ci utilise beaucoup la juxtaposition de constituants dans la prédication nominale et les verbes copules dans la prédication locative et dans les interrogations portant sur la localisation d’un constituant.

Dans le chapitre 9, la question des modifications de la valence verbale a été traitée. Nous avons distingué 5 suffixes différents qui permettent soit d’augmenter la valence, soit de remodeler les rôles sémantiques, soit enfin de diminuer la valence. Le suffixe -en est le marqueur de la voix causative, les suffixes -oro, -or et -o les marqueurs de la voix moyenne (respectivement réfléchi, réciproque, et autocausatif et décausatif) et le suffixe -i, le marqueur de la voix passive. Nous noterons l’absence des voix applicatives et anti-passives, la langue utilisant des constructions syntaxiques avec des groupes prépositionnels.

Le chapitre 10, consacré à l’expression de la localisation et du déplacement, a posé le problème de la classification du jóola banjal dans la typologie proposé par Talmy (1985, 2000). La directionalité d’un mouvement par rapport au locuteur est indiquée par la présence ou l’absence d’un suffixe sur la forme verbale. Le déplacement centripète est marqué par le suffixe -úl et le déplacement centrifuge est non marqué.

L’utilisation de formes verbales non finies est une des particularités de la langue. Ces formes verbales que sont l’infinitif et le gérondif sont étudiées au chapitre 11. Elles se différencient des formes verbales finies par le fait qu’elles ne comportent pas d’indices de sujet et ont à la place un préfixe de classe invariable. Leur fonctionnement hybride (tantôt nominal, tantôt verbal) leur permet ainsi d’assumer d’une part les fonctions de sujet, d’objet et de complément circonstanciel, et d’autre part la fonction de prédicat.

Le chapitre 12 a porté sur l’étude de la phrase complexe. Le jóola banjal comporte plusieurs types de propositions : les subordonnées (relatives, complétives et circonstancielles) et les coordonnées. Dans les relatives, il a été noté que 4 constituants pouvaient être relativisés. Il s’agit du sujet, de l’objet, du complément de préposition et du génitif. La relativisation du sujet ou de l’objet fait appel à un relativiseur, celle du complément de préposition à un relativiseur et à un pronom résomptif et celle du génitif à un relativiseur et à un indice possessif. Les complétives et les circonstancielles peuvent être introduites soit par un complémenteur, soit par une conjonction, soit par un morphème qui se suffixe au verbe de la subordonnée, soit par aucun élément, les deux propositions étant juxtaposées. Les coordonnées sont toutes reliées par un coordonnant. Nous avons aussi remarqué dans cette partie que l’intonation pouvait à elle seule indiquer la subordination d’une proposition.

Nous avons conclu cette étude en abordant la question de la topicalisation, de la focalisation et de l’interrogation (chapitre 13). La topicalisation et la focalisation ont en commun le déplacement à gauche d’un élément de l’énoncé. La topicalisation fait appel à un pronom de rappel, la focalisation à un indice de sujet différent de celui de l’énoncé neutre ou à défaut, recourt à l’intonation. La morphologie verbale n’intervient que rarement dans l’expression de la topicalisation et de la focalisation ce qui n’est pas souvent le cas dans certaines langues voisines. Les similitudes du point de vue structurel entre la topicalisation, la focalisation et l’interrogation ont conclu ce chapitre.

Pour terminer nous dirons que le jóola banjal ne présente pas de particularités typologiques exceptionnelles par rapport aux langues les plus connues du groupe atlantique :

- le jóola banjal est une langue agglutinante (les mots sont constitués de plusieurs morphèmes, généralement faciles à segmenter et exprimant une seule catégorie) ;

- la classe des adjectifs est quasi inexistante ; nous avons dénombré que 5 adjectifs stricts, les autres étant dérivés de formes verbales ;

- le verbe porte généralement un indice de sujet ;

- l’ordre des arguments dans une phrase neutre est SVO. Celui-ci peut-être néanmoins modifié suivant le rôle pragmatique de ces arguments (topique ou focus).

Cette étude effectuée, nous souhaitons dans un avenir proche, approfondir certains points que nous avons abordés tout au long de cette description. Il s’agit notamment en phonologie, du rapport entre les préfixes de classe et les radicaux à initiale vocalique, du rôle des éléments prosodiques (accent et intonation). En morphologie, nous aimerions revenir sur la motivation sémantique des classes nominales. Tous les thèmes abordés en syntaxe, mériteraient également une analyse plus détaillée et profonde. Tout en revisitant ces différents points, nous souhaiterions encourager au sein du département de linguistique de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar la description systématique et générale des différents parlers jóolas, mais également des autres langues sénégalaises non encore décrites afin de les revitaliser et de mieux les faire connaître.

Ceci nous permettra, à long terme, d’envisager une étude comparative de ces différents parlers jóolas. Nous projetons aussi nous interresser aux langues du groupe Atlantique de Guinée Bissau du fait de l’origine supposée des Jóolas de cette région.